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Pierre Poilievre réitère sa promesse de légiférer pour empêcher tous les récidivistes violents d'être libérés sous caution, s'il est élu premier ministre.
Pierre Poilievre réitère sa promesse de légiférer pour empêcher tous les récidivistes violents d'être libérés sous caution, s'il est élu premier ministre, même si des experts estiment que cette disposition serait probablement invalidée par les tribunaux.
Au milieu des critiques selon lesquelles cette politique irait à l'encontre de la présomption d'innocence, à la base de tout le système judiciaire canadien, M. Poilievre a soutenu jeudi que son scénario serait «conforme à la Charte».
«Si quelqu'un a commis sept ou huit infractions violentes répétées et qu'il est ensuite arrêté pour une nouvelle accusation de violence, il est clair qu'il représente un danger pour la société et qu'il doit être gardé derrière les barreaux jusqu'à la fin du procès et la fin de sa peine», a-t-il soutenu jeudi en conférence de presse à Ottawa.
Sans fournir de détails, il a soutenu que les tribunaux avaient validé cette approche.
Mais la Cour suprême a confirmé à plusieurs reprises le droit constitutionnel de tout inculpé «de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable», comme le garantit la Charte. Et des juristes ont suggéré que l'approche plus restrictive de M. Poilievre, résumée par son slogan «prison, pas caution», serait probablement invalidée par les tribunaux.
Le ministre de la Justice, David Lametti, a ajouté sa propre critique, jeudi. «Pour le chef de l'opposition, le système de justice pénale, le système de libération sous caution se résume à des slogans stupides et vides», a estimé M. Lametti.
Le chef de l'opposition conservatrice commentait jeudi l'annonce par le gouvernement libéral de son propre projet de réforme du Code criminel concernant les libérations sous caution. Le projet de loi C-43, déposé mardi aux Communes, vise à rendre plus difficile pour certains récidivistes violents d'obtenir une libération sous caution, en leur imposant le fardeau de prouver pourquoi ils ne devraient pas rester derrière les barreaux pour la suite des procédures — ce qu'on appelle l'«inversion du fardeau de la preuve».
Les libéraux ont proposé ces changements en réponse aux pressions croissantes des provinces, des associations de policiers et des groupes de défense des droits des victimes, à la suite d'une série de crimes très médiatisés au pays.
Brian Sauvé, président et chef de la direction de la Fédération de la police nationale, a parlé déclaré d'«un premier pas dans la bonne direction». Mais il ajoute que l'amélioration du système «nécessitera l’engagement d’importantes ressources aux niveaux fédéral et provincial, ainsi qu’une vaste collecte de données, l’élaboration de politiques et la surveillance des personnes en liberté sous caution». M. Sauvé a refusé de commenter la proposition de M. Poilievre.
L'Association canadienne des chefs de police a aussi accueilli favorablement le projet de loi C-48, en estimant que les modifications proposées étaient conformes à ses demandes.
Lorsqu'on lui a demandé jeudi en conférence de presse si ces approbations avaient changé sa propre opinion, M. Poilievre a répété que le projet de loi n'allait pas assez loin.
Il ne s'est d'ailleurs pas engagé à appuyer en Chambre ces mesures, qui sont conformes à ce qu'avaient demandé les 13 premiers ministres des provinces et territoires.
«Nous en discuterons au caucus et au sein de notre cabinet fantôme pour prendre position, mais je peux comprendre que la police souhaite appuyer toute mesure susceptible de renverser les politiques d''arrestation-libération' de Justin Trudeau, même si elles ne vont pas assez loin», a-t-il indiqué.
M. Poilievre a par ailleurs ajouté que s'il devenait premier ministre, il abrogerait la législation que le gouvernement libéral avait adoptée plus tôt dans son mandat.
Dans une loi adoptée en 2019, les libéraux ont codifié un «principe de retenue» affirmé dans une cause de 2017 devant la Cour suprême, de façon à ce que les policiers et les tribunaux favorisent la mise en liberté à la première occasion plutôt que la détention.
Le principe de retenue prévoyait aussi que les conditions de la mise en liberté provisoire «soient raisonnables, pertinentes à l’infraction et nécessaires pour assurer la sécurité publique».
Des juristes ont réagi avec scepticisme à la proposition de M. Poilievre. Boris Bytensky, un avocat de la défense, a déclaré qu'une loi qui refuserait à certains accusés l'accès à une audience sur cautionnement serait contraire à la Charte.
Selon lui, M. Poilievre semble suggérer que l'existence d'un casier judiciaire signifie que les gens devraient être présumés coupables et condamnés dès que possible afin qu'ils puissent rester derrière les barreaux.
Danardo Jones, professeur adjoint à la faculté de droit de l'Université de Windsor, estime que d'un strict point de vue du droit constitutionnel, la promesse de M. Poilievre n’a pas «beaucoup de sens». Environ 70 % des personnes qui se trouvent déjà dans des centres de détention canadiens y sont parce qu'on leur a refusé la mise en liberté sous caution, a souligné le professeur Jones.
La sociologue Nicole Myers, experte en matière de libération sous caution et de détention avant procès, estime que l'idée de M. Poilievre «ignore complètement les principes fondamentaux de notre système de justice pénale». Selon elle, le chef conservateur «essaie de saisir et d'exploiter la peur et l'inquiétude de la population».
La professeure de sociologie à l'Université Queen's juge «malavisé» le slogan «prison, pas caution» que M. Poilievre utilise souvent pour promouvoir l'idée qu'il faudrait renoncer au droit de certains délinquants à des audiences sur le cautionnement.
«Notre système de libération sous caution n'est pas un système indulgent. Depuis 2004, nous avons eu plus de personnes en détention avant procès qu'en détention provinciale une fois condamnées», a-t-elle déclaré.
De plus, la détention rend les prévenus plus susceptibles de commettre une infraction après leur libération. «S'il était réellement intéressé par la sécurité publique, comme il semble le prétendre, on n'essaierait pas de mettre plus de gens en prison.»
Des juristes ont par ailleurs souligné que même la proposition des libéraux, qui est bien en deçà de l'idée de M. Poilievre, pourrait faire l'objet d'une contestation fondée sur la Charte.
Le ministre Lametti a toujours déclaré que son gouvernement tentait de trouver un juste équilibre entre la sécurité publique et la présomption d'innocence.
L'indice de Statistique Canada mesurant la gravité de la criminalité au pays montre que le taux de crimes violents a chuté de 6 % au cours des dix dernières années et de plus de 30 % au cours des vingt dernières années.
Mais le taux a augmenté presque chaque année depuis que les libéraux sont arrivés au pouvoir, et il est plus élevé maintenant qu'il ne l'était en 2015, lorsqu'ils ont formé le gouvernement pour la première fois. Les crimes violents sont les plus élevés dans les provinces des Prairies.