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Politique

Stablex: «on ne gagnera pas un concours de popularité avec cette décision»

Invoquant l'urgence d'agir afin d'éviter un bris de service, le gouvernement a recours à la procédure de bâillon pour faire adopter le projet de loi 93.

Le député Guillaume Cliche-Rivard, de Québec solidaire, lors de la période de questions à l'Assemblée nationale, le 18 mars 2025.
Le député Guillaume Cliche-Rivard, de Québec solidaire, lors de la période de questions à l'Assemblée nationale, le 18 mars 2025.
Patrice Bergeron
Patrice Bergeron / La Presse canadienne

Le gouvernement Legault a imposé jeudi l'adoption rapide d'un projet de loi pour agrandir un dépotoir de déchets dangereux à Blainville, dans la région métropolitaine, malgré la contestation de l'opposition, des municipalités et d'organismes environnementaux. 

«On ne gagnera pas un concours de popularité avec cette décision», a reconnu le leader parlementaire du gouvernement, Simon Jolin-Barrette, au début des débats qui allaient durer au moins toute la soirée et vraisemblablement jusqu'à vendredi matin.

«Je demande aux parlementaires de bien réfléchir à la décision qu'ils auront à prendre et qui aura des conséquences à perpétuité», a déclaré dans une vidéo jeudi soir la mairesse de Blainville, Liza Poulin, en proposant un autre terrain adjacent.

Invoquant l'urgence d'agir afin d'éviter un bris de service, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a recours à la procédure de bâillon pour faire adopter le projet de loi 93. 

Cette pièce législative controversée exproprie la Ville de Blainville contre son gré, au coût de 17 millions $, afin d'accorder à la filiale québécoise de l'entreprise américaine Stablex le terrain qu'elle convoite.

La compagnie soutient qu'elle aura atteint la pleine capacité de stockage d'ici à deux ans, soit 400 000 mètres cubes jusqu'en 2027, même si un rapport du BAPE de 2023 estimait qu'il y avait de la marge jusqu'en 2030, riposte l'opposition.  

L'entreprise plaide qu'il lui faut faire les travaux de déboisement du terrain projeté d'ici au 15 avril - avant l'entrée en vigueur d'une loi fédérale - et qu'il lui faudra deux ans pour préparer le site qu'elle convoite, et qui lui permettrait de poursuivre ses activités pour une quarantaine d'années.

«Le gouvernement cède au chantage de l'entreprise», a dénoncé le député péquiste Joël Arseneau, en point de presse.

«N'allons pas nous livrer pieds et poings liés à une entreprise américaine pour les 40 prochaines années, ça me semble irresponsable. Ça a des odeurs de gouvernance par décret de la CAQ.»

Le député Guillaume Cliche-Rivard, de Québec solidaire (QS), a qualifié la manoeuvre d'hallucinante et honteuse. 

«La CAQ est prête à s'agenouiller devant l'entreprise et lui donner tout ce qu'elle demande», a accusé la députée libérale Virginie Dufour.

«Ce n'est pas très édifiant ce qu'on s'apprête à faire», a déploré la députée libérale Michelle Setlakwe. 

«En pleine nuit, le gouvernement va nous forcer à étudier de façon accélérée, de façon précipitée, un projet de loi qui va permettre à l'entreprise Stablex de rapidement détruire un milieu naturel, parce qu'il faut que ça se fasse avant le 15 avril. Comment se fait-il qu'on soit ainsi acculé au pied du mur? Quelle mauvaise planification de la CAQ.» 

«Il y a d'autres solutions que de suspendre les règles de la démocratie», a à son tour plaidé le député péquiste Pascal Paradis. 

En point de presse, la députée Christine Labrie, de QS, a dit ne pas adhérer à l'argument de l'urgence d'agir et a reproché au gouvernement d'avoir gobé les arguments de la compagnie.

«C'est dans l'intérêt des Québécois (...), on prend la décision responsable», a répliqué la ministre des Ressources naturelles, Maïté Blanchette Vézina. 

Blainville a offert un autre terrain adjacent, une option écartée autant par le gouvernement que par l’entreprise, qui le considèrent trop près, à 300 mètres, d’un quartier résidentiel, par rapport à une distance d'un kilomètre pour le terrain privilégié.

Or, le projet d'agrandissement coûterait 150 millions $ à Stablex sur le terrain qu'elle veut, plutôt que 250 millions $ sur celui proposé par la Ville: l'entreprise y a entreposé des tonnes d'argile et il coûterait donc 100 millions $ de plus pour convoyer cette matière ailleurs.

À la période de questions, le premier ministre François Legault a répété sans relâche que l'opposition choisit un terrain à 300 mètres des maisons, tandis que son gouvernement «préfère un terrain à 1 km des maisons». 

Un règlement de contrôle intérimaire (RCI) est en vigueur sur les deux terrains, ce sont donc des territoires en partie protégés par la Communauté métropolitaine de Montréal, en raison des milieux humides qui s’y trouvent.

L'Union des municipalités (UMQ), la Fédération québécoise des municipalités (FQM), ainsi que des conseils municipaux, y voient notamment un affront à l'autonomie municipale, puisque le gouvernement prend les grands moyens pour déposséder Blainville.

La FQM et l'UMQ ont d'ailleurs invité le gouvernement jeudi à revenir sur sa décision. Des organismes tels que Eau Secours, Mères au front de Rivière-des-Mille-Îles, la Société pour Vaincre la Pollution (SVP) l'Association québécoise des médecins pour l'environnement (AQME) ont dénoncé le «lobby» de Stablex et demandé à la CAQ de reculer.   

Pour tenter de dénouer l'impasse, la mairesse de Blainville, Liza Poulin, a proposé vendredi dernier une autre solution que le gouvernement a aussitôt rejetée, arguant qu'elle avait «déjà été refusée par le passé». 

Dans la proposition soumise vendredi, la Ville et la CMM avaient indiqué qu’elles étaient prêtes à retirer «7,2 hectares de milieux humides protégés» pour que Stablex puisse continuer ses activités sur le terrain appartenant au gouvernement du Québec.

En contrepartie, la CMM protégerait 123 hectares de milieux naturels supplémentaires, à un autre endroit du secteur, «ce qui permet d’éviter la fragmentation de l’écosystème et de consolider l’intégrité de la tourbière de Blainville, au bénéfice de l’ensemble de la région métropolitaine».

Mme Poulin avait déjà fait savoir que la Ville avait l'intention de contester la loi si elle est adoptée.

Rappelons que le centre de traitement de déchets industriels de Stablex comprend actuellement une usine de traitement et cinq cellules d'enfouissement. Les déchets traités proviennent, par exemple, de l’industrie minière ou encore de l’industrie pharmaceutique.

Patrice Bergeron
Patrice Bergeron / La Presse canadienne