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C'est un tout autre horaire qu'a eu Mark Carney pour la journée de dimanche.
Le drame qui s'est déroulé dans un festival philippin de Vancouver n'aura pas réussi à freiner la caravane libérale qui, malgré un horaire significativement chamboulé et un ton ajusté aux circonstances, a bel et bien réalisé son sprint final, conduisant le chef Mark Carney à travers quatre provinces avant de revenir à Ottawa sur un vol de nuit.
Le chef libéral, qui tentait de convaincre jusqu’à la toute dernière minute de lui donner «un mandat fort», devait terminer sa journée à Victoria, dans la capitale britanno-colombienne, mais c’est cependant sur les lieux du drame de la veille, au coucher du soleil, qu’est survenu le moment le plus émouvant de toute sa campagne.
Après que M. Carney se soit agenouillé, ait déposé un bouquet de fleurs près des dizaines d’autres qui s’y trouvaient, allumé une bougie et se soit recueilli pendant un long moment dans le silence, malgré la présence d'une petite foule, une dame a commencé à chanter «Amazing Grace».
Et alors que des personnes présentes ont commencé à l'accompagner, bien d'autres pleuraient et s'essuyaient les yeux. M. Carney, qui était comme à plusieurs moments de la campagne à la frontière de ses rôles de chef de parti et de premier ministre, a enlacé des personnes présentes et quitté sans dire un mot.
En matinée, M. Carney avait mis le cap vers Saskatoon après avoir rayé de son agenda une activité à Hamilton, en Ontario, où il a plutôt fait le point sur la situation. Il s'était dit «choqué, dévasté» et avoir eu «le cœur brisé» après avoir appris la nouvelle.
Deux grands rassemblements, un à Calgary, en Alberta, et un autre à Richmond, en Colombie-Britannique, où près de 2500 sympathisants étaient inscrits pour chacun d'eux, ont été annulés. La campagne a expliqué que ces décisions sont dues à «la nécessité d'adopter une approche et un ton respectueux tout au long de la journée».
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Dans la plus grande ville de la Saskatchewan, des centaines de sympathisants s'étaient entassés dans un marché public pour l'écouter. Après un moment de silence et une prière, le chef libéral est monté sur scène.
Dans son bref discours, M. Carney a expliqué qu'une tradition de la communauté philippine appelle à ce que «les familles, (...) les égaux, se rassemblent, s'unissent pour un même but».
C'est à ce moment qu'il a pivoté radicalement vers son discours de campagne pour expliquer que de bâtir sur la force commune est précisément ce qu'il offre dans le conflit commercial avec les États-Unis.
M. Carney peinait visiblement à trouver le bon ton et à rester sobre. Bien qu'il a évité les attaques contre son adversaire conservateur Pierre Poilievre, le chef libéral a néanmoins rapidement renoué avec ses lignes habituelles avec énergie de manière à susciter à répétition des cris et des applaudissements dans la pièce.
Cet engagement, qui était censé être «plus intime», tout comme un autre qui a suivi à Edmonton, était tout sauf intime. Dans la ville albertaine, ils étaient des centaines si ce n'est pas un millier, dont une bonne proportion qui n'ont pu rentrer dans un local électoral pour l'entendre.
M. Carney, originaire de cette ville albertaine, n'a pas manqué l'occasion d'arriver vêtu d'un chandail des Oilers, l'équipe de hockey de la ville, au grand bonheur de ses partisans qui hurlaient à tout casser.
Le chef libéral a commencé son discours par sa traditionnelle question «Qui est prêt», qui suscite inévitablement les cris de son auditoire. Là encore, il a souligné les tragiques événements de la veille avant d'entamer son discours.
Ici, son slogan Build baby build, une référence à la formule Build baby build qui avait il y a quelques jours à peine des allures de blague de papa, a résonné avec force dans la pièce, si bien que les sympathisants ont commencé à le scander.
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Mais comme dans la guerre commerciale avec les États-Unis, il faut «de l'expérience et non une expérience», son attaque à peine voilée à son principal adversaire, le chef conservateur Pierre Poilievre.
Dans la foule, Darrell Hartman, vêtu d'un chandail aux couleurs de la feuille d'érable, qui s'était abstenu ou avait voté conservateur lors des dernières élections, raconte que c'est «la première fois depuis des décennies» qu'il est excité par un candidat au poste de premier ministre du pays.
À ses côtés, sa conjointe Rhonda Hartman est émotive en expliquant que «beaucoup, beaucoup, beaucoup» d'Albertains croient au Canada. «Ce n'est pas l'Alberta d'abord», dit-elle en disant souhaiter que la province se défasse de sa «réputation».
Au terme de la journée, la caravane libérale aura traversé le pays, du sud-ouest de l'Ontario jusqu'à Vancouver, en passant par les fiefs conservateurs de l'Alberta et de la Saskatchewan. Les troupes de Mark Carney tentent ainsi de battre le décalage horaire au point de revenir à Ottawa sur un vol de nuit.
Le chef libéral reprenait donc la formule adoptée par son prédécesseur Justin Trudeau en 2015, en 2019 et en 2021, revenant vers l'est tard le soir après une journée interminable.
La dernière journée de campagne a habituellement pour objectif de fouetter les troupes, de faire sortir le vote et de donner l'impression que le parti a le vent dans les voiles, avait expliqué samedi l'ancien stratège libéral Jérémy Ghio, en entrevue avec La Presse Canadienne.
Et l'itinéraire des chefs est très révélateur. En choisissant de se rendre en Alberta, les libéraux montrent être à l'attaque. Il en va de même lorsqu'ils sont allés cette semaine dans des circonscriptions bloquistes au Québec ou chez les néo-démocrates en Colombie-Britannique.
«Il part à l'attaque après une possible majorité libérale, tandis que les autres chefs, on voit beaucoup du mouvement défensif. M. Poilievre est dans l'Ouest. M. Blanchet est dans des circonscriptions bloquistes et M. Singh est dans des circonscriptions néo-démocrates», illustre-t-il.
Le professeur de science politique au campus Saint-Jean de l'Université de l'Alberta Frédéric Boily fait une analyse semblable.
«Ça veut dire qu’on est à l'offensive, analyse-t-il. Si on va du côté de Calgary, c'est parce qu’on estime qu’il y a des chances. (…) À l'inverse, les conservateurs, eux, semblent sur la défensive, semblent avoir lancé la serviette du côté de l'Ontario.»
Et bien que les libéraux pourraient faire plusieurs gains en Alberta, il note que les conservateurs rafleront tout de même une vaste majorité des sièges.
À moins d'un revirement spectaculaire, tout porte à croire, selon lui, que les libéraux formeront le prochain gouvernement, d'autant plus que l'écart est important en Ontario. Il reste cependant à déterminer si ce sera un gouvernement majoritaire ou minoritaire.