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Transports Canada est incapable d’indiquer si la portion d'un rail fissuré près du centre-ville de Lac-Mégantic répondait aux normes de sécurité.
Transports Canada est incapable d’indiquer si la portion d'un rail fissuré près du centre-ville de Lac-Mégantic répondait aux normes de sécurité. Le rail a été réparé la semaine dernière, mais un groupe de citoyens demeure inquiet, alors que la Ville s’apprête à commémorer les 10 ans de la tragédie.
Depuis 2015, Robert Bellefleur surveille l’état des rails dans sa communauté où il y a 10 ans, un convoi transportant 72 wagons de pétrole brut a déraillé et fauché la vie de 47 personnes.
Celui qui est porte-parole de la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire a donné rendez-vous à La Presse Canadienne à la fin du mois de mai, près d’un rail qui appartient au Canadien Pacifique (CP), à environ deux kilomètres du centre-ville de Lac-Mégantic.
«Je ne suis pas ingénieur, mais on n’a pas besoin d’être ingénieur pour comprendre que ce rail est usé au maximum, des lamelles de métal sont effilochées», indique Robert Bellefleur en montrant le rail fissuré.
La coalition de citoyens qu’il représente affirme avoir identifié souvent des rails dans un piteux état près du centre-ville de Lac-Mégantic depuis le drame de 2013 et elle craint qu’un autre déraillement survienne et fasse encore des victimes.
L’entrevue avec La Presse Canadienne est interrompue lorsque Robert Bellefleur reçoit un appel téléphonique de la part d’un policier du CP.
La conversation est courtoise et le policier signale au citoyen qu’il a été aperçu dernièrement à proximité du chemin de fer, sur la propriété du CP, à un endroit jugé non sécuritaire.
M. Bellefleur profite de cette conversation pour avertir le policier qu’un «rail du secteur, qui doit supporter des trains monstres de plus de 200 wagons et des citernes, est usé à la limite».
Le policier demande au citoyen de lui envoyer des photos et promet de rapporter la situation aux responsables des inspections.
Cinq jours plus tard, des équipes du CP se sont rendues sur les lieux pour remplacer la section de rail identifiée comme étant problématique par Robert Bellefleur.
«Ça ne devrait pas être aux citoyens de faire ce travail d’inspection», a indiqué le porte-parole du groupe de citoyens à La Presse Canadienne après la remise à neuf du rail, en ajoutant que «cela met en évidence la nécessité du rôle de surveillance» de son groupe «face à l’inaction et au relâchement du rôle de protection publique de Transports Canada».
Transports Canada ne peut dire si le rail répondait aux normes
Dans un échange de courriels, Transports Canada assure avoir «considérablement renforcé son programme de surveillance» et que le ministère a «mis en place des mesures et des exigences plus strictes pour protéger les communautés» depuis la tragédie de 2013.
La Presse Canadienne a transmis à Transports Canada des photos du rail jugé problématique, en spécifiant à quel endroit géographique il était situé.
L’agence de presse a demandé au ministère responsable de l’application des règles de sécurité ferroviaire si le rail, avant son remplacement, répondait aux normes de sécurité.
Un porte-parole du ministère a répondu que «la section de rail qui figure dans la photo n’est pas suffisante pour déterminer si le rail répond aux normes de sécurité de la voie» et que les exigences de sécurité «dépendent, entre autres, de la vitesse des trains (classe de voie) et du tonnage brut annuel transporté sur la voie».
Cette réponse ne rassure pas Robert Bellefleur qui soutient qu'il est habitué de «recevoir de telles réponses bureaucratiques de type ''langue de bois'' de la part de Transports Canada».
Le porte-parole du groupe de citoyens a ajouté que bien que les trains ne doivent pas dépasser 16 kilomètres à l'heure dans ce secteur, ils transportent des matières dangereuses, comme du propane, et que le rail est situé à «l'entrée d'une importante courbe dans le secteur où la pente est à son maximum, et ce, à proximité d'une zone résidentielle et de la Polyvalente Montignac».
La Presse Canadienne a également demandé à Transports Canada les rapports d’inspection des rails effectués dans le secteur de Lac-Mégantic dans les six derniers mois et le ministère a répondu qu’il «ne fournit pas de rapports d’inspection au public, car ils contiennent de l’information provenant de tiers», en occurrence les entreprises ferroviaires comme le Canadien Pacifique.
Dans un échange de courriels, la gestionnaire des affaires gouvernementales et des communications du CP a expliqué que «la photo montre l'usure ou le "flow" du rail sur le côté de la voie qui n'entre pas en contact avec la roue» et que «ce n'est pas un défaut ou un enjeu de sécurité».
Stacey Patenaude a ajouté que «nonobstant le fait que la voie identifiée était entièrement conforme, cette section de rail a été remplacée».
La Presse Canadienne a demandé au CP pour quelle raison la section du rail avait été changée même si elle était conforme, mais l’entreprise n’a pas répondu.
Selon le Canadien Pacifique, «la voie de Nantes et de la région environnante est inspectée visuellement et pour les défauts internes régulièrement, au-delà des normes réglementaires», par son «service d'ingénierie pour maintenir la conformité aux normes de sécurité élevées de Canadien Pacifique Kansas City».
Au fil des ans, la Coalition des citoyens et organismes engagés pour la sécurité ferroviaire de Lac-Mégantic a développé une méfiance envers Transports Canada et les entreprises ferroviaires, en raison évidemment des lacunes reliées à la sécurité, identifiées dans plusieurs enquêtes, et qui ont mené à la tragédie de 2013.
Mais même après 2013, des enjeux liés à la sécurité des trains qui transportent des matières dangereuses et l’état des rails à Lac-Mégantic ont fait l’objet de préoccupations.
Par exemple, le 7 mai 2019, l’inspecteur à la sécurité ferroviaire de Transports Canada Jean-René Gagnon a transmis un «avis assorti d’un ordre» à la Central Maine and Québec Railway (CMQR), l’entreprise qui était propriétaire du tronçon de rail qui passe par la ville de Lac-Mégantic, avant que le CP en fasse l’acquisition.
Dans ce document public, l’inspecteur à la sécurité ferroviaire écrit avoir «observé plusieurs situations et préoccupations urgentes nécessitant des réparations immédiates», dont l’usure des rails, et «que le nombre de rails brisés découverts» à la suite d’inspections visuelles entre Farnham et Lac-Mégantic en 2019 «est alarmant».
Le document indique également que le nombre de rails défectueux signalé par véhicule à ultrasons était de 253 en 2018, 185 en 2017, 175 en 2016 et 115 en 2015.
Le 3 septembre 2019, la coalition de citoyens avait mis en demeure l’ancien ministre des Transports Marc Garneau pour que cesse le transport de matières dangereuses entre Farnham et Lac-Mégantic tant que ce tronçon ferroviaire n'était pas réparé.
Trois jours plus tard, le ministre Garneau avait donné un ordre ministériel afin d'obliger la CMQR à restaurer le chemin de fer entre Farnham et Lac-Mégantic, après quo, l'entreprise avait réparé les 253 défectuosités sur le corridor de quelque 200 kilomètres.