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Le premier ministre Justin Trudeau a dû nommer à l'improviste, lundi, le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, à la tête du ministère des Finances pour palier la démission fracassante de Chrystia Freeland, mais il a envoyé le signal qu'il demeurera bien en selle.
Bien que la ministre Freeland ait démissionné en raison de tensions avec M. Trudeau, ce dernier a prononcé une allocution, en soirée, devant des militants libéraux réunis à Gatineau.
Dans son discours d'environ cinq minutes, il a d'emblée reconnu, en anglais, que «la journée n'a pas été facile».
«Les Canadiens ont toute ma confiance, (...) je voudrais être nulle part ailleurs et être premier ministre, c’est le plus grand des privilèges», a déclaré M. Trudeau en français.
Repassant plus tard à la langue de Shakespeare, il a fait allusion aux «jours les plus difficiles du parti» que les militants n'hésitent jamais, selon lui, à traverser pour continuer d'améliorer le Canada, qui «n'est pas parfait».
L'onde de choc causée par le départ de Mme Freeland a retenti dès l'avant-midi, quand celle qui était aussi vice-première ministre a fait son annonce le jour même où elle devait présenter sa mise à jour économique.
Les députés de la formation politique dirigée par M. Trudeau ont convergé, des heures plus tard, dans un édifice de la colline parlementaire différent de leur lieu de rencontre habituel pour une réunion de caucus qui avait été demandée dans les 24 heures par certains députés.
Mme Freeland et M. Trudeau se sont tous deux présentés à cette rencontre qui a débuté en fin d'après-midi pour se terminer au commencement de la soirée.
Un des seuls élus interceptés qui a offert plus que des généralités en réponse aux journalistes, James Maloney, a soutenu qu'il «pense» que le premier ministre «a la confiance du caucus».
Il a été presque aussitôt contredit par son collègue ontarien Chad Collins.
«Je ne vais pas rompre la confidentialité de ce qui s'est passé au sein en caucus, mais je peux dire que nous ne sommes pas unis. Il y a un certain nombre de nos membres qui pensent toujours que nous avons besoin d'un changement de direction (leadership)», a-t-il dit.
L'élu avait signalé, plus tôt sur X, qu'il a «réitéré (sa) demande que le premier ministre démissionne et lance un processus de leadership» au sein du parti. M. Collins faisait partie des 24 libéraux qui ont signé une lettre demandant à M. Trudeau de sérieusement songer à son avenir, en octobre dernier.
En avant-midi, la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, n'a pu cacher ses émotions, visiblement bouleversée par le départ subit de Mme Freeland. «(Elle) est une bonne amie. Nous travaillons très proche (l'une de l'autre) chaque jour. (...) La ministre des Finances est une citoyenne incroyable et je voudrais répondre avec plus d'information quand (j'aurai eu) le temps de penser a cette nouvelle», a-t-elle laissé tomber.
La plupart des députés croisés en soirée sont demeurés muets. C'est le cas de la ministre démissionnaire, qui est tombée momentanément face à face avec la horde de journalistes qui faisaient le pied de grue en sortant d'un ascenseur pour entrer dans la rencontre de caucus.
M. Trudeau, de son côté, est parvenu à éviter les représentants de la presse en arrivant à la rencontre par une entrée différente d'où les journalistes se trouvaient. Le premier ministre avait aussi réussi à contourner ceux-ci en marge de la rencontre de son conseil des ministres, en avant-midi, et de l'assermentation d'un successeur à Mme Freeland, Dominic LeBlanc.
Ce dernier, en plus du rôle de ministre des Finances, conserve ses responsabilités à la Sécurité publique et aux Affaires intergouvernementales.
«Je crois que le premier ministre demeure très concentré sur le travail que nous avons devant nous»
Il a résumé ses discussions de la journée avec M. Trudeau à des conversations portant sur «des questions de coût de la vie» et une panoplie de sujets ne touchant pas le leadership du premier ministre.
«On a parlé des finances publiques, on a parlé du travail que nous avons devant nous avec l'administration de Trump qui sera en poste en janvier», a mentionné le nouveau ministre des Finances.
L'effet d'une bombe créé par la démission de Mme Freeland a donné de l'eau au moulin aux appels à la tenue d'élections générales formulés par le chef conservateur, Pierre Poilievre, et celui du Bloc québécois, Yves-François Blanchet. De son côté, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh a réclamé le départ de Justin Trudeau, mais a systématiquement refusé de se prononcer sur le maintien ou non de l'appui de son parti envers le gouvernement libéral.
Selon une recherche effectuée par la Bibliothèque du Parlement dans les données accessibles publiquement, il semble qu'aucun autre ministre des Finances en fonction n'ait démissionné le jour même d'un budget ou énoncé économique ni même à deux semaines de préavis.
Mme Freeland a annoncé lundi sa décision dans une lettre où elle fustige M. Trudeau pour ses récentes décisions, affirmant ouvertement qu'«au cours des dernières semaines nous nous trouvions en désaccord sur la meilleure voie à suivre pour le Canada».
Selon le chef du Parti conservateur du Canada, Pierre Poilievre, l'annonce de la démission de Mme Freeland «au beau milieu d'une crise économique ici au Canada», ainsi que celle du ministre du Logement, Sean Fraser, qui ne se représentera pas au prochaines élections,démontrent que le premier ministre «a perdu le contrôle».
«Mais il s'accroche au pouvoir. Tout ce chaos, toutes ces divisions, toutes ces faiblesses se produisent alors que notre plus grand voisin et plus proche allié nous impose des droits de douanes de 25 % sous la direction d'un président récemment élu, doté d'un mandat fort. Un homme qui sait identifier la faiblesse et on voit la faiblesse au sein du gouvernement libéral», a déclaré M. Poilievre en point de presse.
Il a lancé un message au chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, l'invitant à placer «le Canada d'abord» et à faire tomber le gouvernement Trudeau.
Le chef conservateur a dit souhaiter la tenue d'élections fédérales rapidement.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, réclame lui aussi des élections dans les plus brefs délais, car, selon lui, «c'est fini pour le gouvernement de Justin Trudeau. C'est terminé. Il faut qu'il prenne acte de la réalité que son gouvernement, qui était déjà passablement dysfonctionnel, vient d'être désavoué par la ministre des Finances qui refuse de lire la mise à jour économique», a-t-il affirmé au sortir d'une rencontre avec la Fédération des chambres de commerce du Québec, à Montréal.
M. Blanchet demande donc au premier ministre d'aller remettre les clés du pouvoir à la gouverneure générale Mary Simon aussi rapidement que possible. «Je n'ai pas l'impression que les gens veulent être en campagne électorale à Noël et au jour de l'An, donc je parle de 2025, mais je pense qu'on est rendu là, que ce gouvernement-là a déjà largement dépassé la date d'expiration», a-t-il fait valoir.
De son côté, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh a été plus vague. Selon lui, les circonstances exigent le départ du premier ministre. «On a la menace de Donald Trump d'imposer des tarifs qui met en péril des centaines de milliers d'emplois au Canada. On a un gouvernement et Justin Trudeau qui s'occupent des chicanes internes au lieu des enjeux qui frappent fort dans la vie des gens», a-t-il affirmé.
«À cause de ça, aujourd'hui, je demande la démission de Justin Trudeau. Il ne peut pas continuer parce que c'est clair qu'il ne s'occupe pas des enjeux qui impactent les gens.»
Interrogé à répétition quant à savoir s'il allait continuer de soutenir le gouvernement ou le défaire advenant un vote de confiance, il a répété à chaque fois que «toutes les options sont ouvertes», sans jamais se prononcer sur ses intentions.