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On savait que ça s’en venait depuis quelques semaines, mais la nouvelle n’a pas provoqué un moins grand émoi : dans une décision majoritaire de 6-3, la Cour suprême des États-Unis a renversé son propre arrêt de 1973 légalisant l’accès à l’avortement.
On savait que ça s’en venait depuis quelques semaines, mais la nouvelle n’a pas provoqué un moins grand émoi : dans une décision majoritaire de 6-3, la Cour suprême des États-Unis a renversé son propre arrêt de 1973 légalisant l’accès à l’avortement, Roe v. Wade.
Ce sera désormais aux États individuels de décider de la légalité (et des paramètres) de l’accès à ce soin de santé. On anticipe déjà qu’environ la moitié des 52 États américains mettront rapidement en œuvre des lois afin de limiter sévèrement, voire de criminaliser, toute tentative de mettre fin à une grossesse.
Dans certains cas particulièrement cruels, même les fausses-couches et les grossesses ectopiques, phénomènes sur lesquels les personnes enceintes n’ont pas de contrôle et durant lesquels l’interruption de grossesse peut littéralement leur sauver la vie, seront considérées comme criminelles.
Autrement dit, chez nos voisins, les citoyennes viennent de perdre l’une des libertés les plus fondamentales, soit celle de disposer de leur propre corps. Venant du pays qui s’autoproclame le « leader du monde libre » -- où il n’existe toutefois aucun droit à un congé de maternité, et aucun accès universel à des soins de santé, soit dit en passant — la sombre ironie saute aux yeux.
Nombreux ont été les politiciens canadiens à dénoncer ce revers pour les droits des Américaines, à commencer par notre premier ministre qui a publié plus tôt sur Twitter : « Les nouvelles en provenance des États-Unis sont horribles. Je suis de tout cœur avec les millions d’Américaines qui vont perdre leur droit légal à l’avortement. J’ai peine à imaginer la peur et la colère qui doivent vous habiter en ce moment. » D’autres élus se sont dits heureux d’habiter au Canada, où ce droit est considéré comme acquis depuis l’arrêt Morgentaler de 1988.
Or, lorsqu’on observe ce qui se passe sur le terrain, on se rend compte que le Canada n’est pas exactement un paradis en matière d’accès à l’avortement. La procédure est effectivement décriminalisée depuis maintenant près de 35 ans. Mais pour des milliers de femmes d’ici, en particulier les jeunes, les femmes marginalisées, ainsi que celles habitant hors des grands centres urbains, l’obtention d’un avortement est difficile, voire pratiquement impossible. Et contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les provinces, administratrices des services de santé, qui sont les seules à pouvoir agir pour rectifier la situation.
Bien sûr, certaines provinces ont des vues particulièrement obtuses sur la question. Par exemple, l’Île-du-Prince-Édouard n’a commencé à offrir l’avortement qu’en 2017, et à un seul point de service. Plusieurs provinces n’ont pas de cliniques d’avortement ou encore, refusent de payer les avortements qui y sont effectués, et ce n’est qu’une fraction des hôpitaux qui offrent la procédure.
Quelques provinces limitent l’accès à l’avortement à pas plus tard que douze semaines de grossesse (et aucune n’accepte l’avortement après 20 semaines de gestation à l’exception du Québec, qui le permet jusqu’à 23 semaines) ; les listes d’attentes pour voir un médecin pousseraient plusieurs patientes au-delà de cet échéancier. Au Nouveau-Brunswick, il faut obtenir l’approbation préalable de pas un, mais deux médecins différents. La liste de restrictions est longue, très longue.
La solution passe-t-elle donc par une loi fédérale obligeant l’accès universel à ce soin de santé ?
Selon les experts, ce n’est pas si simple. De légiférer afin d’assurer l’accès à l’avortement pourrait avoir l’effet-surprise d’ouvrir la porte, sous un gouvernement radicalement plus conservateur, à l’adoption d’une législation allant dans le sens contraire.
Une alternative qui ne nécessite pas l’adoption d’une nouvelle loi existe cependant, et elle passe par le portefeuille. Par l’entremise de fonds dédiés dans le cadre du Transfert canadien en santé, Ottawa aurait la possibilité de veiller à l’accès universel à ce soin de santé, ou encore de punir les provinces qui n’y voient pas elles-mêmes en retranchant des portions significatives du transfert.
Bien sûr, cette mesure serait loin d’être populaire auprès des provinces, le Québec au premier chef qui y verrait une énième ingérence du fédéral dans son propre champ de compétence. Mais alors que le Conseil de la fédération réclame depuis deux ans une augmentation importante du Transfert en santé à la hauteur de 28 milliards de dollars, il y a là une opportunité pour M. Trudeau d’utiliser ces demandes comme levier de négociation.
Pour un premier ministre se targuant d’être féministe, il est plus que temps de mettre ses paroles en action et de démontrer que le respect des droits des femmes lui tient réellement à cœur — et ce, dans son propre pays.