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L’idée semble parfaite sur papier pour pallier les listes d’attentes. Or, mon malaise est plein et entier.
La nouvelle a été rapidement saluée.
Le Collège des médecins et l’Ordre des pharmaciens y entrevoient la promesse d’un accès facilité à des soins de santé mentale. Même son de cloche chez les conseillers d’orientation, les infirmières cliniciennes, les psychologues, les sexologues et les orthophonistes.
C’est que la semaine dernière, la ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor du Québec, Sonia Lebel, a déposé le projet de loi 67. Si adopté, il élargirait les pouvoirs de ces professionnels du réseau de la santé et des services sociaux. Plusieurs d’entre eux pourraient dorénavant diagnostiquer certains troubles mentaux sans avoir à consulter un médecin au préalable.
L’idée semble parfaite sur papier pour pallier les listes d’attentes. Or, mon malaise est plein et entier. Si la pose d’un diagnostic psychiatrique peut faciliter l’accès à une médication peut être aidant, il n’en demeure pas moins qu’il arrive trop souvent que ces diagnostics soient utilisés pour discréditer la parole et gaslighter celles et ceux les ayant reçus. Paradoxalement, ça arrive aussi dans certains espaces où l’on s’évertue à (se) dire que l’on «aide la communauté».
Une récente étude menée, entre autres, par la professeure en travail social à la TELUQ, Katharine Larose-Hébert a documenté un phénomène commun: la surpathologisation à outrance des femmes ayant survécu à des violences. Celles qui sont affublées de façon disproportionnée d’être TPL (trouble de personnalité limite) sous fond d’un sexisme crasse qui ne dit pas son nom.
La colère des femmes serait une tare à éliminer à tout prix, plutôt que la manifestation la plus aboutie d’un amour-propre, une manière de dire «je suis quelqu’un et vous n’avez pas le droit de me traiter comme ça».
Céline Lamy s’alarme, elle aussi, de l’épidémie de diagnostics du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H). Dans son récent essai, Le drame des enfants parfaits, la pédopsychiatre d’expérience vise dans le mile dès ses premières lignes, par une dédicace sentie aux enfants, ces lanceurs d’alerte «qui, par leurs malaises, leurs symptômes, leur agitation [et] leurs mouvements perpétuels dénoncent inconsciemment un système censé les faire grandir.»
Qui plus est, le mois dernier, La Presse rapportait les propos d’acteurs clés du terrain ayant observé une corrélation non surprenante entre la crise du logement qui sévit et les raisons pour lesquelles plusieurs consultent en psychiatrie.
Loin de moi l’idée de vouloir nier l’existence des maladies mentales. L’errance diagnostique, soit le fait de ne pas connaître le nom du mal qui nous afflige peut emmener une détresse bien réelle.
Or, il est impératif de s’interroger sur ce discours banalisé, celui qui permet à des individus lambda de s’improviser experts en psychiatrie, en deux temps, trois mouvements, après avoir feuilleté les pages du DSM-IV entre quelques articles de psychopop bidon trouvés sur les zinternets.
Enfermer une personne dans une étiquette pour «s’éviter le trouble» de l’écouter est alléchant dans notre monde au rythme effréné. Les imbrications de ce déni d’humanité avec les exigences de plus en plus suffocantes du capitalisme sont limpides.
Il faudra aussi parler de cette stigmatisation à deux vitesses. Cette manière dont l’anxiété et la dépression ne sont pas considérées au même titre que la schizophrénie, cette dernière jugée plus «grave».
Ou de cette pluie de diagnostics erronés. Ces autistes que l’on méprend pour des bipolaires. Ces surdoués qui passent sous le radar de l’école et de la maison. Car, être doué serait au mieux, une «chance» et au pire, un truc élitiste dans le royaume du «né pour un petit pain».
Pourtant, on peine à s’imaginer le poids que portent celles et ceux qui comprennent sans être pouvoir compris en retour. Prescrire des pilules à la va-vite à tous ceux et celles qui cassent le moule des normes sociétales comme seule et unique solution à leurs soucis est toujours plus économique en temps et en énergie.
Ajoutez à cela, une couche de racisme ou un manque d’argent qui entravent la capacité à se faire évaluer adéquatement, et le portrait se complique. Recoller les pièces du puzzle pour y voir clair est une entreprise périlleuse à laquelle même les plus éminents spécialistes peuvent faillir lamentablement, faute de formation.
Certains comportements perçus comme pathologiques prouvent la sainteté d’esprit d’une personne. L’ampleur de l’émotion d’une personne peut aussi être proportionnelle au tort qu’elle a subi.
Malheureusement, lorsque l’on est incapable de s’adapter à un environnement toxique, on devient le problème. Combien d’organisations perdent tous leurs meilleurs joueurs les uns après les autres, sans jamais réfléchir à son leadership et à sa culture interne? Quand tout le monde abandonne un navire, c’est le navire qu’il faudrait penser aussi à réparer avant qu’il ne coule.
En somme, la travailleuse sociale en moi voit de nombreux angles morts dans le projet de loi 67, dans ce qu’il dit, mais surtout, dans ce qu’il ne dit pas.
À défaut d’appréhender la détresse humaine de manière holistique, toute tentative de panser les maux psychiques des Québécois n’aura l’effet que d’un coup d’épée dans l’eau.
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Il y a lieu de s’inquiéter de ce tonnerre d’applaudissements qui ensevelit toute perspective critique à la suite de cette annonce de la ministre LeBel.
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