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Avec le dépôt du projet de loi 15, la «refondation» aura bien lieu. Certains diront qu’il se donne les moyens de ses ambitions, d’autres qu’il risque de s’enfarger dans cette nouvelle réforme. Bien malin pourrait savoir qui a raison.
Le mammouth est sorti du sac: nous vivrons une vaste réforme du réseau de la santé. C’est d’ailleurs ce qui m’a un peu surpris à la lecture entamée, mais pas complétée, de l’immense projet de loi déposé par le ministre Christian Dubé.
Il m’avait pourtant semblé au moment du dépôt du Plan Santé l’an dernier annonçant la volonté du ministre d’améliorer le réseau de la santé, qu’il ne souhaitait pas vraiment s’engager dans une réforme des structures.
Même s’il avait parlé un temps de «refondation», c’était plus modestement une «mise en œuvre des changements nécessaires en santé» qui devait ensuite être discutée. On parlait de décloisonnement des pratiques, d’accès aux données, de rénovation des CHSLD, de diminution des listes d’attente en chirurgie, ce genre de sujets.
Avec le dépôt du projet de loi 15, la «refondation» aura bien lieu. Certains diront qu’il se donne les moyens de ses ambitions, d’autres qu’il risque de s’enfarger dans cette nouvelle réforme.
Bien malin pourrait savoir qui a raison.
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Concrètement, une fois le projet de loi adopté et les changements complétés, vous ne consulterez plus vraiment à l’Hôpital de Gatineau ou dans un CHSLD de Shawinigan, mais chez Santé Québec, où vous rencontrerez une employée de Santé Québec qui vous fera remplir un formulaire où sera imprimé «Santé Québec» en haut à gauche.
La volonté de simplification des structures est au cœur du projet de loi.
Le ministre Dubé pense que le regroupement des opérations au sein de Santé Québec permettra de mieux livrer les services. C’est fort possible, cette hypothèse n’ayant évidemment jamais été testée chez nous.
Il est vrai, comme j’ai pu constater durant mes 33 années de pratique, la plupart du temps dans des positions de gestion médicale, que les gens se divisent grosso modo en deux groupes: ceux qui excellent pour donner les orientations et ceux qui sont plus habiles pour organiser les soins sur le terrain.
La proposition du ministre de regrouper tous les «opérateurs» au sein de Santé Québec pourrait être en soi la bonne solution, sauf qu’accomplir un changement de cette ampleur dans un avion en vol reste un sacré défi. Un défi qui pourrait mener à un enlisement s’il n’est pas réalisé de manière experte en investissant les ressources requises.
Des questions se posent avec d’autant plus d’acuité que les établissements vivront eux-mêmes une série de transformations, la réforme touchant leur structure interne.
On retournera par exemple à un modèle souhaitable où chaque site — CLSC, CHSLD, Hôpital, notamment — disposerait sur place d’une personne-cadre responsable, sans doute pour mieux prendre en charge des situations critiques, telle une crise comme celle des CHSLD durant la pandémie.
Ces gestionnaires se retrouveront toutefois dans un environnement en mouvance durant les prochaines années. Le projet de loi transformera en effet en profondeur la gouvernance des établissements, en modifiant les titres et les responsabilités et aussi dans ses liens avec le gouvernement.
Abolir les conseils d’administration des établissements pour les convertir en conseils d’établissements n’est pas si simple qu’il en paraît. Même si on rehaussera la présence de représentants des patients et du milieu dans ces nouveaux conseils, qui perdront du pouvoir — l’effet net reste incertain.
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Mais surtout, chaque établissement se fondera dans l’immense ensemble de Santé Québec.
Autant cela facilitera la cohérence de l’ensemble, autant cela pourrait compliquer les opérations, effet fréquent d’une telle centralisation, quand tout se met à rouler un peu carré comme on l’a vu dans d’autres dossiers. Citons le regroupement des laboratoires avec Optilab par exemple.
Je ne pense toutefois pas que la taille de Santé Québec soit nécessairement un problème. Il existe des organisations unifiées, comme Kayser Permanente aux États-Unis, qui sont des modèles d’efficacité, de qualité et d’intégrité.
Sauf que ce modèle, louangé par bien des experts, possède trois atouts qui ne sont pas encore disponibles chez nous: la pérennité d’une institution organique fondée en 1945 ; des systèmes d’information à la fine pointe permettant de connaître tout ce qui s’y passe en temps réel ; et des soignants et gestionnaires agissant sous l’inspiration d’une vision commune et partagée.
Reste à voir si Santé Québec favorisera la bonne santé des Québécois, le but de l’affaire.
Même si le projet comporte de bonnes idées, il affectera tellement de gens et de réalités qu’il faudrait être un devin boosté par ChatGPT pour deviner si votre diabète sera mieux contrôlé ou votre opération pour la hanche plus ou moins rapide.
Parce qu’au-delà des structures, les soins dépendent surtout du déterminant fondamental de l’accès à la santé, à savoir la disponibilité réelle des professionnels à offrir des soins appropriés.
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On peut se demander si le projet de loi possède les ingrédients pour remplir une promesse-phare du ministre, celle de faire du réseau de la santé un employeur modèle, favorisant à la fois le recrutement et la rétention.
De ce point de vue, les réactions plutôt mitigées des syndicats montrent qu’ils ne le perçoivent pas comme une panacée, sans toutefois tirer dessus à boulets rouges.
Tout le monde en est encore à l’étape de la lecture !
Il est tout de même légitime de se demander si la réforme proposée par le ministre Dubé était souhaitable, si elle est la bonne, si elle est bien modulée, si elle atteindra ses buts.
La réponse la plus simple est que le ministre est convaincu que la structure actuelle ne répond pas adéquatement aux besoins de soins de plus en plus poussés, prodigués à des personnes de plus en plus âgées, dans un environnement de plus en plus complexe.
Bref, que le monde change et que le réseau devait changer aussi.
Peut-être que nous en sommes à ce point décisif où changer est nécessaire pour affronter ces défis. Pour avoir vu la médecine et les patients autant se transformer depuis 33 ans, j’aurais tendance à penser que c’est vrai.
Reste à voir si nous avons la capacité d’affronter ces nouveaux changements, qui n’en doutons point, déstabiliseront les organisations durant les prochaines années, au moment où on souhaite rattraper les retards causés par la pandémie.
S’il veut réussir ce pari, le ministre Dubé n’a pas le choix : pour aider de son mieux le réseau, il doit faire des soignants de vrais alliés de la réforme — ce qui n’est pas encore acquis, si on se fie aux réactions préliminaires.
Ensuite, après avoir proposé son vaste projet, il doit se mettre à l’écoute, pour voir comment l’améliorer. L’imposer sans nuance minerait le principal levier permettant d’en assurer la réussite, la collaboration.
Il n’aura cependant pas à convaincre de la nécessité de changer, tout le monde en est déjà convaincu. Quant à savoir si Santé Québec constituait le bon changement, on ne pourra le comprendre que dans quelques années.