La vie financière n’est pas une recette de gâteau à la purée de dattes. Pire encore, plus on met le pied dans la vie financière adulte, plus la situation devient complexe. Plus les revenus augmentent, plus les finances personnelles passent d’un dessin monochrome d’un enfant de quatre ans à une thèse de maîtrise financière et fiscale. D’accord, j’ajoute de la moutarde à mon histoire pour dire que la privation est toujours implicite quelque part. Mais, de quelle privation parle-t-on?
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Se priver, ça veut dire quoi?
Selon le dictionnaire Larousse, l’action de «se priver» peut se définir comme «Ôter à quelqu’un la jouissance d’un droit, d’un bien». Ah! Finalement, se priver revient à avouer que chaque décision financière amène un coût de renonciation. Quand on épargne, on se prive d’autre chose. Quand on dépense, on se prive d’épargne. D’un point de vue de sémantique, la prémisse du magazine est fausse. Maintenant, si on dit que l’on peut épargner sans se priver au sens «de ne pas avoir un sentiment excessif de privation», ce n’est pas plus simple. Ça dépend du point de vue.
Quel est votre profil?
Pour avoir l’impression d’épargner davantage sans «trop se priver», ça veut dire qu’on a un certain pouvoir sur le jeu des revenus et des dépenses. On a une marge de manœuvre latente. Il y a une infinité de profils financiers chez l’individu, lequel vous ressemble?
- Le désorganisé: Il paye le prix de ne pas gérer ses paiements. Il cumule les retards, les intérêts, les pénalités. Il ne négocie pas périodiquement ses forfaits de cellulaire. Il ne partage pas des abonnements ou des coûts avec des voisins ou des amis. Il paye le prix élevé de ses déplacements impulsifs. Il ne conserve pas ses papiers de façon à optimiser sa fiscalité. Il ne planifie pas les besoins du ménage. En achetant un bien au moment exact où il en a besoin, il laisse passer des occasions de prêts, de rabais ou d’achats de biens usagés. Il pourrait épargner davantage, mais il devrait se priver de sa nonchalance et investir du temps pour organiser ses affaires. Il se priverait de l’insatiable plaisir de la désorganisation. Devenir «financièrement un adulte» est pour lui la pire insulte à sa liberté.
- Le simpliste volontaire: Les attentes du simpliste sont faibles au niveau du confort et de la consommation. Il applique déjà tous les trucs ou se prive déjà de ce que d’autres considèrent comme la base. Alors, il a beau vouloir épargner sans se priver: il se prive déjà. Les trucs des médias pour «optimiser son budget» le font sourire. Pour économiser davantage, on lui demande de se priver pas mal d’un confort essentiel. L’autre option pour le simpliste est d’augmenter ses revenus. Le simpliste doit donc se priver de temps libre qu’il a pour justement faire preuve de simplicité financière.
- Le bourgeois: Le privilège vient avec la capacité de paiement. Le confort étant une forme de drogue, le privilégié ou le bourgeois devient souvent victime de son passé. Plus on touche au confort, plus on est drogué, moins on est prêt à le baisser. Donc, pour un bourgeois, la marge de manœuvre réelle existe, mais les efforts mental et physique deviennent le principal obstacle. Dans son discours, il finit par devenir élitiste. Quand il regarde un bien ou un service, il pense qu’il mérite ou qu’il a «besoin» de quelque chose qui dépasse le budget de la moyenne des ours. Il a déjà goûté à mieux. Le bourgeois a donc parfois le sentiment de privation à des niveaux de consommation que la moyenne jugerait superflus.
- Le prisonnier: On peut être prisonnier de plusieurs façons. Prisonnier de dettes, d’une formation générale inexistante ou difficile à vendre à gros prix, d’un conjoint qui plombe ses finances, d’une famille avec des besoins particuliers, d’un horaire de travail difficile, etc. Les prisons sont multiples. La particularité du prisonnier est le manque de contrôle sur ses finances dû à son environnement physique, professionnel, familial ou une combinaison de multiples facteurs. Le couple peut être une prison où l’un plombe les efforts de l’autre. Alors, venir dire au prisonnier qu’il peut épargner davantage sans se priver pourrait être perçu comme un acte de provocation.
- Le performant: le performant peut monnayer facilement sa valeur marchande. Quand il travaille, c’est payant. À cause de la fameuse règle des «3 R», il peut se vendre à fort prix. Parce que son client ou l’employeur veut payer son Rendement, sa Rareté ou le Rejet de ses fonctions par la population (d’où les «3 R»). Pour le performant, la privation se présente sous deux formes. Il a payé le prix de sa création de valeur au cours des dernières années. Il a trimé dur pour la faire reconnaître. Peu importe ce qu’il a fait, le profil performant a laissé un prix sur la table. Aussi, il peut augmenter sa cadence de travail pour épargner davantage et hypothéquer sa qualité de vie. Ainsi, quand on dit au performant qu’il peut épargner davantage sans se priver: il soupire.
- Le panier percé: L’argent lui brûle entre les mains. Dépenser est une seconde nature comme manger et dormir. Une journée sans sortir des dollars pour compenser un certain manque lui semble une journée perdue. Le panier percé est insouciant ou dépendant. Pour lui, l’effort est psychologique. Se gérer est une forme de privation, même si c’est au prix de sa stabilité financière.
Évidemment, rien n’empêche l’un d’être un cumul d’un ou plusieurs profils. Par exemple, on peut être Performant-Simpliste-volontaire, Bourgeois-Prisonnier, ou Prisonnier-Panier-percé.
Chacun son profil et chacun ses défis. En aucun temps, on ne peut simplifier ou juger du niveau de privation de chacun.
Il n’y a rien de gratuit. Point.
Tout demande un effort. Tout choix demande de renoncer à du confort, du temps, du plaisir, de la qualité, de possession, de la joie, du repos, de la confiance en soi, du divertissement, etc.
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Il n’y en aura pas de magie. Il faut une notion de sacrifice, plus ou moins grand pour épargner. Pourquoi ? Parce qu’il faut renoncer à un bénéfice immédiat pour plus tard. Il faut avoir la vision de travailler pour soi, pour les autres (taxes et impôts) et pour soi-même dans 10, 15 ou 25 ans.
Alors, quand on vous lance un «économisez sans vous priver», vous avez le droit à l’exaspération. Vous avez le droit d’être humain. Vous avez le droit de vous dire «facile à dire».
Chose certaine, les économies de bouts de chandelle sont anecdotiques pour certains et déjà réalisées pour d’autres. Avec l’inflation et les hausses successives de taux directeur, la privation fait partie du quotidien de bien des ménages en 2023.
Le «épargner sans se priver», c’est le nouveau «acheter sans mise de fonds».
Mon détecteur de bullshit est dans le tapis.