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Autopsie du pari perdant de Kamala Harris.
Les stratégies de (micro)ciblage de la campagne de Kamala Harris ont échoué à plusieurs niveaux, notamment dans leur mobilisation des jeunes femmes et des indépendants.
La couverture intense de la campagne présidentielle américaine a généré beaucoup de discussions quant aux groupes d’électeurs que Kamala Harris et Donald Trump devaient mobiliser pour l’emporter. Chacun des candidats a ciblé des segments de l’électorat, catégorisés selon leurs caractéristiques sociodémographiques, pour bâtir une coalition d’électeurs leur permettant de remporter 270 votes au collège électoral.
Par exemple, la stratégie de Harris mettait beaucoup l’accent sur les indépendants, les minorités (visibles et linguistiques) et, surtout, les femmes, pour lesquelles la candidate mobilisait constamment l’enjeu de l’avortement étant donné les reculs au niveau des droits reproductifs.
Les ciblages se sont complexifiés pour permettre des analyses dites «intersectionnelles», c’est-à-dire des analyses qui se penchent sur l’intersection (ou l’interaction) entre deux facteurs sociodémographiques. Ce type d’analyse met en lumière des tendances dans le choix électoral de certains groupes qui seraient passés sous le radar sans ces croisements.
Les médias ont beaucoup parlé des attitudes divergentes des hommes et des femmes à l’intérieur des différents groupes d’âge. De manière générale, les femmes préfèrent le Parti démocrate au Parti républicain, mais cet écart deviendrait nettement plus important chez les électeurs plus jeunes (p. ex., moins de 30 ans). Autrement dit, dans les sondages pré-électoraux, l’effet du genre prenait tout son sens lorsqu’on examinait l’écart qui semblait extrêmement fort entre les jeunes femmes et les jeunes hommes.
Maintenant que nous avons accès aux sondages de sortie des urnes, il est possible d’examiner, de manière préliminaire (avant la sortie publique de l’American National Election Study), si ces tendances se sont matérialisées.
Selon le sondage de NBC, l’effet du clivage générationnel à l’intérieur du clivage de genre est intéressant, mais il est surtout beaucoup moins fort que ce qui était prévu, et ce, au détriment des démocrates.
Chez les électeurs de 18-29 ans, 49% des hommes ont voté pour la candidate démocrate contre 63% des femmes. Cet écart de 14 points de pourcentage semble, à première vue, imposant. Il faut toutefois le comparer avec celui observé entre les hommes et les femmes qui ont plus de 30 ans, qui, lui, est d’environ 10 points de pourcentage. Autrement dit, les jeunes hommes et les jeunes femmes se démarquent les uns des autres de seulement 4 points de pourcentage de plus que les personnes des tranches d’âges supérieures.
Cet effet n’est pas futile, mais n’est pas non plus énorme. D’autant plus que l’on s’attendait à ce que les jeunes femmes se mobilisent pour les démocrates, en particulier dans un contexte où les droits reproductifs, qui concernent encore plus les jeunes femmes, sont en périls. D’ailleurs, une partie substantielle des efforts de la campagne démocrate étaient consacrés à ce groupe.
Le même constat s’applique lorsqu’on se concentre sur l’effet du niveau d’éducation: bien que les personnes plus éduquées aient clairement davantage appuyé Harris que Trump, les démocrates n'ont pas d’appui particulièrement plus fort chez les femmes plus éduquées comparativement aux hommes plus éduqués. En effet, l’impact d’avoir un diplôme universitaire est de 22 points de pourcentage en faveur des démocrates chez les femmes, alors qu’il est de 18 points chez les hommes.
Au final, les démocrates devront assurément réviser leurs stratégies électorales en vue des élections de mi-mandat de 2026. Même s’il y aura toujours des groupes à cibler, ils devront développer une stratégie beaucoup plus large s’ils souhaitent améliorer leur score.
Les changements démographiques devraient avantager les démocrates au fil du temps, notamment avec l’augmentation de la proportion d’électeurs avec une éducation universitaire et avec la diversification de la composition ethnique de l’électorat. L’élection présidentielle de 2024 illustre toutefois que de mettre son succès électoral dans les mains d’une coalition relativement restreinte d’électeurs et d’électrices peut parfois être payant, mais que cela reste risqué. Aujourd’hui, nous savons que ce pari n’a pas été gagnant pour Kamala Harris.