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Isolées de la société à la naissance et «élevées avec des informations erronées», ces personnes qualifient aujourd’hui la Mission de l’Esprit-Saint de «prison», de «secte», voire de «lavage de cerveau». Elles exhortent désormais le gouvernement du Québec, notamment le ministère de l’Éducation, à intervenir.
La journaliste et cheffe d’antenne du bulletin de nouvelles Noovo Info 17, Marie-Christine Bergeron, a recueilli leurs histoires choquantes dans le cadre de la série documentaire La prison de l’Esprit-Saint, présenté sur Crave et réalisé par Isabelle Tincler.
Et pour la première fois, un ancien haut placé du mouvement brise le silence et nous aide à mieux comprendre ce qu’on y enseigne.
Voyez La prison de l'Esprit-Saint dès aujourd'hui sur Crave.
Autrefois connu sous le prénom de Laflèche en l’honneur du fondateur Eugène Richer dit Laflèche, Félix Morin ne mâche pas ses mots quand il énumère les nombreux problèmes qui subsisteraient au sein du mouvement depuis le début du XXe siècle.
«C’est une organisation religieuse qui est néfaste pour ses membres. Son histoire est jonchée de vies et de familles brisées», avance Félix Morin, qui a pourtant dédié un long chapitre de sa vie à titre de serviteur de la MES. «J’ai perdu énormément de temps de ma vie pour rien. Une partie de ma vie a été annihilée et brisée.»
De jeunes femmes livrent, elles aussi, à visage découvert, des témoignages bouleversants illustrant une réalité ressemblant à celle «des années 1950».
On parle d’isolement, de mariages à 16 ans, d’enseignements douteux dans les écoles, de dîmes importantes, de mensonges sur le «monde extérieur», de menaces, etc.
Des femmes qui ont eu le courage de se confier affirment avoir été battues à répétition par leurs parents. Certaines d’entre elles disent avoir été abusées sexuellement par des proches alors qu’elles étaient mineures.
Mila-Rose et Laura racontent avoir tout abandonné avant de souffler leurs 18 bougies pour échapper à une vie qui leur était «prédestinée» aux yeux de la Mission: devenir une mère au foyer, avoir plusieurs enfants, et ce, sans avoir la chance d’obtenir de diplôme.
«Tout ce qui provenait de l’extérieur était carrément Satan. À 6 ans, on se faisait dire qu’on va être maman», lance pour sa part une prénommée Richère, première membre de sa famille à avoir quitté la Mission.
Richère ajoute que des membres de la Mission l’ont déjà prévenue qu’elle allait perdre la garde de ses enfants quand elle s’est tournée vers un CLSC afin de traiter une dépression.
Il faut «avoir des enfants jusqu’à ce que notre corps ne le permette plus», ajoute Félix Morin, qui a décidé de dévoiler les raisons de son départ à la communauté avant de quitter la Mission pour le bien de sa progéniture.
Félix a d’ailleurs créé un site web illustrant les «vérités de la Mission de l’Esprit-Saint».
Pourquoi autant d’anciens membres dénoncent-ils le mouvement? Quelle est la Mission de l’Esprit-Saint? Quelles sont ces croyances? La série documentaire La prison de l’Esprit-Saint lève le voile sur ce groupe religieux controversé.
Fondée dans les alentours de 1913 par l’ancien policier de Montréal Eugène Richer dit Laflèche, la Mission de l’Esprit-Saint serait basée sur l’eugénisme – la recherche de l’amélioration de la population humaine en contrôlant la reproduction. Son objectif: créer l’humain parfait grâce à un travail étendu sur plusieurs générations et les connaissances d’Eugène Richer, explique Marie-Andrée Pelland, présidente d’Info-Secte.
«Ils veulent amener Dieu sur Terre par le biais d’enfants qui n’ont aucun péché. Ils veulent enrayer les péchés de la chair au fil des générations», dit pour sa part Théo, un ancien membre qui a décidé de dénoncer ce qu’il a vécu dans un établissement de la Mission, située à Saint-Paul, dans Lanaudière.
Dès son adolescence, Mila-Rose écrit dans son journal intime qu’elle doute de la réalité dépeinte par la Mission de l’Esprit-Saint:
«Depuis que je suis jeune, je veux partir de la Mission, car je sais que ce n’est pas la réalité. J’enviais les enfants qui s’approchaient de leurs parents sans avoir peur qu’ils les frappent.»
Laura, l’une des cousines de Mila-Rose, exhume des souvenirs similaires. «Pour nous, c’était normal de se faire battre. Une fois, quand j’avais 7 ans, mon père m’a tellement frappé que j’avais les fesses mauves. Je n’étais pas capable de m’asseoir.»
«Les frères apprenaient leur sexualité sur nous autres. Ils nous montraient de la "porn" et se crossaient en nous regardant. […] Quand j’ai dit à ma mère que mon frère m’avait montré son pénis, elle m’a frappé et m’a dit d’en parler à personne.»
En entrevue dans La prison de l’Esprit-Saint, Cristelle, qui est une mère de famille, ne peut retenir ses larmes en revenant sur son ancienne vie.
«Quand tu sors [du mouvement] à 25 ans, que tu as six enfants et que tu n’es pas allée à l’école… tu te demandes qui tu es», laisse tomber Cristelle, un trémolo dans la voix.
Au fil des années, la Mission se serait divisée en plusieurs factions sans que certains membres ne soient au courant. Théo admet qu’il ne connaissait pas l’existence des autres établissements situés à Montréal, Lavaltrie et à Anjou.
Dixième enfant d’une famille de 11, Théo a fait comme Félix Morin: il a quitté la communauté il y a cinq ans afin d’assurer un meilleur avenir à ses enfants, à qui il veut prodiguer une éducation convenable.
Il demande d’ailleurs l’aide du gouvernement Legault. «S’il vous plaît, Monsieur le Ministre de l’Éducation, aidez ces jeunes-là», supplie Théo.
Noovo Info a visité l’Académie de la Vallée du Roy, une école privée appartenant à la Mission de l’Esprit-Saint de Lavaltrie, pour tenter de voir ce qu’il en est. Sur place, l’établissement scolaire soutient qu’il détient un permis du ministère de l’Éducation, sans se dissocier totalement du mouvement. «On fait ce que le Ministère demande», assure-t-on.
Mais les anciens membres répètent ad nauseam ne pas avoir reçu d’éducation permettant d’interagir avec le «monde extérieur» et qu’on enseigne «aux enfants des valeurs controversées toujours en 2024».
Les planètes n’existeraient pas et l’univers «serait vide» pour la Mission de l’Esprit-Saint, selon les récits de Félix, Théo, Mila-Rose et Laura.
«Le Soleil est le reflet des flammes de l’enfer, c’est ce qu’on nous enseigne», révèle Félix Morin.
Mila-Rose se rappelle avoir appris que «la Terre est faite en poire et qu’elle n’est pas ronde» lors de son enfance.
Y enseigne-t-on ces informations aux enfants à l’Académie de la Vallée du Roy? «On n’est pas la même branche», répond une représentante de l’établissement.
De son côté, le ministère de l’Éducation confirme avoir octroyé un permis à l’Académie de la Vallée-du-Roy. Par écrit, le ministère explique que puisque l’établissement respecte les critères administratifs et que le ministère effectue des interventions pour surveiller les enseignements, la Mission de l’Esprit-Saint a le droit de tenir cette école.
Le ministère de l’Éducation a toutefois refusé une demande d’entrevue, à l’instar des établissements de la Mission de l’Esprit-Saint d’Anjou, de Saint-Paul et de Lavaltrie.
Au final, pourquoi chercherait-on à contrôler l’enseignement? «L’un des fondements d’un groupe sectaire, c’est le contrôle des connaissances pour éviter la confrontation des idées», souligne Mme Pelland.
Outre ce qui concerne le permis du ministère de l’Éducation, la Mission bénéficie également des avantages fiscaux des organisations religieuses au Québec et au Canada, explique le professeur agréé à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, Luc Grenon.
Les lieux de culte bénéficient de plusieurs avantages en vertu de la loi provinciale, mentionne M. Grenon:
«C’est l’équivalent d’obtenir des subventions», dit le professeur. «Autant au fédéral qu’au provincial, on subventionne la religion. L’Union des municipalités du Québec s’est-elle réunie pour demander ça au gouvernement dans le contexte de la laïcité?»
Au-delà de ces avantages gouvernementaux, il serait exigé aux membres de verser 10% de tous leurs revenus, héritage ou cadeaux en dîme à la Mission afin de remercier Dieu.
«T’as peur de ne pas payer ta dîme, car il va t’arriver des châtiments. Dieu va te punir», raconte Théo.
«On te disait: “si tu ne payes pas, ne sois pas surprise si ton enfant tombe malade”», se souvient Cristelle.
Lors du tournage de La prison de l’Esprit-Saint, Théo, accompagné de Marie-Christine Bergeron, est revenu en avril dernier sur les lieux où il a grandi et passé la majorité de ses dimanches. C’est à ce moment qu’un orateur est sorti de l’établissement pour confronter la journaliste de Noovo Info et son caméraman.
Il a demandé de ne pas filmer l’établissement lors de leur célébration annuelle: le Jour du Pardon.
Mme Bergeron a décidé de poser plusieurs questions au serviteur, notamment en se basant sur les témoignages recueillis.
«Pensez-vous qu’on oblige le monde comme si on était une criss de secte?» a-t-il répondu.
Un segment de la série documentaire montre l’orateur vanter les mérites de l’école à la maison et montrer du doigt les écoles publiques, qui sont contre «leurs valeurs», car on y «encourage les gens à avoir le vaccin et à ne pas avoir d’enfants».
Questionné sur les femmes obligées de se marier à 16 ans, l’homme ajoute qu’il s’agit d’une mauvaise compréhension des choses. « Pourquoi c’est un problème si l’homme est sérieux et prend soin de sa femme? On ne change pas un enseignement de même.»
À ses yeux, une femme au foyer occupe le plus grand rôle au sein d’une famille. «Il ne faut pas que les gens qui nous enseignent soient des femmes. C’est impossible, car ça a toujours été comme ça…»
Ayant eu la force de quitter ce mouvement et de commencer une nouvelle vie, Mila-Rose et Laura disent éprouver un énorme vide malgré tout. Elles ont dû sacrifier leur famille. Richère a dû couper les ponts avec les siens pendant neuf ans après avoir quitté la Mission.
«Je suis bien entourée, mais j’ai de la difficulté à être heureuse. Il me semble que ça me ferait du bien d’avoir un câlin de ma mère», confie Mila-Rose, aujourd’hui âgée de 18 ans.
Après avoir quitté la Mission, Laura se rappelle avoir perdu «tous ses repères». Ses parents auraient coupé le contact avec elle. Il y a quelques années, son père lui aurait dit «qu’elle n’existait plus pour eux».
«J’ai toujours une rancune envers eux. Je vois des gens qui ont leurs parents, et j’aurais juste voulu ma mère auprès de moi pour me dire que ça va aller. Et je n’ai pas eu le droit d’avoir ça», a conclu Laura en sanglotant.
Mila-Rose voit tout de même le verre à moitié plein. «J’ai traversé le plus dur. Je suis partagée. Je suis bien, mais je ressens encore mon vide.»