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Après Roxham

Les effets de la fermeture du chemin Roxham, il y a une semaine, commencent à se faire sentir au sud de la frontière. Après avoir passé plusieurs jours en détention du côté canadien, de nombreux demandeurs d'asile sont refoulés vers la petite ville de Plattsburgh, où aucune infrastructure n'est prévue pour les accueillir.

31·03·23
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31·03·23

Les effets de la fermeture du chemin Roxham, il y a une semaine, commencent à se faire sentir au sud de la frontière. Après avoir passé plusieurs jours en détention du côté canadien, de nombreux demandeurs d'asile sont refoulés vers la petite ville de Plattsburgh, où aucune infrastructure n'est prévue pour les accueillir.

«Ne pleure pas, ça va bien aller.» 

Le chauffeur de taxi tient le visage de la jeune femme dans ses mains et lui offre ces quelques mots de réconfort avant d’enlacer tour à tour les membres de la petite famille qui s’engouffre dans l’autobus Greyhound en direction de New York. 

«Ils veulent se rendre à Philadelphie. Ils disent qu’ils ont des amis là-bas», explique le chauffeur, qui a refusé de donner son nom. Originaire de Turquie, la famille venait d’être refoulée aux États-Unis par les agents des services frontaliers du Canada. C’est lui qui les avait conduits au chemin Roxham samedi dernier, un jour à peine après la fermeture de ce passage irrégulier.

Ils sont moins nombreux ces derniers jours à transiter par la station-service Mountain Mart qui fait office de station de bus à Plattsburgh, à une trentaine de kilomètres au sud de la frontière. Et s’ils le font, c’est généralement pour retracer leurs pas vers le sud, après avoir été expulsés du Canada.

Hamza (nom fictif), un artiste kurde originaire de Turquie, a passé cinq jours en détention dans les installations des services frontaliers canadiens, avant d’être renvoyé aux États-Unis. Malgré l’encre qui commence à s’effacer sur le bracelet que lui ont donné les autorités fédérales, on peut toujours lire «23-03-26», date à laquelle il a été appréhendé au chemin Roxham. Il nous a demandé de ne pas publier son vrai nom, pour ne pas nuire à son dossier s’il tente à nouveau d’immigrer au Canada. 

Se disant persécuté en Turquie en raison de son appartenance à la minorité kurde, il est entré aux États-Unis depuis le Mexique, il y a plusieurs mois. Avec l’aide de passeurs, il a traversé le fleuve Rio Grande pour rejoindre la ville d’El Paso, au Texas.

«Mon rêve, c’est le Canada», répète-t-il, la voix serrée par l’émotion.

En à peine quelques heures, Hamza et Wendy Ayotte se sont liés d'amitié.
En à peine quelques heures, Hamza et Wendy Ayotte se sont liés d'amitié.

À la frontière canadienne, Hamza décrit des repas maigres et des remarques méprisantes de la part de certains employés fédéraux. «Quand nous voulions demander quelque chose, on nous criait de retourner à notre place et de ne plus poser de questions», raconte-t-il.

À l’intérieur du Mountain Mart, qui abrite une succursale Dunkin’ Donuts, Hamza échange avec Wendy Ayotte, une bénévole pour l’organisme canadien Borders not Bridges. Celle-ci verse une larme en écoutant Hamza parler de son fils, resté en Turquie, à qui il rêve de donner une meilleure vie au Canada.

Wendy Ayotte écoute Hamza lui parler de la persécution que sa famille et lui ont vécu en Turquie.
Wendy Ayotte écoute Hamza lui parler de la persécution que sa famille et lui ont vécu en Turquie.

Avant la fermeture du chemin Roxham, Wendy et les autres bénévoles de Bridges not Borders offraient du soutien et de l’information aux demandeurs d’asile après leur passage du côté canadien de la frontière.

La résidente d’Hemmingford s’était rendue à Plattsburgh pour tenter d’intercepter ceux qui tenteraient toujours d’entrer au Canada par le chemin Roxham, malgré la fermeture, pour leur expliquer les conséquences d’un tel geste. «Plusieurs d’entre eux ne comprennent pas que s’ils traversent et sont expulsés du Canada, ils ne pourront plus jamais y demander le statut de réfugié.»

Or, elle s’est plutôt retrouvée jeudi face à une vingtaine de voyageurs aux mines défaites, qui venaient d’être déposés au Mountain Mart par les autorités américaines. Sur place, aucune organisation américaine n’est présente pour leur offrir de l’information ou les aider à trouver un refuge d’urgence. 

Malgré la barrière de la langue, Wendy Ayotte tente d'aider un groupe de demandeurs d'asile sud-américains à trouver un abri pour la nuit.
Malgré la barrière de la langue, Wendy Ayotte tente d'aider un groupe de demandeurs d'asile sud-américains à trouver un abri pour la nuit.

Seule sur place, Wendy tente tant bien que mal de les informer sur leurs droits, tantôt en anglais, tantôt dans son meilleur français. Ils sont originaires de Turquie, du Pakistan, d’Haïti, du Venezuela, de Colombie… Certains, comme José Osman, ne comprennent que l’espagnol. Le jeune Vénézuélien voyage avec sa conjointe, enceinte de huit mois, et d’autres Sud-Américains rencontrés aux États-Unis.

Les autorités américaines les ont reconduits à l’arrêt de bus de Plattsburgh, sans le sou. «Le gouvernement canadien nous a seulement expulsés vers les États-Unis, raconte-t-il en espagnol. Ils ne nous ont donné aucune information sur des organisations qui pourraient nous aider ici à Plattsburgh.»

Les numéros de téléphone qu’ils trouvent sur Google mènent à des boîtes vocales en anglais, qu’ils ne comprennent pas. Aucune ne donne d’adresse.

En multipliant les appels, Wendy a finalement pu trouver un toit pour la nuit à Osman et à sa conjointe. Au bout du fil, une intervenante communautaire leur explique qu’ils devront se rendre dès le lendemain dans les bureaux des services sociaux du comté de Clinton, où ils espèrent pouvoir obtenir des billets d’autobus pour New York. Ils ne connaissent personne dans la métropole, mais ont entendu parler d’un organisme qui y aide les réfugiés vénézuéliens. 

La conjointe d'Osman accouchera dans les prochaines semaines. Elle ignore encore où ils pourront s'établir.
La conjointe d'Osman accouchera dans les prochaines semaines. Elle ignore encore où ils pourront s'établir.

Visiblement démunie devant tant de détresse, Wendy tente tant bien que mal d’offrir un peu de réconfort. Ici, elle pose une main sur un avant-bras. Là, elle enlace une jeune mère colombienne à qui la fatigue a tiré quelques larmes.

La Québécoise dit ne pas comprendre pourquoi aucun organisme américain n’est sur place pour aider les migrants refoulés à la frontière. «Je ne peux pas vous dire qui devrait faire ce travail du côté américain, souffle-t-elle. Je ne sais pas exactement comment les autorités gèrent la situation.»

Les autorités locales, elles, disent avoir été prises de court par l’annonce de la fermeture du chemin Roxham, le 24 mars dernier. 

Plattsburgh n’a jamais eu besoin d’infrastructures pour soutenir les demandeurs d’asile parce que ceux-ci n'étaient généralement de passage dans la ville que pour quelques heures. Maintenant qu’ils commencent à être refoulés du côté américain, le superviseur de la ville de Plattsburgh craint une véritable «crise humanitaire». 

Michael S. Cashman est superviseur de la ville de Plattsburgh, une fonction équivalente à celle d'un maire au Québec.
Michael S. Cashman est superviseur de la ville de Plattsburgh, une fonction équivalente à celle d'un maire au Québec.

«Pour le moment, ils reviennent au compte-gouttes, dit Michael S. Cashman, principal élu de la municipalité. Mais nous savons que des gens continuent de se rendre au chemin Roxham. Qu’arrivera-t-il si ce sont des centaines de personnes qui se retrouvent ici?»

Il affirme que la petite ville d’à peine 20 000 habitants n’a pas les infrastructures et les ressources pour accueillir ces personnes et réclame un plan d’urgence de la part des autorités fédérales américaines.

Un périple qui se poursuit

Avec l’aide de Wendy, Osman et sa femme ont finalement pu obtenir des billets d’autobus pour New York. 

Hamza, lui, ira passer quelques jours chez une connaissance, à Philadelphie. Il ignore ce qu’il fera ensuite.

Au moment de quitter Wendy, il remercie chaleureusement la dame, qui n’a finalement pu lui offrir qu’une oreille attentive. 

Quand il pourra acheter de nouveaux fusains, il esquissera son portrait, promet-il.

Il rêve encore de le lui remettre en personne, un jour. En sol canadien.