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Reniée par les consommateurs, l’industrie de la fourrure est à un poil de l’extinction. Mais au Québec, quelques éleveurs persistent, malgré la pression populaire.
Reniée par les consommateurs, l’industrie de la fourrure est à un poil de l’extinction. Mais au Québec, quelques éleveurs persistent, malgré la pression populaire.
Des dizaines de cages alignées, hébergeant des petits renards blancs ou tout noirs. Calmes, les petites bêtes suivent chacun de nos mouvements avec attention. Le propriétaire, Henry, nous accueille dans sa ferme, où il pratique l’élevage de renards pour leur fourrure. Une industrie plus que jamais contestée au Canada, alors que plusieurs entreprises de la mode comme Canada Goose, Moose Knuckles et Rudsak abandonneront la fourrure naturelle d’ici quelques semaines.
En septembre dernier, le collectif de défense des droits animaliers torontois We Animals est entré illégalement dans cette ferme de fourrure située en Chaudières-Appalaches, ainsi que dans une deuxième ferme québécoise, pour dénoncer les conditions de captivité des animaux. C’est donc avec une certaine réticence qu’Henry accepte de nous faire visiter, ébranlé par les visites précédentes des militants animaliers.
Chaque année, plus de deux millions de renards et de visons sont élevés en captivité au Canada pour ensuite être tués afin de récupérer leur fourrure, selon les dernières données gouvernementales. Mais les actions récentes des militants ont fait monter la pression.
Échaudée par les tactiques de plus en plus téméraires des militants, la plus grosse ferme de visons, située à Thetford Mines, fermera d’ailleurs ses portes prochainement, a appris Noovo Info. Il y a quelques années, des militants animaliers y ont libéré des milliers d’animaux.
Selon Henry, qui dit élever des renards depuis 40 ans dans sa ferme de Chaudières-Appalaches les images-chocs partagées par les groupes de défense des animaux méritent d’être mises en contexte.
«Les militants viennent pendant la période de la mue, c’est sûr que les animaux paraissent mal! Pendant l’été, les renards en captivité…et ceux en nature…perdent leurs poils», s’insurge-t-il.
«Je les aime, jamais je ne leur ferais du mal», lance-t-il.
«Le plus dur pour moi? Lorsque je les tue. Mais ça fait partie de la vie, philosophe-t-il. On élève des animaux pour notre nourriture…et d’autres pour leur fourrure, pour s’habiller, se garder au chaud.»
Noovo Info a présenté les images des animaux d’Henry à une vétérinaire, sommité internationale de son domaine, la Dre Marion Desmarchelier. Elle ne nie pas que les animaux de ce propriétaire semblent en excellente santé, mais le problème de l’industrie de la fourrure est plus profond, selon elle.
«Malgré tous les efforts, les normes de pratique et le maximum qu’ils sont capables de donner, ça reste incompatible avec le bien-être des animaux», juge-t-elle.
Elle cite en exemple les cages, qui sont à son avis «beaucoup trop petites» pour des animaux sauvages. «Elles ne permettent pas à l’animal d’exprimer ses comportements naturels, dit-elle. Souvent plus rien n’a de sens pour eux, ils ont des comportements aberrants, ils vont se mettre à tourner en rond.»
De son côté, le lobby de la fourrure affirme au contraire que les renards et les visons d’élevage ne sont plus des animaux sauvages, puisqu’ils ont été sélectionnés de génération en génération depuis 100 ans, en fonction de leurs comportements.
«Scientifiquement, c'est faux de dire que ce sont des animaux sauvages», affirme Alan Herscovici, plus grand défenseur québécois de l'industrie de la fourrure. Il a dirigé le Conseil canadien de la fourrure et créé la plateforme Tout sur la fourrure.
«Il y a eu une sélection génétique qui s'est faite de génération en génération. Ils sont adaptés maintenant à vivre en captivité. Ceux qui disent que c'est un animal sauvage, c'est des activistes!» lance-t-il.
Il cite en exemple les travaux d’un chercheur russe, Dmitri K. Belyaev, qui a travaillé à domestiquer des renards. Des travaux qui ont toutefois été contredits par d’autres chercheurs, qui avancent quant à eux que la docilité d’un animal ne veut pas nécessairement dire qu’il a perdu ses autres attributs sauvages.
La Dre Desmarchelier dénonce également la manière dont les animaux sont tués: l’électrocution anale pour les renards, la chambre à gaz au CO₂ pour les visons. Ces pratiques sont «stressantes», pour les bêtes, explique-t-elle, et ainsi difficilement justifiables.
Un autre éleveur d’animaux à fourrure, qui a accepté de se confier à Noovo Info sous le couvert de l’anonymat, affirme être ouvert à changer de méthode pour l’abattage.
«Il y a beaucoup de jugement sur les médias sociaux, de gens qui ne connaissent rien de notre industrie», déplore cet éleveur, qui dit être victime d’«intimidation» de la part de militants pour le bien-être animal.
Il assure pourtant aimer ses animaux et être «fier de notre industrie».
«On ne veut pas que nos bêtes souffrent, maintient-il. Si vous n’en voulez pas de fourrure, n'en achetez pas! Mais empêchez-nous pas de faire notre travail et de participer au tissu social agricole du Québec.»
Sophie Gaillard, directrice générale par intérim de la SPCA de Montréal, est de ceux qui réclament la fin de cette industrie au Québec et au plus vite.
Pour elle, la santé physique des animaux ne doit pas être la seule considération. Leur bien-être psychologique doit également être pris en compte, dit-elle. «Quand un animal comme le renard est programmé génétiquement pour courir dans des grands territoires, à creuser des tunnels, à interagir avec des congénères…et qu’on met cet animal dans une cage, il y a de la souffrance», affirme-t-elle.
La SPCA mène donc une bataille sur tous les fronts contre la fourrure. Publiquement, en partageant par exemple des campagnes-chocs sur les réseaux sociaux, mais aussi en coulisses, en multipliant les rencontres avec les élus.
En janvier, un député libéral fédéral, Nathaniel Erskine-Smith, a déposé à Ottawa un projet de loi privé pour interdire les fermes d’animaux à fourrure. Mais depuis, son projet de loi a été mis sur la glace par le gouvernement Trudeau. «Ça ne semble pas une priorité», confie une source gouvernementale, à Ottawa.
Certains intervenants affirment, en coulisses, que les deux paliers de gouvernements craignent de froisser l’industrie agricole en s’attaquant aux fermes d’élevages de renards et de visons.
En novembre 2021, la Colombie-Britannique a interdit l'élevage de visons pour la fourrure. Mais la décision a d’abord été prise pour protéger la population, plutôt que les animaux. Les visons pouvant être porteurs de virus respiratoires, la province a décidé d'interdire leur élevage en pleine crise de la COVID.
Le ministre québécois de l’Agriculture, André Lamontagne, a refusé nos demandes d'entrevue. Noovo Info a dû l’intercepter dans les couloirs de l’Assemblée nationale pour connaître sa position. «Ce n'est pas des pratiques qu'on encourage au ministère», a lâché le ministre, tout en refusant d’interdire les élevages d’animaux à fourrure.
«Ce qu'on voit, c'est une attrition du nombre de producteurs. Parce qu'il y a de moins en moins de demande et ça va dans le sens de la volonté des Québécois», s’est-il contenté d’expliquer en affirmant que les règles ont été resserrées en 2015 pour améliorer la qualité de vie des animaux.
Or, même si le nombre d’élevages d’animaux à fourrure est effectivement en baisse au Québec, la SPCA de Montréal croit que le gouvernement Legault doit les interdire, afin de protéger les milliers de renards et de visons toujours en captivité. Une législation préviendrait aussi les conséquences d’un éventuel regain d’intérêt pour la fourrure dans l’avenir.
En plus de se défendre de causer de maltraiter les animaux, l'industrie de la fourrure va même jusqu'à vanter la fourrure comme une alternative «écologique» aux vêtements synthétiques modernes.
«La fourrure dure 30 ou 50 ans. Ca c'est écologique!»
Il y a quelques années, le Conseil canadien de la fourrure présentait même la fourrure comme une «ressource naturelle renouvelable» dans une vidéo éducative à l’intention des enfants.
«Les écologistes nous disent que nos vêtements synthétiques, c’est un gros problème», soulève Alan Herscovici, en rappelant que nombre d’entre eux sont faits à base de produits pétroliers et en qualifiant au passage la culture du coton de «désastre écologique».
«Les écologistes disent qu’on doit acheter moins de vêtements, qui durent plus longtemps, de meilleure qualité et qu’on peut réparer: la fourrure c’est exactement ça! La fourrure dure 30 ou 50 ans! Ça c’est écologique», martèle-t-il.
La SPCA n’a pas la même lecture. «Des études démontrent l’impact environnemental de l’élevage de la fourrure. C’est polluant l’élevage et de traiter les peaux», réplique Sophie Gaillard.
L’argument ne semble pas non plus résonner dans l’industrie de la mode. Ces dernières années, de nombreuses entreprises ont fait part de leur intention de délaisser cette gamme de produits. La montréalaise Kanuk a quant à elle déjà cessé d’en ajouter à ses célèbres manteaux.
L’industrie de la fourrure, elle, est réaliste: le nombre de fermes a fondu au Québec en trois décennies. Philosophe, Alan Herscovici admet que le combat était peut-être déjà perdu d’avance. «Les attaques contre notre industrie nous forcent à défendre la mort. Les animaux meurent et dans notre société urbaine moderne, on a peur de la mort», jugent-il.
«C’était une belle industrie. Des familles en vivaient. C’est un gâchis. Et quelle est l’alternative? Des vêtements en plastique, faits de pétrole…»