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Trop petits. Trop serrés. Mal ajustés. Pas facile de trouver des vêtements pour des enfants à morphologie ronde.
Dans la vitrine d’une boutique, deux mannequins de fillettes exhibent de jolies tenues. À l’intérieur, cette image éclate en mille morceaux, et le casse-tête commence.
Les robes, les chandails, les pantalons s’empilent dans la salle d’essayage. Hop, trop petit. Hop, trop serré. Hop, mal ajusté. Pas facile de trouver des vêtements pour des enfants à morphologie ronde. Une situation que déplore Julie Cardin Beauchemin, maman de jumeaux, dont la jeune Agnès, âgée de 12 ans.
«Les vêtements pour enfants à morphologie plus ronde, c'est comme faire une chasse au trésor. Ce n'est pas simple à trouver», se désole Mme Cardin Beauchemin.
Voyez son témoignage dans la vidéo qui accompagne l’article.
«Pour les jeunes, c’est complexe parce que selon l'âge de l'enfant, parfois, on est obligés de fouiller dans des rayons pour adultes. Et les vêtements ne correspondent plus à ce que l'enfant désire ni à son âge.»
Certaines bannières, comme Old Navy et The Children’s Place, offrent des tenues pour enfants de «taille forte» et de «taille étendue», peut-on lire sur leur site Web respectif. Mais pour plusieurs parents d’enfants un peu plus costauds, il faut se rabattre à des tailles petites ou très petites des sections pour adultes de magasins à grande surface. Nul besoin de mentionner qu’il y a très peu de maillots de bain avec des personnages de Disney dans la section Femmes de la plupart des boutiques.
L’habit ne fait pas le moine, dit-on, mais que faire lorsque l’habit est introuvable?
«C’est difficile parce que le parent reçoit de façon indirecte le message qu'il a fait quelque chose de mal. Que son enfant n'est pas dans la norme. Que son enfant ne correspond pas aux attentes, témoigne Mme Cardin Beauchemin, qui est également psychologue depuis 25 ans auprès de personnes aux prises avec des troubles alimentaires. On associe beaucoup la nourriture au poids ou à la morphologie, et qui nourrit l'enfant? La mère.»
«On ne veut pas confronter notre enfant à des moments désagréables par rapport à son corps, comme des essayages en magasin lors desquels rien ne correspond à sa morphologie. J’ai vraiment travaillé à faire en sorte que ce message-là s'arrête à moi et ne se rende pas à ma fille.»
Photo: Julie Cardin Beauchemin, maman de jumeaux âgés de 12 ans.
Dès un très jeune âge, les enfants sont en mesure d’interpréter certains messages que la société leur envoie, soutient la psychologue Mélanie Laberge.
«À huit ou dix ans, durant leur processus de développement, ils ont besoin d'un sentiment d'appartenance, souligne la cofondatrice de la clinique Change en famille. Ils ont besoin de sentir qu'ils sont comme les autres, et une façon d'exprimer qui l’on est, c'est entre autres par les vêtements.»
«Se dire que moi, je ne peux pas m'habiller aux mêmes endroits que les autres ou que je ne suis pas tout à fait comme les autres, ça vient créer des compartiments de “moi versus eux”, analyse-t-elle, et ça peut avoir un effet sur leur estime.»
Et ces effets sur le développement de l’enfant peuvent survenir dès l’âge de cinq ans.
«Des fillettes qui ne savent pas encore lire comprennent ce que cela implique, la nourriture “diète”», note la Dre Laberge.
«Cela fait partie de l'environnement dans lequel les enfants grandissent et évoluent, renchérit-elle. Très tôt, on peut entendre de jeunes filles dire qu’elles se trouvent trop grosses alors qu'elles ne sont que des enfants.»
C’est tout sourire que Sonia Tremblay nous accueille chez elle. Elle respire et inspire la confiance en soi. Cela n’a toutefois pas toujours été le cas. C’est entre autres ce qui la pousse à créer du contenu sur le Web afin que les femmes se sentent bien dans leur peau, peu importe leur morphologie.
Elle se désole de constater qu’encore aujourd’hui, l’offre de vêtements grandes tailles, notamment pour les jeunes, est déficiente.
«C'est une façon de stigmatiser les personnes grosses, ne pas leur donner accès à quelque chose d'aussi basique que de se vêtir, reproche la créatrice de contenu. Même si tu veux travailler sur toi-même, tu as toujours le miroir inverse qui est renvoyé par la société.»
«La raison pour laquelle il y a moins de vêtements, ce n'est pas parce que les personnes grosses ne veulent pas s'habiller, c'est parce qu'elles ne sont pas vues comme des consommatrices désirées par les entreprises en raison de la grossophobie attachée à ça», juge-t-elle.
«Les personnes grosses sont moins intéressantes, moins intelligentes, plus paresseuses, caricature la militante antigrossophobie, sans faire dans la dentelle. Personne ne veut être gros. Donc, je ne vais pas vendre des vêtements qui s'adressent aux gros parce que ce n'est pas ce que je veux comme image.»
Photo: Sonia Tremblay, créatrice de contenu et militante antigrossophobie.
Dans certains magasins, les grandes tailles se trouvent dans une section à l’écart des «autres» vêtements. En ligne, bien que certains sites ne compartimentent pas les vêtements grandes tailles, plusieurs prévoient un onglet Forte, Plus, Étendue, Curve.
«La catégorisation dans les vêtements, cela fait en sorte que tu te fais automatiquement associer à un groupe, et souvent, on remarque que l'offre taille plus est beaucoup plus restreinte et moins intéressante. Ça renvoie l'image qu’on te donne les restes.»
Excédée par ces sections d’habits d’Arlequin, Sonia Tremblay met surtout en garde qu’«une adolescente qui ne peut pas porter des vêtements de taille dite standard, forcément, ça va l'affecter toute sa vie d'adulte».
Marie-Ève Faust, directrice et professeure à l’École supérieure de mode de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM), n’est pas prête à mettre l’entièreté de la faute sur les détaillants ou sur les manufacturiers, dans le cas des vêtements pour enfants.
«La plus grande problématique, ce n'est pas tellement au niveau des donneurs d'ordre qui ne veulent pas produire des vêtements adaptés pour les jeunes avec différentes morphologies, mais le fait qu'on n'a pas beaucoup d'études anthropométriques sur les enfants», argumente-t-elle.
«Il y a que très peu d'études, de campagnes nationales ou de campagnes à grande échelle sur les mesures corporelles des enfants. Les campagnes passées ont mis l'accent sur des 18 ans et plus, alors il y a un manque d'information sur les jeunes.»
Photo: Marie-Ève Faust, directrice et professeure à l’ESG UQAM.
Est-il envisageable d’espérer un changement à court ou à moyen terme?
«Il n'y a pas si longtemps, on n'avait même pas de tailles supérieures à ce qu'on appelait à l'époque le ”6 à 14”, observe Mme Faust. Aujourd'hui, on a une multitude de tailles, alors ça devrait être la même chose pour les enfants.»
«L'étiquetage est vraiment à repenser, poursuit-elle. Il n'y a pas de point valorisant, et il y a beaucoup de confusion d'une compagnie à l'autre. Je rêve du jour où l'on aura un étiquetage qui sera beaucoup plus axé sur la mesure réelle de la personne.»
«J'ai espoir que les choses évoluent, mais c'est un long et difficile combat, entrevoit pour sa part Mme Tremblay. Je pense que ce qui manque encore aujourd'hui, c'est beaucoup d'alliés.»
«En faisant preuve de bienveillance et non pas de jugement, je pense qu'on ira dans la bonne direction», conclut Mme Cardin Beauchemin.