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Le Conseil de l’innovation du Québec a dévoilé lundi son rapport très attendu.
Québec doit dès maintenant plancher sur une législation afin d’encadrer le développement et le déploiement de l’intelligence artificielle (IA) sur son territoire.
Le Conseil de l’innovation du Québec a dévoilé lundi son rapport très attendu sur les orientations que doit suivre le Québec afin de maintenir sa position de chef de file dans ce domaine tout en protégeant les citoyens avec des balises pour s’assurer que l’usage de l’IA soit aussi éthique et responsable.
C'est par voie virtuelle que le ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, son collègue responsable du numérique, Éric Caire, et l'innovateur en chef du Québec, Luc Sirois, ont présenté le volumineux rapport de 142 pages, intitulé «Prêt pour l’IA».
«Être prêt pour l'IA, c'est plus que d'encadrer, c'est une posture proactive d'une nation. Ça exprime un esprit prudent mais confiant, un peu frondeur même, face à cette nouvelle technologie et à toutes ses implications, ses menaces, ses promesses», a avancé l'innovateur en chef.
De son côté, le ministre de l'Économie, Pierre Fitzgibbon, n'a pas caché que son gouvernement voyait l'IA d'abord comme un formidable outil de développement économique, tout en reconnaissant qu'elle présente des risques. «Pour le gouvernement, l'encadrement de l'IA, c'est impératif. On veut un cadre, mais qui ne freine pas l'innovation. L'innovation est synonyme de création de richesse socio-économique. Ce que je veux, c'est que l'IA soit arrimée à nos besoins et dotée d'une gouvernance digne de confiance pour rassurer les entreprises et la population.»
Le rapport présente en effet comme première recommandation que «Québec entame sans tarder les travaux qui mèneront à l’adoption d’une loi-cadre spécifiquement dédiée à encadrer le développement et le déploiement responsables de l’IA dans la société». Il recommande de plus de retirer au gouvernement la responsabilité d’appliquer cette loi-cadre et de la confier, ainsi que l’élaboration des règlements liés à sa mise en œuvre, à «une autorité indépendante du pouvoir exécutif».
Puisqu’il est déjà acquis que l’IA engendrera des transformations majeures dans le domaine du travail, les experts invitent le gouvernement à réviser et à moderniser sans tarder le droit du travail et des politiques sociales pour tenir compte de l’évolution rapide de l’IA.
À ses côtés, le ministre Éric Caire a parlé d'un soutien nécessaire pour ces personnes dont le travail sera modifié, voire éliminé par l'introduction de l'IA. «Il faut accompagner les gens dans cette transformation de la société. Il faut leur permettre d'avoir cette opportunité-là, soit d'aller se chercher des compléments au niveau des qualifications, soit de se réorienter vers d'autres secteurs d'activité où on pourra les accompagner, leur permettre de poursuivre leur carrière», a-t-il dit, reconnaissant qu'il s'agissait là d'«une préoccupation».
Du côté socio-culturel, ils soulèvent le besoin d’agir pour contrer la désinformation et la mésinformation facilitées par la capacité de l’IA à produire des hypertrucages.
«Du côté de la démocratie, l'IA amplifie les désinformations. Ça nous invite à réagir proactivement pour protéger cette démocratie qui est un socle essentiel à la société», a fait valoir M. Sirois.
Éric Caire, de son côté, s'est dit bien conscient que bon nombre des initiatives de désinformation proviennent de l'extérieur du Québec. «Ça ne veut pas dire qu'on ne peut rien faire», a-t-il d'abord soutenu, évoquant les différentes initiatives législatives qui sont en préparation à travers le monde. Il a aussi rappelé qu'«au Canada, faux et usage de faux, c'est déjà dans le Code criminel. C'est un geste criminel que de chercher volontairement à tromper quelqu'un», bien qu'il soit pratiquement impossible d'épingler des fabricants de désinformation dans des pays comme la Russie ou la Chine.
Le rapport invite également le gouvernement à protéger le travail des artistes et leurs droits d’auteur, notamment en empêchant l’utilisation de leur voix ou de leur image par l’IA générative sans leur consentement. Du même souffle, le Conseil encourage Québec à utiliser les leviers législatifs à sa disposition pour améliorer la visibilité des contenus culturels francophones et autochtones sur les grandes plateformes telles que Netflix et autres Spotify.
Un autre des grands axes du rapport vise la formation, à commencer par l’implantation de programmes d’enseignement de la maternelle à l’université en littératie numérique et en IA non seulement pour l’usage, mais aussi pour apprendre à exercer une pensée critique à son égard. La formation doit aussi être étendue à divers paliers qui œuvrent en formation professionnelle et continue auprès des travailleurs pour soutenir leur adaptation à l’entrée de l’IA en milieu de travail.
Pour une implantation et un développement responsables, le Conseil de l’innovation estime qu’il est nécessaire «d’investir de manière significative dans des travaux de recherche, spécialement en sciences humaines et sociales», entre autres pour mieux cerner les questions entourant la sûreté de l’IA et ses impacts sociétaux.
Il suggère également de soutenir le développement et la commercialisation des outils qui seront développés avec ces technologies et d’augmenter la puissance de calcul à laquelle les acteurs du domaine ont accès, l’IA exigeant des capacités informatiques de puissance très élevée. Aussi, constatant la «faible quantité de données en langue française et données québécoises», le rapport recommande de soutenir le développement d’une banque de données culturelles nationales de haute qualité.
Enfin, le rapport demande au gouvernement Legault de mettre dès maintenant à la disposition des ministères, des organismes, des sociétés d’État et des municipalités, une enveloppe budgétaire d’envergure pour planifier et mettre en œuvre les projets en IA «hautement stratégiques», suggérant au passage de se concentrer sur «les missions essentielles de l’État, qu’il s’agisse de soigner les malades, d’éduquer les enfants ou de lutter contre les changements climatiques».
Le rapport est le fruit d’un important travail de consultation et de réflexion mené avec la collaboration de centaines d’experts et de milliers de personnes de toutes les sphères de la société civile depuis le mois d’avril dernier.
Le milieu syndical, qui a participé aux consultations, accueille avec prudence le rapport du Conseil. Le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) y voit «une avancée dans la reconnaissance des défis posés par l'IA: les principes de respect du personnel de l’État, de valorisation de leur jugement professionnel et de qualité des services publics». Cependant, son président, Christian Daigle, déplore l’existence d’«une certaine opacité autour de tout projet d’intégration de l’IA dans l’administration publique» et invite le gouvernement à maintenir un processus de consultation en continu, soulignant le risque de nombreux problèmes liés à son implantation.
La CSN, pour sa part, salue les recommandations et réclame aussi d’être partie prenante pour la suite des choses, notamment «l'adoption, dans les meilleurs délais, d'une loi-cadre». Sa présidente, Caroline Senneville, rappelle que «les travailleuses et les travailleurs sont les premières personnes concernées par cette révolution technologique». Dans le secteur public, elle appelle à la plus grande vigilance dans le secteur de l’éducation en raison des «risques de plagiat et de détérioration de la relation pédagogique entre les étudiants et le personnel».
Un autre des participants, l'Ordre des ingénieurs du Québec, souligne que le génie sera directement affecté par ces nouvelles technologies et promet d’identifier les mesures visant à «soutenir l'encadrement et la pratique professionnelle de ses membres dans l'utilisation de technologies faisant appel à l'intelligence artificielle».