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Économie

La pénurie de main-d’œuvre sera pire dans 10 ans. Pourquoi?

Un phénomène risque d'empirer la pénurie de main-d'oeuvre.

Jennifer Ferreira
Jennifer Ferreira / CTV News

Statistique Canada rapporte que les Canadiens qui quitteront le marché du travail seront probablement plus nombreux que ceux qui y entreront au cours des prochaines décennies, notamment en raison du vieillissement de la population.

Selon les experts, ce phénomène ne fera pas qu'exacerber les pénuries de main-d'œuvre déjà bien présentes au pays, mais pourrait entraîner une hausse des salaires pour les employés.

Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.

En novembre 2023, environ 2,7 millions de Canadiens âgés de 15 à 24 ans disent avoir un emploi, contre plus de 4,4 millions de personnes âgées de plus de 55 ans.

Ces chiffres sont basés sur les données de la dernière enquête sur la population active de Statistique Canada, qui montre également une grande différence entre la population des Canadiens âgés de 15 à 24 ans et celle des 55 ans et plus, avec respectivement 4,7 millions et 12,4 millions de personnes.

«Cela signifie qu'il y a potentiellement plus de personnes prêtes à quitter la population active pour cause de retraite qu'il n'y a d'entrants pour remplacer ces travailleurs», peut-on lire dans une note préparée par Jane Badets, conseillère principale chez Environics Analytics, une société de services de marketing et d'analyse appartenant à Bell Canada.

Cette note intervient alors que de nouvelles statistiques d'Environics Analytics montrent que la population âgée du Canada devrait dépasser les 11 millions de personnes d'ici 2043. Les données, basées sur une analyse spéciale pour CTV News, montrent que les personnes âgées sont le groupe d'âge qui connaît la croissance la plus rapide au pays.

Vieillissement de population et main-d’œuvre

Le Canada est déjà confronté à des pénuries de main-d'œuvre dans plusieurs secteurs, en grande partie à cause du vieillissement de la population, a soutenu Stephen Tapp, économiste en chef de la Chambre de commerce du Canada. Au cours des prochaines années, de plus en plus de Canadiens nés entre 1946 et 1964 - également connus sous le nom de «baby-boomers» - atteindront le troisième âge et prendront probablement leur retraite. Sans une augmentation du nombre de jeunes Canadiens entrant sur le marché du travail, les déficits de main-d'œuvre existants ne feront que s'aggraver, a soutenu M. Tapp.

«Nous vivons dans un monde où la main-d'œuvre est de plus en plus rare», a lancé M. Tapp lors d'un entretien téléphonique avec le CTVNews.ca. «Les choses se resserrent et deviennent plus difficiles... La situation va empirer au cours des 10 à 15 prochaines années.»

Depuis des mois, des entreprises de toutes tailles et de tous secteurs se plaignent de pénuries de main-d'œuvre, les experts estiment que le vieillissement de la main-d'œuvre canadienne est l'un des facteurs à blâmer. Selon une étude récente, ces pénuries pourraient entraîner une réduction de la main-d'œuvre et de la croissance économique.

Menée par la RAND Corporation, un organisme de recherche basé aux États-Unis, l'étude publiée en 2016 et révisée en 2022 montre un lien entre le vieillissement de la main-d'œuvre et la performance économique nationale. En se penchant sur les données américaines, les chercheurs ont découvert qu'à chaque augmentation de 10% de la fraction de la population âgée de 60 ans et plus, le PIB par habitant diminuait de 5,5%.

«Notre estimation implique que le vieillissement de la population a réduit le taux de croissance du PIB par habitant de 0,3 point de pourcentage par an entre 1980 et 2010», peut-on lire dans l'article.

Ce que l'augmentation de la population âgée signifie pour vous

Une étude publiée en août par l'Institut Fraser, un groupe de réflexion conservateur, est parvenue à une conclusion similaire. Les chercheurs ont déterminé que chaque augmentation de 10% de la population âgée est liée à une légère diminution du taux de croissance du PIB réel par habitant.

«Ce résultat implique que, en dollars de 2021, le PIB par habitant du Canada sera inférieur de 4300$ (par personne) d'ici 2043 selon le scénario de projection de population à vieillissement lent de Statistique Canada et de 11 200$ selon son scénario à vieillissement rapide», peut-on lire dans un communiqué de presse publié plus tôt cette année.

Un rapport publié par le gouvernement fédéral en 2018 indiquait déjà que le Canada voyait «proportionnellement moins de jeunes entrer sur le marché du travail pour remplacer le nombre croissant de personnes plus âgées qui prennent leur retraite».

À cela s'ajoute ce qui devrait être une augmentation du nombre de Canadiens qui partent à la retraite d'une année sur l'autre. Une analyse des données de l'enquête sur la population active réalisée par le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), un organisme de gauche, a révélé que 73 000 personnes de plus ont pris leur retraite au cours de l'année qui s'est achevée en août 2022 par rapport à l'année précédente.

Augmentation des salaires

Bien que le chemin à parcourir puisse présenter des défis pour les employeurs confrontés à un marché de plus en plus serré, les conditions pourraient être bénéfiques pour les travailleurs, a mentionné M. Tapp.

Comme on s'attend à ce que davantage de Canadiens quittent le marché du travail qu'ils n'y entrent, les entreprises pourraient avoir du mal à recruter et à conserver leurs employés. En guise d'incitation à l'embauche, elles pourraient être plus enclines à proposer des taux de salaire plus élevés pour combler les lacunes au sein de leur main-d'œuvre, a-t-il ajouté.

«Dans tout marché où il y a moins de travailleurs, le marché va devoir les payer davantage et leurs salaires vont être augmentés pour les inciter à venir», a-t-il soutenu. «C'est une bonne nouvelle si l'on se place du point de vue des ménages... L'équilibre des forces s'est vraiment modifié.

M. Tapp a affirmé qu'il s'attendait à ce que les salaires augmentent de plus de 2% par an pour tenir compte de l'inflation annuelle.

Les difficultés à trouver de la main-d'œuvre inciteront probablement davantage d'entreprises à rechercher des moyens d'automatiser les processus, ce qui leur permettra peut-être d'embaucher moins de personnel.

Des retraites repoussées

Si la main-d'œuvre canadienne vieillit, certains employés continuent de travailler plus longtemps, comme le montrent les données. En 2022, près d'un million de Canadiens travaillaient à l'âge de 65 ans ou plus, ce qui représentait cinq pour cent de la main-d'œuvre totale au Canada cette année-là, selon les données de Statistique Canada.

Le CTVNews.ca a entendu une poignée de Canadiens qui ont dit qu'ils envisageaient de retarder leur retraite afin d'économiser plus d'argent - Anita Newson est l'une d'entre eux. Vivant à Halifax, cette sexagénaire a déclaré qu'elle envisageait de retarder sa retraite «indéfiniment» en raison du coût élevé de la vie.

«J'espérais rembourser quelques dettes et prendre ma retraite cette année, mais cela ne s'est pas produit et je suis encore plus endettée», a-t-elle écrit dans un courriel adressé à CTVNews.ca. «Il se peut que je ne prenne jamais ma retraite.»

Au lieu de cela, Mme Newson a déploré qu'elle prévoyait de travailler aussi longtemps que sa santé le lui permettrait. Face à l'augmentation du coût des dépenses quotidiennes, Mme Newson a commencé à réduire ses dépenses pour les anniversaires et les vacances, ainsi que pour les repas au restaurant et les sorties au cinéma.

«Il devient de plus en plus effrayant de penser à la façon dont je subviendrai à mes besoins quand et si je prends ma retraite», a-t-elle écrit. «Je suis locataire et le loyer augmente chaque année, ce qui n'est pas le cas des pensions.»

Mme Newson a lancé qu'elle s'attendait à ce que sa pension puisse seulement couvrir le paiement de son loyer mensuel, ce qui ne lui laisse pas d'autre choix que de continuer à travailler pour couvrir d'autres dépenses telles que la nourriture.

Stewart Turnbull a mentionné qu'il se trouvait dans une situation similaire. Cet homme de 56 ans, qui vit à Victoria, en Colombie-Britannique, est propriétaire d'une maison individuelle et travaille à temps plein en tant que responsable du service à la clientèle. Au moment de prendre sa retraite, il prévoyait de vendre sa maison et d'acheter une propriété plus petite, plus éloignée du centre-ville.

Cependant, lorsque son contrat de prêt hypothécaire de trois ans a été renouvelé en mars, la hausse des taux d'intérêt a entraîné une augmentation de ses paiements d'environ 900 dollars par mois.

M. Turnbull et son partenaire ont récemment mis leur maison en vente, mais ils ne savent pas s'ils recevront suffisamment d'argent pour acheter une nouvelle maison et prendre une retraite confortable à 65 ans. N'ayant pas accumulé beaucoup d'argent en épargne, M. Turnbull a déclaré qu'il n'était pas convaincu que sa pension suffirait à couvrir les dépenses quotidiennes s'il cessait de travailler.

«Nous essayons de tirer parti de la valeur nette de cette maison pour mener une sorte de mission de sauvetage après que les taux d'intérêt ont totalement anéanti l'argent supplémentaire dont nous disposions sur une base mensuelle», a-t-il lancé lors d'un entretien téléphonique avec CTVNews.ca. "J'espérais que la valeur de la maison serait suffisante pour nous permettre de prendre notre retraite, mais je ne suis pas sûr à 100 % que cela se produira.

En outre, l'âge moyen de la retraite au Canada n'a cessé d'augmenter au cours des deux dernières décennies. En 2022, l'âge moyen de la retraite était de 64,6 ans. C'est environ quatre ans de plus que l'âge moyen indiqué en 1998, qui était de 60,9 ans.

Au lieu de cela, M. Turnbull ne planifie pas sa retraite et prévoit qu'il devra continuer à travailler au-delà de l'âge de 65 ans pour continuer à assumer ses dépenses quotidiennes. Il a également modifié son mode de vie au cours des derniers mois afin de s'adapter à l'augmentation du coût de la vie. Il a notamment étendu son linge pour le faire sécher afin de réduire sa facture d'électricité et a revu à la baisse sa facture de téléphone portable pour que les frais mensuels soient moins élevés.

«Il est devenu clair pour moi que la retraite n'est plus une option», a-t-il écrit dans un courriel adressé à CTVNews.ca.

Jennifer Ferreira
Jennifer Ferreira / CTV News