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Le gouvernement libéral reporte jusqu’en 2027 son projet visant à élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir pour inclure les personnes dont le seul problème médical est une maladie mentale.
Les adultes canadiens qui souhaitent invoquer une maladie mentale comme seul motif pour obtenir l'aide médicale à mourir devront probablement attendre encore au moins trois ans, a déclaré jeudi le gouvernement libéral.
Le ministre fédéral de la Santé, Mark Holland, a présenté un projet de loi qui, s'il était adopté, reporterait à mars 2027 l'intention du gouvernement d'élargir le programme d'aide médicale à mourir pour inclure les personnes dont «le seul problème médical est une maladie mentale».
Il s’agirait alors du deuxième report pour cet élargissement; en mars dernier, les libéraux avaient ajouté un an à l'échéancier, juste avant l'entrée en vigueur de ce changement. La prochaine date de mise en œuvre, en mars 2027, est maintenant repoussée bien au-delà des prochaines élections fédérales, qui doivent avoir lieu au plus tard à l’automne 2025.
S'il forme le prochain gouvernement, le chef conservateur, Pierre Poilievre, a promis d'abandonner complètement cet élargissement.
Près de trois ans se sont écoulés depuis que les libéraux ont adopté pour la première fois une loi qui n'exclurait plus les troubles mentaux comme motifs valables pour obtenir l'aide médicale à mourir au Canada.
Mais le ministre Holland a déclaré jeudi que le pays n’était toujours pas prêt à accueillir ce changement. «C'est extrêmement difficile. C'est extrêmement sensible», a-t-il souligné en conférence de presse à Ottawa.
Le ministre Holland et son collègue de la Justice, Arif Virani, se disent d'accord avec la conclusion d'un «comité mixte spécial» sur cette question, qui a estimé que le Canada n'était tout simplement pas prêt.
Des doutes persistent quant au nombre de professionnels de la santé correctement formés dans le pays, ainsi que sur la manière dont les cliniciens pourraient faire la différence entre une personne qui nourrit des idées suicidaires temporaires et une autre qui demande de façon «rationnelle» l'aide médicale à mourir pour échapper à une maladie mentale incurable.
Certains se demandent aussi si les cliniciens pourraient déterminer si l'état d'une personne souffrant de maladie mentale est susceptible de s'améliorer.
Le ministre Holland a indiqué que chaque province et territoire avait des réserves et que son gouvernement avait décidé de leur accorder plus de temps.
À la suite de la publication du rapport du comité mixte spécial, lundi, presque toutes les provinces et tous les territoires ont demandé à Ottawa, dans une lettre commune, une «pause indéfinie» dans ce projet d'élargissement.
Mais le ministre de la Santé a écarté cette idée d'un report «indéfini», car cela supprimerait toute incitation à se préparer à l'éventuelle mise en œuvre de cet élargissement. «Il doit y avoir un impératif pour évoluer vers une condition qui reconnaît l'équivalence entre la souffrance mentale et physique», a-t-il plaidé jeudi. En annonçant un report, Ottawa «indique que les systèmes doivent évoluer vers un état de préparation», a déclaré M. Holland.
Le Canada pourrait par ailleurs s'exposer à une contestation judiciaire s'il n'annonçait pas un élargissement éventuel de l'admissibilité, a ajouté le ministre.
La Cour suprême du Canada a statué en 2015 que les adultes souffrant d'un «problème de santé grave et irrémédiable» avaient droit à l'aide médicale à mourir, ce qui a conduit le gouvernement libéral à présenter sa première loi en 2016.
En 2019, dans l'affaire Truchon-Gladu, la juge Christine Baudouin, de la Cour supérieure du Québec, a invalidé les critères de «mort naturelle devenue raisonnablement prévisible» et de «fin de vie» pour obtenir l'aide médicale à mourir.
Les libéraux ont mis à jour la loi en 2021 pour tenir compte des décisions judiciaires. Dans le cadre de ce processus, le gouvernement a accepté un amendement du Sénat visant à supprimer l’exclusion des personnes «dont le seul problème médical est une maladie mentale». Il a fallu deux ans pour que les systèmes de santé des provinces et les professionnels se préparent à ce changement.
Les sénateurs avaient fait valoir que l'exclusion de la maladie mentale constituait une violation des droits individuels. Mais certains juristes ont depuis reculé, affirmant que rien dans la loi n’obligeait le Canada à élargir davantage l’admissibilité.
Le Québec a d'ailleurs adopté l'an dernier sa propre loi pour exclure de l'aide médicale à mourir les adultes dont le seul problème médical est une maladie mentale.
Un porte-parole du gouvernement du Manitoba a déclaré jeudi qu'il se félicitait du report de trois ans, tandis que l'Alberta maintient que l'aide médicale à mourir pour des troubles médicaux n'a pas du tout sa place dans un système de soins de santé. Un porte-parole du gouvernement de la Saskatchewan a indiqué jeudi que cette province exigeait toujours un «report indéfini».
Mais les deux ministres fédéraux ont prévenu jeudi qu'ils ne voulaient pas d'une application morcelée au Canada. «Nous avons un système unitaire en matière de droit criminel dans ce pays, nous ne prévoyons pas d'exceptions province par province», a indiqué le ministre Virani.
Dans un communiqué, Mourir dans la dignité Canada s'est dit «découragé» et «frustré» par le report. L'organisme soutient que malgré ce que les provinces prétendent, «les autorités médicales, cliniques et réglementaires» ont déclaré qu'elles étaient prêtes.
Le projet de loi du ministre Holland prévoit la création d'un autre comité mixte spécial pour étudier à nouveau la question au cours des deux prochaines années. Si ce comité recommande des modifications, il devra déposer un rapport devant les deux chambres du Parlement.
En attendant, le Parlement doit agir rapidement pour adopter le nouveau projet de loi, avant que l'élargissement jusque-là prévu n'entre automatiquement en vigueur le 17 mars prochain — dans un peu plus de six semaines. Les conservateurs ont déclaré qu'ils appuieraient le projet de loi en Chambre.
Mais ce projet de loi pourrait connaître plus de difficultés au Sénat. «Il existe des précédents historiques au Sénat pour traiter certaines de ces questions (différemment) de la manière dont la Chambre les aborde», a déclaré le sénateur indépendant Stan Kutcher. Membre du comité mixte spécial qui a recommandé un report, il a été farouchement en désaccord avec les conclusions de la majorité.
M. Kutcher et deux sénatrices qui étaient aussi membres du comité mixte spécial, Pamela Wallin et Marie-Françoise Mégie, contestent à la fois la décision du gouvernement jeudi et la manière dont le comité avait mené ses travaux.
Le Bloc québécois, qui était d'accord avec un report de l'élargissement, estime de son côté qu'un délai d'un an, et non de trois ans, devrait être suffisant pour «entendre les experts, les malades et formuler des recommandations qui pourront aider les patients».
«Des femmes et hommes souffrent actuellement et réclament qu’Ottawa agisse», a indiqué dans un courriel le député Luc Thériault, qui était un des vice-présidents du comité mixte spécial.
Le Bloc québécois demande par ailleurs au gouvernement fédéral de permettre l’aide médicale à mourir pour les demandes anticipées dans le cas de maladies cognitives dégénératives, en réformant le Code criminel canadien. «Québec a agi sur cette question en juin 2023, avec l’appui de tous les partis de l’Assemblée nationale», écrit M. Thériault.