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«Même si on n'a pas les avaries, le stress est là quand même.»
Gel nocturne, printemps froid, pluies diluviennes, sécheresse, humidité et chaleur accablantes: les intempéries des dernières semaines se succèdent et ne se ressemblent pas. Elles ont toutefois le point commun de donner du fil à retordre aux producteurs agricoles québécois, qui connaissent une saison jusqu'ici décevante, mais surtout hors de l'ordinaire.
«C'est notre pire année depuis qu'on est en production! Même si on n'a pas les avaries, le stress est là quand même», lance Marielle Farley, copropriétaire du Potager Mont-Rouge, en Montérégie.
En affaires depuis plus de 35 ans, la Rougemontoise n'a jamais vu une telle série d'intempéries se succéder en si peu de temps. «La problématique, ce n'est pas la dernière pluie en tant que telle, c'est l'addition de tout ce qui se passe depuis le début de l'année. Avec l'expérience, on est capables de faire face à ces phénomènes-là, mais c'est rare qu'on vive tout cela dans la même saison», poursuit la vice-présidente de l'Union des producteurs agricoles (UPA) Rouville.
Le président des Producteurs de fruits et légumes de transformation du Québec, Pascal Forest, abonde en ce sens. «Comme producteur, je cumule près d'une quarantaine d'années d'expérience, et je peux vous dire qu'on n'a pas vu ça souvent, [une météo] up and down de même. C'est du rarement vu. S'il y en a qui doutent encore des changements climatiques, ils sont vraiment trop sceptiques!» lâche-t-il.
Les forts vents, voire les tornades, des derniers jours, ont ébranlé les champs. «Les plans se sont fait brasser, ça cause des meurtrissures, ajoute le producteur de Lanaudière. On a vu des champs de maïs où tout a été plié complètement à l'horizontale. Le maïs n'est pas mort, mais il ne sera pas facile à récolter et la plante va demeurer en position de faiblesse tout le reste de la saison.»
Les quantités importantes de pluie, qui s'abattent en très peu de temps, sont source de beaucoup de ravages dans les champs de la province, si bien que certaines récoltes feront chou blanc.
«Un producteur que je connais a vu 90% de ses 150 hectares de production inondés. C'est la troisième fois que ça lui arrive. Tout ce qu'il a planté, c'est pratiquement fini», déplore M. Forest.
Dans un monde idéal, dit-il, un champ a besoin de 25 millimètres de pluie par semaine. «Mais dans les deux dernières semaines, on a du en recevoir 200 (millimètres) répartis en trois ou quatre épisodes. L'autre jour, j'ai reçu 32 millimètres en 15 minutes. Ça commence à faire beaucoup», note le président.
La récolte des petits pois verts bat son plein actuellement; or, entre 12% et 15% de la production provinciale est, littéralement, tombée à l'eau.
«Sur environ 7000 ou 8000 acres en production, il y en a presque 1000 qui ont été abandonnés pour des excès d'eau qui empêchent la récolte ou la machinerie. Ce sont de très grandes pertes», illustre M. Forest.
Robert Brien, copropriétaire du vignoble L'École du 3e Rang, à Saint-Joachim-de-Shefford, en Estrie, a pu éviter le pire.
Si ses vignes n'ont pas souffert des aléas de la météo des dernières semaines, la production de cerises a péri à la suite du gel printanier et ses pommiers et ses poiriers ont été victimes des précipitations abondantes.
«Les fruits vont être plus gros, mais la pluie amène aussi beaucoup de maladies, note le vigneron. Ça nous fait travailler sans arrêt.»
La situation n'est guère plus réjouissante du côté des grandes cultures, mais les carottes ne sont pas encore cuites.
«On se trouve à un point critique en ce moment, et j'admets que je commence à avoir peur», confie Jean-François Ridel, producteur de grains de Saint-Césaire et président de l'UPA de Rouville.
«Normalement, on doit récolter (le blé) au courant de la semaine. Si les grains étaient déjà matures, avec la pluie, ils vont avoir germé et ils ne seront plus propres pour la consommation humaine, explique-t-il. On pourrait toujours le revendre pour la consommation animale, mais ça se vend beaucoup moins cher. Pour le soya, quand c'est trop humide, ça facilite les maladies fongiques.»
Au Potager Mont-Rouge, Dame Nature a endommagé certains arbres dans les vergers. Les fraises sont sorties de terre un peu plus tard et en moins grande quantité. Le champ de maïs a aussi été moins généreux, en raison du gel, mais aussi des fortes pluies.
Il faut donc s'attendre à débourser un peu plus pour se procurer des produits maraîchers, aussi bien en kiosque qu'à l'épicerie.
«Ça ne me fait pas plaisir d'augmenter mes prix, mais je ne peux pas me permettre de vendre une douzaine d'épis de blé d'Inde à 5$, je ne couvrirais même pas mes frais de production, illustre Mme Farley. Déjà, d'avoir des produits, c'est de la chance.»
«Le consommateur en a moins pour son argent, mais le producteur aussi, rappelle Pascal Forest. Nous, dans des périodes comme ça, toutes nos billes sont sur la table.»