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En 1999, la Cour suprême du Canada a voulu s’attaquer au fait que les Autochtones étaient surreprésentés dans la population carcérale Canada. Plus de 20 ans plus tard, la situation a évolué pour le pire.
En 1999, la Cour suprême du Canada a voulu s’attaquer au fait que les Autochtones étaient surreprésentés dans la population carcérale au pays. Plus de 20 ans plus tard, la situation a évolué pour le pire.
Se trouve-t-on devant un constat d'échec, après tout ce qu'a impliqué l'arrêt Gladue de 1999?
Les dernières données disponibles de Statistique Canada démontrent que la surreprésentation des Autochtones dans le milieu carcéral est toujours une réalité. En 2020, les adultes autochtones représentaient le tiers (31%) des admissions d’adultes en détention dans un établissement provincial ou territorial et dans un établissement fédéral (33%).
Or, les Autochtones représentent seulement 5% de la population adulte canadienne.
La situation est encore plus sombre du côté des femmes autochtones. Alors que les taux des hommes autochtones suivent les tendances des adultes au large (32%), les femmes autochtones représentent 42% des admissions dans un établissement provincial ou territoire et 40% au fédéral.
Chez les jeunes, les garçons autochtones représentent 48% des garçons admis au placement sous garde. La proportion correspondante pour les filles atteint 62%.
Noovo Info a obtenu une réponse écrite du bureau du ministre fédéral de la Justice et procureur général du Canada, David Lametti, dans laquelle il admet la gravité de la situation.
«La discrimination et le racisme systémiques sont une réalité pour trop de personnes dans le système de justice criminel.»
Pour mieux comprendre en quoi cette situation fait sourciller (au bas mot), il faut retourner aux années 1990.
Jamie Tanis Gladue est née en Alberta d’une mère crie et d’un père métis. Le 16 septembre 1995, Jamie fêtait son 19e anniversaire avec son conjoint de fait, Reuben Beaver, des amis et des membres de sa famille. Elle se doutait que Reuben avait une relation secrète avec sa sœur aînée, Tara. Lorsque Tara a quitté la fête, Reuben l’a suivie. Furieuse, Jamie a également quitté la soirée et a suivi Reuben à son tour.
Des témoins ont rapporté que Jamie a alors proféré des menaces de mort à l’endroit de son conjoint. De retour chez eux, Jamie et Reuben se sont disputés. La confrontation a pris une tournure physique, et Jamie attaqué Reuben avec un couteau, causant sa mort. Elle présentait un degré important d’intoxication à ce moment.
Avec l’accord de la Couronne, Jamie a plaidé coupable d’homicide involontaire et a reçu une peine de trois ans de prison. Le raisonnement qui a mené à cette sentence est à la source du débat qui a escaladé jusqu’à la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal au pays. La défense a argumenté que «le juge du procès avait omis de prendre en considération les circonstances dans lesquelles elle se trouvait en tant que délinquante autochtone.»
Les juges de la Cour suprême ont reconnu la particularité d’une «délinquante autochtone». On savait déjà à l'époque qu'il y avait un problème.
«Les chiffres sont criants et reflètent ce qu’on peut à bon droit qualifier de crise dans le système canadien de justice pénale. La surreprésentation critique des Autochtones au sein de la population carcérale comme dans le système de justice pénale témoigne d’un problème social attristant et urgent», peut-on lire dans la décision de 1999.
Ultimement, les juges confirment tout de même la sentence de trois ans d’emprisonnement, mais élaborent sur les principes de détermination de la peine découlant de l’alinéa 718.2 e) du Code criminel. Ce paragraphe de la loi permet de prendre en considération les «circonstances» du délinquant.
Les juges ont reconnu la position unique des personnes autochtones dans le système de justice canadien.
Vingt ans après l'arrêt Gladue, l’intention derrière la décision du plus haut tribunal canadien se résume à un échec: Me Alexis Wawanoloath, expert de la perspective autochtone dans le monde du droit, est d’accord avec cette évaluation de la situation et la persistance du racisme systémique envers les Autochtones.
L’arrêt Gladue a mené à la création des «rapports Gladue» dans lesquels on retrouve des facteurs systémiques uniques à la réalité des personnes autochtones afin d’informer les juges qui prendront une décision sur la sentence qui sera distribuée.
Ces rapports établissent une mise en contexte et tentent de faire la lumière sur la vie de la personne avant de décider de la peine, comme l’explique Me Wawanoloath en entrevue avec Noovo Info.
«C’est une mise en contexte du colonialisme et on pourrait même affirmer, aujourd’hui, selon les différents rapports d’enquête, des génocides qui ont eu lieu à l’égard des personnes autochtones», a dit Me Wawanoloath.
Autrement dit, l’objectif de l'arrêt Gladue était de remettre les pendules à l’heure.
Dans leurs mots, les juges ont admis que «le recours excessif à l’emprisonnement dans le cas des autochtones n’est que la pointe de l’iceberg en ce qui concerne la marginalisation des autochtones au sein du système de justice pénale au Canada.»
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L'avocat Alexis Wawanoloath. Crédit photo: Noovo Info
Mais le dernier rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada publié en juin 2022 fait toujours état de la situation de surreprésentation autochtone en milieu carcéral.
Par exemple, le 28 avril 2022, le nombre de femmes incarcérées dans un établissement fédéral a atteint 50% de la population carcérale de ce groupe, selon le rapport. Parmi les femmes admises au niveau de sécurité maximale, près de 65% sont autochtones.
«Mon Bureau et d’autres organismes font état de l’autochtonisation des services correctionnels canadiens depuis des années. Un examen plus approfondi de la situation révèle que cette surreprésentation est en grande partie le résultat de préjugés et de racisme systémiques», a écrit l’enquêteur, Ivan Zinger.
En 2019, la Commission Viens a mené à l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette loi exige que le gouvernement du Canada élabore un plan afin de «remédier aux injustices, à combattre les préjugés et à éliminer toutes les formes de violence et de discrimination à l’égard des peuples autochtones.»
Et pourtant, la situation continue de s’empirer dans nos prisons.
Quelques années avant la Commission Viens, en 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVRC) avait documenté le traumatisme historique et intergénérationnel de la colonisation et des répercussions persistantes chez les Premières Nations, les Métis et les Inuits.
Une piste de solution qui est proposée depuis plusieurs années par des académiciens qui se sont penchés sur la question, notamment John Borrows, l’auteur de Canada’s Indigenous Constitution, est d’introduire davantage de traditions juridiques autochtones dans notre système juridique.
Certaines nations ont déjà commencé à intégrer des programmes de rechange cherchant des alternatives à l’emprisonnement en misant sur le principe de la réparation, et non celui de la punition.
On retrouve un de ces programmes sur le territoire des communautés de Manawan et de Wemotaci de la nation atikamekw.
Dans ces programmes, «le taux de récidive est beaucoup plus bas parce qu’on vient prendre des principes de justice qui appartiennent à la nation», soutient Me Wawanoloath. Ces principes misent plutôt les besoins de la victime et sur ce qu’elle recherche dans le processus de justice afin de «réparer la faute». Rappelons que dans le droit criminel canadien, la victime est principalement un témoin au dossier.
Le ministre Lametti acquiesce et admet que les personnes qui ne présentent «aucun risque» pour la sécurité publique seraient «mieux servies par du soutien et des traitements appropriés que par l’incarcération».
On retrouve le premier exemple d’un tribunal autochtone opérant indépendamment du système de justice canadien en Ontario avec l’Akwesasne Court. Ce tribunal a pour mission de revitaliser et d’appliquer les traditions juridiques autochtones des Mohawks d’Akwesasne qui existaient avant l’arrivée des Européens.
La procureure Bonne Cole devant l'Akwesasne Court, en 2016. Crédit photo: Ryan Remiorz | La Presse canadienne
Pour que ça change dans la bonne direction, Me Wawanoloath estime que ça prend «de la volonté politique».
Le ministre de la Justice souhaite rappeler les efforts que le gouvernement a faits dans cette direction. Par exemple, il note les 28,6 millions de dollars investis sur cinq ans pour le développement de centres de justice communautaire (CJC). Les CJC ont pour but de «s’attaquer aux causes profondes de la criminalité» et de réintégrer les personnes dans leur communauté et ainsi éviter le système de justice traditionnel.
Il ajoute que la continuation de partenariats avec les peuples autochtones est un «élément essentiel de ces initiatives».
Enfin, si la volonté politique est là, comme l’entend le ministre Lametti, les chiffres ne le démontrent pas encore.
David Lametti, ministre fédéral de la Justice. | Crédit: La Presse canadienne