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Depuis un an, la fin des années 90 et le début des années 2000 font la loi, que ce soit dans le style vestimentaire, dans les séries télé ou au spectacle de la mi-temps du Super Bowl.
Nous sommes samedi, il est 10h, et je viens d’ouvrir une nouvelle boîte de céréales qui contient le CD-ROM de RollerCoaster Tycoon. Je m’installe devant mon ordinateur Compaq, je retire les Sims du lecteur, et j’insère ce qui occupera une partie de ma journée en attendant le prochain épisode de Chair de poule. Nous sommes quelque part au début des années 2000.
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Si vous avez grandi pendant cette époque, vous avez peut-être ressenti un élan de nostalgie en lisant ce passage.
Depuis un an, la fin des années 90 et le début des années 2000 font la loi, que ce soit dans le style vestimentaire, dans les séries télé ou au spectacle de la mi-temps du Super Bowl. Le Y2K, une période pas si lointaine, mais à des années-lumière technologiquement parlant, en est pleine ascension.
Cette nostalgie pour les années 2000 n’est pas si surprenante d’après Katharina Niemeyer, professeure à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
«Il y a vraiment eu un accroissement ces dernières années qui s'explique, vraisemblablement, par l'accélération sociale et le souhait de ralentir un peu», soulève celle qui a codirigé l’ouvrage Nostalgies Contemporaines. Médias, Cultures et Technologies.
«Cette accélération nous projette parfois dans un passé, justement, où c’était plus lent. Il y a cet appel au ralentissement, et notre impression plus lente du temps peut être rassurante.»
Les balbutiements du Web 2.0 et le passage de l’analogique au numérique ont marqué le début des années 2000. MySpace, les premiers blogues, les Wizz sur MSN, 3D Pinball Space Cadet de Microsoft et une connexion Internet qui bloquait les appels téléphoniques. Oui, tout était plus lent. Nous étions bien loin des FaceTime, des alertes Slack et des vidéos TikTok.
Maintenant, les nouvelles technologies se multiplient à un rythme effréné, et ironiquement, c’est au sein de celles-ci que l’on retrouve actuellement une présence accrue des années 2000.
Catherine Forget et Frédérique Paré se sont rencontrées dans un emploi des plus nostalgiques: au HMV. Alors que les deux comparses déambulaient dans les rayons tamisés du détaillant, en vendant des CD et des DVD, en 2015, elles ont découvert une passion commune pour les années 2000.
Après quatre ans à se partager les meilleures répliques de Dans une galaxie près de chez vous et de Radio Enfer, les deux acolytes lançaient la page Instagram: Québec Nostalgie.
Depuis le 8 avril 2019, les créatrices mènent de main de maître ce qui est devenu une véritable référence québécoise des années 1990-2000. Une page qui est maintenant suivie par près de 70 000 abonnés.
«On a vu qu'il y avait un manque à ce niveau-là, sur Instagram. Il n'y avait pas de page d'archives des années 1990 et 2000, se rappelle Mme Forget, qui gère actuellement les plateformes sociales de La Tour, à TVA. Il existe plusieurs pages américaines, mais elles ne reflètent pas comment nous avons vécu les années 2000 au Québec.»
«On voulait que ce soit une page, drôle, mais aussi réconfortante, lance pour sa part Mme Paré, qui travaille dans les médias sociaux depuis presque six ans. On essaie vraiment de creuser dans les souvenirs que les gens ont oubliés.»
En plus d’y retrouver de mémorables éditions du magazine Cool!, des extraits de concerts de Mixmania ou de séries emblématiques de Vrak et de Canal Famille, la page propose des mèmes croisant actualité et nostalgie. C’est d’ailleurs ce genre de contenu qui connaît habituellement le plus grand succès sur leur plateforme.
«Les membres de Mixmania viennent souvent commenter les publications à leur sujet, tout comme les VJ de MusiquePlus», note Mme Forget, qui n’est d’ailleurs pas près d’oublier la fois où Katherine Levac leur a mentionné avoir rêvé à leur page Instagram.
La nostalgie des années 2000 n’est pas près de se dissiper, et les deux stratèges médias sociaux le constatent depuis la naissance de leur projet. La suite? Elles prévoient élargir leur influence au-delà d’Instagram, laissant planer le mystère quant à de prochaines annonces au cours du printemps.
D’ici là, elles poursuivent leurs publications, principalement en lien avec des séries du passé, qui rejoignent particulièrement leur public.
Comme plusieurs fidèles de cette page Instagram, vous êtes-vous déjà surpris à regarder en boucle une émission de votre enfance? Les plateformes de vidéos sur demande ne sont pas avares de séries ou de films des années 1990-2000, que l’on attend impatiemment de regarder à nouveau.
Il n’est pas surprenant de voir des contenus comme Friends, Gilmore Girls, Dawson's Creek, Clueless, Elle a tout pour elle, pour ne nommer que ceux-là, faire leur entrée au sein des différents services de diffusion. Une véritable fièvre du petit et du grand écran. Certaines chaînes traditionnelles sont, quant à elles, spécialisées en nostalgie, comme Prise 2 et Cinépop.
«Quand on a vraiment accroché à une série et qu'un jour, elle se termine, cela crée une véritable perte dans sa vie, explique Mme Niemeyer. Quand on visionne de nouveau une série, on se remet dans la situation de confort que l'on a vécu au premier visionnement.
«On se souvient que l’on a regardé telle ou telle série avec des amis ou en famille, par exemple. Ça nous transporte, ça nous réconforte, surtout en période de pandémie, puisqu’on a vécu de la solitude et des séparations physiques.»
Ce réconfort, cet effet rassurant, telle une dose programmée et attendue, offre une certaine forme de sécurité, certes, mais momentanée seulement, nuance-t-elle.
À certains égards, nous assistons d’ailleurs à une forme de marchandisation de la nostalgie, selon Mme Niemeyer.
«[La nostalgie] est un sentiment qui est commercialisé depuis très longtemps, donc les marketeurs surfent sur la vague, soutient celle qui est également théoricienne des médias. Cela ne veut pas dire que cette nostalgie marchandisée n'est pas authentique. On peut quand même être vraiment nostalgique de son premier Tamagotchi ou des premiers téléphones portables.»
Cette commercialisation de la nostalgie ne passe pas seulement par le biais de séries ou de films d’une époque révolue. Les pantalons évasés, les souliers plateformes, les barrettes papillons, les crop tops. La mode millénaire a fait un grand retour. La génération Z n’a pas hésité à adopter ce style que les millénariaux arboraient, 20 ans plus tôt.
Les sœurs Mélodie et Virginie Fisette, et leur meilleure amie Tamara Lo Tartaro Benoit, ont emboîté le pas de la «nostalgie prêt-à-porter», à laquelle est dédiée une boutique en ligne, Tamélo.
À l’instar des créatrices de Québec Nostalgie, le trio, qui en est à sa quatrième saison, avait surtout constaté une présence américaine de produits dérivés des années 1990-2000.
«Quand on a lancé la marque, on recevait une vingtaine de messages par jour de suggestions d’éléments des années 90 ou 2000 à ajouter dans nos collections», se souvient Mme Fisette.
«La nostalgie, c'est un sentiment qui est à la fois joyeux et doux. C'est rassurant. C’est une émotion qu’on voulait faire passer à travers nos vêtements.»
Les trois partenaires s’inspirent également d’éléments de l’actualité dans leur design en ajoutant une touche nostalgique.
«Comme on ne peut pas vraiment séparer le passé du présent et de l'avenir, si on utilise la nostalgie de façon créative et réflexive, elle permet justement de connecter de façon critique le passé au présent et à l'avenir», note la professeure Niemeyer.
Le risque de l’idéalisation du passé demeure cependant une préoccupation à garder en tête, prévient-elle, même si jeter un regard sur un temps révolu peut parfois «mieux construire l'avenir et permettre de mieux vivre la crise du temps présent.»
«C'est également cyclique, précise Mme Niemeyer. Peut-être que dans 20 ans, nous serons nostalgiques des années 2020.»
Sur ce, c’est ici que je dois m’arrêter. Ma sœur veut passer un appel, donc je dois quitter Internet afin de libérer la ligne téléphonique, loin de me douter que cette époque susciterait autant d’intérêt, 20 ans plus tard.