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«Considérant qu'on augmente déjà notre consommation d'eau, il va y avoir des points de rupture dans certaines municipalités qui vont manquer d'eau».
Le Québec doit modifier ses dispositions réglementaires sur l'eau s'il veut réussir à décider lui-même des priorités sur son usage avant que les changements climatiques ne le forcent à faire des choix douloureux.
«Les experts des changements climatiques disent que dans un délai de 10 ans, les terres agricoles du sud du Québec devront être irriguées pour conserver les mêmes rendements qu'ils ont en ce moment. Donc, notre consommation d'eau d'ici les 10 prochaines années risque de s'accentuer gravement», avertit Rébecca Pétrin, directrice générale d'Eau Secours.
«Considérant qu'on augmente déjà notre consommation d'eau, il va y avoir des points de rupture dans certaines municipalités qui vont manquer d'eau», ajoute-t-elle.
En entrevue avec La Presse Canadienne au lendemain d'une décision de la Cour du Québec qui a empêché Eau Secours et le Conseil québécois du droit de l'environnement (CQDE) de connaître les quantités d'eau prélevées par les grands embouteilleurs, Mme Pétrin s'est dite extrêmement préoccupée par le manque d'information sur la consommation d'eau par différents secteurs.
Curieusement, c'est grâce à la Loi sur l'accès à l'information que neuf grands embouteilleurs interpellés, dont Coca-Cola, Pepsi, Naya, Amaro et Eska, notamment, ont réussi à empêcher le ministère de l'Environnement de fournir ces chiffres aux deux organismes qui les avaient demandés par le biais d'une demande d'accès à l'information.
La Loi sur l'accès à l'information permet en effet d'invoquer le secret commercial pour refuser de donner certains renseignements, une disposition qui a préséance sur l'article 7 de la Loi sur l'eau, qui prévoit que «toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives aux ressources en eau détenues par les autorités publiques».
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Même le premier ministre François Legault, de passage à Magog en Estrie vendredi, n'a pas caché que cette disposition pose problème: «Faut-il changer certaines lois pour avoir toute l'information? Je suis ouvert à ça, mais je veux qu'on suive la situation sur l'utilisation de l'eau. C'est un bien qui est très important pour le Québec. C'est une richesse qui est importante pour le Québec, donc il faut qu'il y ait un suivi sur ce qui est consommé, incluant par les embouteilleurs.»
Il risque de se faire rappeler ses propos plus tôt que tard. Plutôt que d'aller en appel, Eau Secours et le CQDE ont décidé d'en appeler à la population et lancent une campagne invitant le public à demander au gouvernement de modifier la législation et la réglementation entourant l'utilisation de l'eau: «Les tribunaux ne font qu'appliquer le cadre juridique en vigueur. Or, il n'y a rien qui empêche l'État de modifier le cadre juridique», a fait remarquer Me Marc Bishai, qui représentait Eau Secours dans cette cause.
Rébecca Pétrin insiste sur la nécessité de collecter des données et ce, dès maintenant parce que la pression commence déjà à se faire sentir: «On a clairement peur. Les eaux souterraines sont des eaux glaciaires, qui datent de la dernière époque de glaciation. Le taux de recharge de ces eaux-là est très faible comparativement à la vitesse à laquelle on prélève. Certaines nappes vont nous durer encore plusieurs décennies, voire des siècles, mais d'autres qui sont plus petites et qui sont beaucoup sollicitées, oui on pourrait facilement en venir à voir des nappes d'eau souterraines mises à sec.»
Scénario inutilement catastrophiste? Non, rétorque-t-elle. «On a déjà des épisodes de stress hydriques dans le sud du Québec. On sait que la municipalité de Sutton (en Estrie) peine à trouver des ressources en eaux souterraines. C'est un milieu qui est entouré de beaucoup d'agriculture et de plus en plus de résidentiel. On a des communautés comme Saint-Lin-Laurentides qui ont manqué d'eau l'été dernier».
Par ailleurs, quand le prélèvement de fait dans les eaux de surface d'un bassin versant, il faut là aussi être très attentif, dit-elle: «Il faut savoir quelle quantité on prélève et quelle est la recharge dans un bassin versant pour s'assurer que les quantités prélevées ne dépassent pas la capacité de recharge».
«À partir du moment où ces données sont cachées du public, il n'y a rien qui nous confirme que demain il va rester de l'eau.»
Les requêtes d'Eau Secours lui ont tout de même permis d'apprendre en 2018 que les embouteilleurs avaient versé un peu moins de 150 000$ en redevances pour quelque deux milliards de litres d'eau puisée. «Cela représente environ 7 sous pour 1000 litres et chaque premier 75 000 premiers litres par jour sont gratuits. Donc aussi bien dire qu'on leur donne l'eau», s'insurge Mme Pétrin. La loi prévoit en effet que toute consommation qui dépasse 75 000 litres par jour en moyenne sur une année doit être déclarée et ce dépassement est soumis à des redevances minuscules de 2,50$ par million de litres prélevés. Certaines juridictions européennes exigent des redevances de plusieurs milliers de dollars par million de litres prélevés.
Cette donnée globale obtenue en 2018, si elle révèle l'absence quasi complète de contraintes financières imposées aux embouteilleurs, ne permet toutefois pas d'identifier d'éventuels problèmes, souligne Me Bishai. «Pour quelqu'un qui s'intéresse à la santé d'un bassin versant, ce n'est pas très utile comme information. Il faut des données pour savoir où il y a des pressions qui doivent être gérées.»
«Faut-il augmenter les redevances?», s'est demandé de son côté le premier ministre Legault, vendredi, ne cachant pas que la situation commence à exiger plus d'attention. «Ça me préoccupe, parce que l'eau c'est un bien public et c'est un bien public qui est de plus en plus important et recherché dans le monde. On a la chance d'en avoir beaucoup, mais il faut suivre le dossier.»
Les embouteilleurs ne sont pas les seuls dont la consommation d'eau est inconnue. Toutes les industries qui ne sont pas dans un milieu urbain qui comptabilise l'usage de l'eau et l'ensemble des producteurs agricoles échappent à toute surveillance, à moins qu'ils n'en utilisent plus que 75 000 litres par jour en moyenne sur toute l'année, des quantités rarement atteintes, par exemple, par les producteurs agricoles puisqu'ils n'ont pas besoin d'irriguer l'automne, l'hiver et une bonne partie du printemps.
«Tous les agriculteurs ou les petites industries qui prélèvent moins que ça, on n'a aucune idée des quantités qu'ils utilisent. Ces chiffres ne sont pas compilés ni au ministère de l'Environnement, ni ailleurs», souligne Rébecca Pétrin, selon qui ces données aussi doivent être compilées et rendues publiques.
«La première chose à faire, dit-elle, ce sera de collecter les données pour savoir qui utilise l'eau et à quelle quantité dans les bassins versants. La deuxième chose qui serait importante à faire ce sera de réglementer l'irrigation. Les terres agricoles, on sait que le goutte-à-goutte c'est la technique la plus efficace pour économiser l'eau. Donc avant que les agriculteurs commencent à s'installer des systèmes d'irrigation, il faudrait peut-être commencer à imposer des systèmes qui sont plus efficaces.»
«Tant et aussi longtemps que le secret est gardé sur les secteurs industriel et commercial, on ne peut même pas comparer avec le secteur résidentiel pour savoir qui consomme le plus d'eau», ajoute-t-elle, faisant valoir que les citoyens, eux, sont soumis à des mesures de restriction de l'usage de l'eau, notamment pour l'arrosage.
Un des obstacles entourant une gestion plus rigoureuse de l'eau est l'idée que le Québec, choyé de ce côté, ne peut pas en manquer. «Il y a une culture de la profusion de l'eau qui existe au Québec, qui est bien ancrée dans nos imaginaires parce que de voir les étendues d'eau, ça ne donne pas l'impression qu'on va en manquer. Malheureusement, ce que les gens ne réalisent pas c'est que, justement, cette eau date d'une période de glaciation, que chaque quantité d'eau qu'on puise qui dépasse la capacité de recharge, c'est de l'eau qui est perdue.»
«L'autre chose que les gens ne réalisent pas, c'est qu'au Québec, on n'a pas utilisé beaucoup d'eau jusqu'à présent parce que le climat ne nous obligeait pas à irriguer nos terres agricoles», ajoute-t-elle, précisant que l'agriculture est, à l'échelle planétaire, l'un des secteurs qui demandent le plus d'eau.
Le Québec, répète-t-elle, n'échappera pas aux changements climatiques et les besoins en eau, particulièrement dans le secteur agricole, risquent fort d'exploser.