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Fidèle à son surnom, le soi-disant «glacier de l’Apocalypse» de l’Antarctique ne semble pas du tout intéressé à laisser s’approcher l’équipe internationale de scientifiques venue l’étudier.
Fidèle à son surnom, le soi-disant «glacier de l’Apocalypse» de l’Antarctique ne semble pas du tout intéressé à laisser s’approcher l’équipe internationale de scientifiques venue l’étudier.
Un gigantesque iceberg qui s’est détaché du glacier Thwaites et la glace marine bloquent le chemin à deux navires de recherche à bord desquels prennent place des dizaines de chercheurs qui souhaitent examiner à quelle vitesse la structure se détériore.
Ce glacier, qui a la taille de la Floride, a été surnommé le «glacier de l’Apocalypse» en raison des quantités énormes de glace qu’il contient. Si toute cette glace fondait, le niveau de la mer pourrait augmenter de 65 centimètres sur plusieurs siècles.
Des scientifiques de partout à travers le monde participent à cette mission internationale de 50 millions $ US. Ils souhaitent mesurer la température de l’eau, inspecter le fond de l’océan et mesurer l’épaisseur de la glace. Ils veulent aussi examiner les fissures dans la glace et la manière dont la glace est structurée.
Le glacier n’est accessible que pendant une courte période, pendant l’été antarctique.
Le projet de recherche n’est pas paralysé, mais il a quelque peu déraillé, ont admis des responsables.
Un chercheur de l’Université de New York, David Holland, est sur place pour percer le glacier pour mesurer la température de l’eau dessous. Son objectif est à portée de main.
Plutôt que de se tourner les pouces, M. Holland a pris le chemin du glacier Dotson voisin, pour faire ses recherches là où aucun humain n’est jamais allé. Il espère en apprendre plus au sujet de l’océan, chaud et invisible, qui gruge les deux glaciers par en dessous. Le plus petit glacier Dotson se trouver à environ 140 kilomètres du glacier Thwaites.
Ce glacier «est la composante la plus importante de Thwaites et il se protège et il se cache de nous», a dit M. Holland lors de sa première entrevue vidéo depuis le glacier Dotson. Il a dit que le glacier Dotson est «un beau paysage désertique blanc, d’un blanc étincelant en fait. Et tout ça va éventuellement disparaître et être remplacé par l’océan Pacifique».
«Personne ne peut se rendre jusqu’à Thwaites cette année, a dit M. Holland à l’Associated Press. Nous avons essayé sans succès pendant une semaine. Rien à faire. Alors nous sommes chez le voisin.»
Thwaites se désintègre et donne naissance à plus d’icebergs, a dit M. Holland. Cet iceberg était auparavant la partie avant du glacier, mais elle s’est détachée il y a environ 20 ans. Il mesure environ 70 kilomètres sur 44 kilomètres, soit approximativement la taille du Rhode Island.
Des tonnes de glace marine ont été attirées par l’iceberg, ce qui embête les chercheurs. La situation est ironique, puisqu’on retrouve actuellement dans l’Antarctique des quantités inhabituellement faibles de glace marine, a dit un responsable de la mission.
La plate-forme de glace de Thwaites et sa langue glaciaire contrôlent son avenir. On retrouve de l’eau chaude sous ces deux bordures qui fournissent le soutien qui maintient le reste du glacier en place, l’empêchant de glisser dans l’océan, a dit M. Holland.
Les scientifiques s’inquiètent de voir la bordure avant du glacier se fracturer en plusieurs endroits. Même si un effondrement complet du glacier prendrait des centaines, voire des milliers, d’années, la bordure s’effrite beaucoup plus rapidement. Et si cette portion cède, les chercheurs craignent que ce soit sans espoir pour le reste du glacier.
«Je pense que la plate-forme de glace sera disparue d’ici quelques années ou quelques décennies, a dit M. Holland par Zoom, alors qu’il faisait -20 degrés Celsius sur le glacier. Mais pour ce qui est de la glace à l’intérieur des terres, c’est vraiment une question sans réponse.»
Certains endroits, comme le Groenland où M. Holland a étudié le glacier Helheim en 2019, fondent du dessus en raison de la chaleur de l’air. En revanche, Thwaites et ses voisins sont plus menacés puisqu’ils fondent sous l’effet de l’eau chaude dessous, dont l’action est plus rapide, a expliqué M. Holland.
Une partie du phénomène est attribuable à des variations météorologiques naturelles, mais à cela s’ajoute l’impact du réchauffement planétaire, a-t-il dit.
Des modèles informatiques montrent que les gaz à effet de serre provenant de la combustion des carburants fossiles «influencent les vents d’une manière qui pousse plus d’eau chaude vers le sud», a dit M. Holland.
Cette eau chaude est ce que M. Holland est venu étudier. Il a l’intention de percer des trous de centaines de mètres pour descendre des sondes sous la glace, dans l’eau chaude. Mais «chaud» est relatif, la température de l’eau est d’environ 0 ou 1 degré Celsius, mais elle est toujours liquide en raison de sa teneur en sel.
Thwaites envoie environ 50 milliards de tonnes de glace dans l’eau chaque année. L’agence British Antarctic Survey calcule que le glacier est responsable de 4 % de la hausse mondiale du niveau des océans, et que les conditions qui lui font perdre encore plus de glace s’accélèrent.
Si Thwaites s’effondre, les glaciers voisins pourraient faire de même, a dit Paul Cutler, le directeur du programme de glaciologie de la National Science Foundation des États-Unis.
«Si tu perds Thwaites, tu commences ensuite à attirer d’autre glace dans ce bassin, a prévenu M. Cutler. Dans tous les modèles de prévision, ça tend à entraîner l’effondrement du reste de l’ouest de l’Antarctique sur des milliers d’années.»
M. Holland se trouve à bord du brise-glace sud-coréen Araon. L’hélicoptère qui se trouve aussi à bord a permis aux chercheurs d’improviser une visite au glacier Dotson. Mais le navire scientifique Nathaniel B. Palmer, de la National Science Foundation, qui a à son bord environ 35 chercheurs et deux drones sous-marins, n’a pas encore pu se rendre jusqu’à Thwaites et n’a pas d’hélicoptère.
L’étude du glacier Dotson est utile, a assuré M. Cutler, «parce que nous en avons beaucoup à apprendre» à son sujet.
M. Holland apprécie la nature sauvage des lieux, même son blanc monotone, où les seuls sons sont le sifflement du vent et le goéland occasionnel.
«C’est un peu un endroit désolé, mais d’une belle manière, a-t-il dit. C’est très serein, et c’est un peu dommage que ça doive entièrement disparaître.»