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«Quand nous avons faim, nous mangeons n'importe quoi venant du désert. Sinon, rien.»
Les cruelles réalités de la guerre et de la sécheresse semblent avoir fusionné pour Tinseu Hiluf, une veuve vivant dans les profondeurs arides de la région éthiopienne du Tigré qui élève quatre enfants, laissés derrière par la récente mort de sa sœur en couches.
Une guerre de deux ans entre les troupes fédérales et les forces régionales a tué l'un de ses propres fils. Les autres sont déjà adultes. Et aujourd'hui, le manque de nourriture résultant de la sécheresse qui frappe la région laisse le plus jeune des enfants qu'elle élève souffrir de malnutrition.
Elle essaie de récolter des graines parmi la verdure rare du paysage jaune et rocheux du désert. Mais elle a récemment décidé de se rendre au centre de santé voisin de Finarwa, dans le sud-est du Tigré, pour tenter de maintenir en vie le bébé d'un an.
«Quand nous avons faim, nous mangeons n'importe quoi venant du désert, a-t-elle expliqué. Sinon, rien.»
Le Tigré est désormais en paix, mais les effets de la guerre persistent, aggravés par la sécheresse et une mauvaise gestion de l’aide qui a amené l’ONU et les États-Unis à suspendre temporairement les livraisons l’année dernière.
Les champs autrefois luxuriants sont stériles. Les mères, le visage marqué par l’inquiétude, regardent, impuissantes, leurs enfants s'affaiblir à cause de la malnutrition. Près de 400 personnes sont mortes de faim dans le Tigré et dans la région voisine d'Amhara au cours des six mois précédant janvier, a révélé le médiateur national en début d'année, un rare aveu de décès liés à la faim par un gouvernement fédéral.
La plupart de ces décès ont été enregistrés dans le Tigré, qui abrite 5,5 millions d’habitants.
Jusqu’à la signature d’un accord de paix en novembre 2022, la région était le théâtre d’une guerre meurtrière entre les troupes fédérales et les forces fidèles au parti au pouvoir, aujourd’hui déchu. Mais des mois après la fin du conflit, l’ONU et les États-Unis ont interrompu leur aide alimentaire au Tigré en raison d’un plan massif des responsables éthiopiens visant à voler des céréales humanitaires.
Une saison de récolte insuffisante a suivi.
L’insécurité persistante signifie que seulement 49 % des terres agricoles du Tigré ont été plantées pendant la principale saison de plantation de l’année dernière, selon une évaluation réalisée par les agences des Nations Unies, les ONG et les autorités régionales, et consultée par l’Associated Press (AP).
La production agricole dans ces zones n'a représenté que 37 % du total prévu en raison de la sécheresse. Dans certaines régions, la proportion était aussi faible que 2 %, selon cette évaluation.
La mauvaise récolte a incité les autorités du Tigré à mettre en garde contre une «famine en cours» qui pourrait correspondre à la famine de 1984-1985, qui a tué des centaines de milliers de personnes dans le nord de l’Éthiopie, à moins que la réponse humanitaire ne soit intensifiée.
Des livraisons de nourriture ont été faites au Tigré au cours du second semestre de l'année dernière, mais seule une petite fraction des personnes dans le besoin du Tigré reçoit une aide alimentaire, selon les travailleurs humanitaires.
Finarwa, une communauté agricole d'environ 13 000 habitants, est l'une des régions les plus touchées.
Le centre de santé de la ville possède encore des équipements endommagés par la guerre et certaines de ses salles semblent abandonnées. Tadesse Mehari, le responsable de la clinique, a expliqué que le manque de nourriture dans les maisons de la communauté a forcé les enfants à fuir et à mendier dans les villes voisines.
«Il n'y a rien à manger ici. Alors, pour avoir de la nourriture et pour sauver leur vie, ils sont déplacés n’importe où, loin d’ici, a-t-il déclaré. Donc, dans cette région, beaucoup de gens souffrent. Ils sont affamés. Ils meurent à cause du manque de nourriture.
Certains dirigeants locaux, se sentant impuissants, ont refoulé leurs propres citoyens.
Hayale Gebrekedian, chef du district de Nebar Hadnet depuis cinq ans, a écouté les appels des villageois qui ont afflué dans son bureau un après-midi, il y a peu. Une veuve nommée Serawit Wolde, mère de 10 enfants, était en larmes lorsqu'elle racontait que cinq d'entre eux tombaient malades à cause de la faim.
«S'il vous plaît, n'importe quelle aide», a-t-elle dit à M. Hayale.
Ce dernier a dit à la femme qu'il n'avait rien à donner. «Il n’y a tout simplement pas (de nourriture)», a-t-il répondu.
M. Hayale a déclaré plus tard à l'AP: «Cet endroit était une source d'espoir, même pour les personnes déplacées par la guerre. Nous en avions assez pour tout le monde, mais maintenant nous ne pouvons même plus nous nourrir.»
«La guerre a tout pris, a-t-il dit. Il ne reste plus rien.»
M. Havale a raconté que l'accès à l'eau constituait un défi supplémentaire. Sur les 25 puits qui faisaient autrefois vivre la communauté et ses animaux, seuls cinq sont restés fonctionnels. Les gens marchent désormais pendant plus d'une heure et demie pour accéder à l'eau, a-t-il relaté.
En raison de la sécheresse qui sévit dans la région, certaines zones qui reçoivent habituellement environ 60 jours de pluie pendant la saison des pluies n'en ont reçu que quelques-uns.
Certains agriculteurs n'abandonnent pas.
Haile Gebre Kirstos, 70 ans, a continué à labourer ses terres arides et à planter du sorgho dans un village de Messebo, même si la pluie n'est tombée «que deux jours au cours de la dernière saison des pluies», a-t-il affirmé.
Autrefois luxuriante et regorgeant de bétail, la terre est désormais une étendue aride, mais il a gardé espoir, même après l'échec de la récolte précédente.
Bien que les labours ne commencent généralement pas avant la saison des pluies, en mai ou juin, cette année, il a commencé les travaux plus tôt, poussé par des besoins extrêmes. Il a parlé des agriculteurs qui ont vendu leurs bœufs et leurs outils agricoles pour nourrir leurs familles.
Pour lui, le souvenir de la famine des années 1980 est obsédant. «Cela a alors touché toute la région, a-t-il expliqué. Aujourd’hui, dans certains districts, la situation est aussi grave que dans les années 1980, voire pire.»