Début du contenu principal.
La gestion du deuil dans votre milieu de travail est-elle réellement adaptée aux réalités actuelles? Un nouveau guide pour les entreprises amène un vent de changement dans les politiques actuelles.
Votre père décède, vous obtenez cinq journées de congé, dont deux payées. Votre grand-mère rend l’âme, vous pouvez vous absenter une journée sans salaire. Le décès de vos proches se calcule-t-il seulement en jours de congé comptabilisés dans un fichier Excel?
Le deuil est loin de se terminer au moment où votre gestionnaire approuve vos congés pour assister aux funérailles d’un être cher. Au-delà de suivre à la lettre la loi québécoise, les entreprises devraient-elles instaurer des politiques de gestion de deuil?
Cette question a occupé pendant des années une équipe de chercheurs du réseau «Âge, vieillissements et fin de vie» (AVIF) de la Haute école de travail social et de la santé Lausanne (HETSL), en Suisse.
Le 2 juin prochain, Aurélie Masciulli Jung, Melissa Ischer et Marc-Antoine Berthod rendront disponible un guide offrant aux entreprises les outils nécessaires pour développer des politiques adaptées aux employés endeuillés. Un guide qui s’éloigne des décomptes de congés et qui se concentre plutôt sur le bien-être affectif des travailleurs.
«Très peu d’outils existent dans les entreprises pour accompagner les personnes qui vivent un deuil, constate Marc-Antoine Berthod, de passage à Montréal pour présenter le fruit de cette recherche collaborative. Un proche décède le vendredi, et le mardi, l’employé en deuil doit retourner au travail. Qu'est-ce qu'on met en place pour l’accompagner?»
«Le lien d'affection est souvent beaucoup plus important que le lien de parenté, mais très souvent, on considère que si une personne décédée n'est pas de la famille de l'employé, c'est un peu moins important, poursuit-il. Il est important de déterminer le lien que l'employé entretenait avec la personne décédée pour pouvoir lui permettre de mieux respirer et de mieux réaliser la perte de l’être aimé.»
Un aperçu de la Loi sur les normes du travail permet de constater que ce lien affectif n’est pas tenu en compte. Un travailleur peut s’absenter pendant cinq jours, incluant deux journée payées, pour le décès ou les funérailles d’un proche, comme d’un parent ou d’un enfant, par exemple. En ce qui concerne les grands-parents et les petits-enfants, notamment, il s’agit plutôt d’une journée sans salaire.
«On ajoute une détresse économique à une détresse qui est déjà très grande, estime Angelo Soares, professeur au département d’organisation et ressources humaines de l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal (ESG UQAM). Les organisations pourraient-elles non seulement effectuer la gestion des ressources, mais aussi la gestion des ressources humaines?»
«Il faut que l'humain soit présent dans ces politiques et qu’il ne soit pas seulement pris en considération d'une manière comptable en indiquant qu’un père vaut cinq jours et qu’une mère vaut autant de jours, par exemple. Il faut aller au-delà de cette façon de faire et se diriger vers une version plus humaine de la gestion du deuil.»
Photo: gracieuseté des chercheurs de la HETSL. Le guide pour les entreprises sera disponible dès le 2 juin en téléchargement libre.
Nous sommes dimanche soir, et l’heure est arrivée de dire au revoir à Guizmo, fidèle compagnon qui a suivi pas à pas les hauts et les bas de la famille.
Serait-il possible d’obtenir un congé, le lundi suivant, à la suite du décès de son chien?
Munie d’une politique de gestion de deuil adaptée à sa réalité, une entreprise pourrait effectivement décider d’offrir ce répit à un employé, même si rien n’est prévu dans la loi québécoise à cet effet.
«Les animaux de compagnie constituent également un objet d'amour, alors quand ceux-ci meurent, il y a un deuil à vivre, souligne M. Soares. Une entreprise pourrait ainsi décider d’octroyer un congé si votre chat ou votre chien est décédé.»
«C'est avec cette flexibilité qu'il faut penser le deuil. Il ne faut pas être trop figé dans la loi. À mon avis, la loi, c'est le minimum.»
Pourtant, que très peu d’entreprises se targuent d’offrir des avantages s’éloignant des normes du travail. Dans bien des situations, la gestion d’un deuil est traitée «au cas par cas, et parfois, cela crée des iniquités, ce qui n'est pas nécessairement positif pour une personne déjà dans une situation fragile», estime M. Soares.
Bien que le guide en question offre de nombreuses recommandations et de nombreux outils pour les entreprises, un changement risque réellement de s’opérer lorsqu’il sera commandé par les normes du travail.
«C'est encore trop tabou, estime M. Soares. C’est semblable à la prévention des harcèlements psychologiques au travail. En 2004, la loi est passée, mais ce n’est qu’en 2019, soit 15 ans plus tard, que les normes du travail ont décidé d’imposer aux entreprises l’obligation d’instaurer des politiques.»
«Les organisations ont réellement commencé à bouger lorsque c'est devenu imposé par la loi, renchérit-il, sinon, ça n’avançait pas.»
Pour l’instant, le Ministère «ne prévoit pas imposer l’obligation pour les entreprises de se munir d’une politique quant à la gestion du deuil», nous indique la CNESST, par courriel.
Reste donc à voir si, à moyen terme, de plus en plus d’entreprises québécoises se doteront volontairement d’une politique organisationnelle davantage adaptée à la réalité des travailleurs.
«Cette brochure se veut généraliste et se veut une amorce de discussion sur cette thématique qui est trop souvent débattue entre deux portes, informellement, et qui mérite une place beaucoup plus soutenue au sein de la société», conclut M. Berthod.