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Plusieurs corps policiers hésitent encore à employer le mot «féminicide» pour décrire le meurtre d'une femme.
À cause du grand nombre de meurtres commis contre des femmes dans plusieurs régions au pays, des intervenantes souhaitent qu'une définition précise du féminicide soit ajoutée dans le Code criminel.
Elles espèrent que ce changement sera bientôt proposé devant la Chambre des communes, puisque le premier ministre Mark Carney a promis de lutter contre la violence conjugale lors de la dernière campagne électorale fédérale.
Plusieurs corps policiers hésitent encore à employer le mot «féminicide» pour décrire le meurtre d'une femme. Par exemple, le Service de police de Kingston l'a utilisé une première fois quand elle a arrêté le mois dernier un homme de 26 ans pour le meurtre d'une femme de 25 ans commis «dans un contexte de violence conjugale».
La décision de la police d'utiliser ce mot est «très significative», soutient Myrna Dawson, la fondatrice et directrice de l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation.
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«Ce terme n'est pas vraiment utilisé dans leur vocabulaire actuel. Il n'est pas utilisé autant qu'il le devrait par beaucoup», a-t-elle ajouté.
Mme Dawson, également professeure de sociologie à l'Université de Guelph, indique que l'absence de définition dans le Code criminel explique en partie ce phénomène.
L'observatoire définit le féminicide comme le meurtre de femmes et de filles «lié au genre ou au sexe».
Le groupe utilise également un cadre de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime qui énumère dix indicateurs précis permettant de déterminer si un crime peut être considéré comme un féminicide.
Ils incluent notamment le meurtre d'une femme ou d'une fille par son partenaire intime ou un membre de sa famille, le harcèlement subi par une victime et de la violence sexuelle ayant contribué au crime. Dans certains cas, plusieurs facteurs peuvent être en jeu.
«Elles sont tuées de manières différentes de celles des hommes et des garçons, et ce, de plusieurs façons, parce que ces derniers disent être en droit d'entretenir des relations avec elles et s'attendent à ce que les femmes ne décident pas quand elles souhaitent mettre fin à une relation», a déclaré Mme Dawson.
En utilisant le cadre de l'ONU, l'Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation a recensé 1014 féminicides au Canada depuis qu'il a commencé à suivre les meurtres de femmes et de filles en 2018.
Cela comprenait 187 féminicides l'année dernière. Un partenaire intime, actuel ou ancien, a été accusé dans près de la moitié de ces cas, a constaté l'observatoire. Des membres de la famille ont été accusés dans 28 % des cas. Seuls 6 % des agresseurs présumés étaient des inconnus pour les victimes.
Bien que la police de Kingston ait qualifié un cas de féminicide, les données du groupe suggèrent qu'au moins quatre meurtres depuis 2018 pourraient correspondre à la définition.
D'autres groupes tentent de faire le même travail. L'Ontario Association of Interval Houses, qui suit les cas dans la province, a recensé cinq féminicides à Kingston depuis la fin de 2019.
Sa directrice générale, Marlene Ham, a soutenu que sans une définition universellement reconnue du féminicide, les chiffres varieront selon les groupes.
L'ajout d'une définition du féminicide au Code criminel permettrait à la police et aux organismes nationaux comme Statistique Canada de recueillir de meilleures données sur la violence faite aux femmes, ont fait valoir les deux défenseuses.
En l'absence d'une définition convenue, la police d'Ottawa a dressé une liste de 14 formes de violence qui entrent dans la catégorie du féminicide, notamment les meurtres commis par un partenaire intime, la torture et les meurtres misogynes de femmes, les meurtres de femmes et de filles autochtones, les meurtres liés à la violence sexuelle et les «meurtres non intimes de femmes et de filles».
Le corps de police a confirmé qu'il n'utilisait pas le terme «féminicide» pour décrire les femmes tuées lors de meurtres-suicides. Cela est une pratique qui, selon Mme Dawson, devrait changer, car il s'agit d'un «scénario très courant dans les affaires de féminicide».
D'autres services de police, comme le Service de police de Toronto, n'utilisent pas le terme «féminicide», puisqu'il n'a actuellement aucune incidence sur les accusations portées par la police dans les cas d'homicide. La police porte toutefois des accusations de terrorisme dans les cas d'homicide où la misogynie est un facteur déterminant.
Mme Dawson affirme que les policiers mènent une bataille difficile pour utiliser la terminologie du féminicide de manière plus cohérente.
«La police a vraiment besoin que les dirigeants prennent l'initiative, et j'entends par là le gouvernement fédéral qui décide de ce qui constitue une infraction criminelle et de ce qui doit être qualifié et légiféré officiellement», a-t-elle déclaré.
Au cours de la dernière campagne électorale, M. Carney avait promis que tout assassinat motivé par la haine — y compris un féminicide — serait considéré comme un «meurtre au premier degré constructif». Cela signifie que, dans un tel cas, une accusation de meurtre au premier degré serait déposée même si ce crime n'était pas planifié ou délibéré.
Chantalle Aubertin, porte-parole du ministre de la Justice Sean Fraser, a déclaré que le gouvernement «était déterminé à présenter le plus tôt possible un projet de loi visant à respecter cet engagement».
Si le gouvernement fédéral adoptait une définition du féminicide, Statistique Canada pourrait recueillir de meilleures données, a soutenu Mme Dawson.
L'agence fédérale suit déjà les homicides signalés par la police chaque année, ainsi que le genre des auteurs présumés et des victimes. Bien qu'un rapport de 2023 sur les homicides basés sur le genre de femmes et de filles ait détaillé certains indicateurs du féminicide, il n'a abordé que certains indicateurs de l'ONU.
«Plus nous en savons sur ces meurtres et plus nous pouvons les contextualiser dans le cadre de cette compréhension du féminicide, plus nous pourrons sensibiliser et poursuivre ces discussions sur la prévention», a dit Mme Ham, soulignant qu'un historique de menaces, de violence et de contrôle coercitif est présent dans de nombreux cas.
Il est important de poursuivre le dialogue sur la violence envers les femmes, a ajouté Mme Dawson, en insistant sur la différence entre ces meurtres et ceux visant les garçons et les hommes.