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C’est la question que je me suis posée suite à mes deux dernières chroniques. Est-ce qu’on est sur le bord d’un burn-out parental collectif? La réalité est, sans surprise, beaucoup plus complexe.
C’est la question que je me suis posée suite à mes deux dernières chroniques. Est-ce qu’on est sur le bord d’un burn-out parental collectif? La réalité est, sans surprise, beaucoup plus complexe.
Pour cette raison, j’ai décidé de retourner le miroir et de donner la parole, cette fois, aux parents qui se sont sentis heurtés par mes écrits et les témoignages des profs et des éducatrices que j’ai publiés.
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D’entrée de jeu, Isabelle, maman d’une fillette avec des besoins particuliers, me dit que ma question n’est pas la bonne. «Je ne trouve pas qu’on nous en demande trop. Je trouve qu’on s’en demande trop, tous, collectivement. Je trouve qu’on veut beaucoup pour nos enfants dans une société où il n’y a pas de services disponibles. Je ne me suis jamais dit qu’on m’en demandait trop, plus simplement que les gens qui trouvent que je suis une mère démissionnaire qu’ils soient à l’école, à la crèmerie, à iSaute ou dans l’autobus n’ont aucune ost** d’idée de ce qu’est ma vie.»
Peut-être qu’Isabelle a raison. Sans doute que la bonne question serait plutôt: est-ce qu’on juge trop facilement les parents? Selon tous ceux à qui j’ai parlé, incluant les experts consultés, la réponse est oui, et ce pour une multitude de raisons.
J’ai passé un coup de fil à Égide Royer, psychologue et professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. Je voulais savoir si les parents de maintenant sont, selon ce qu’il constate dans sa pratique, plus démissionnaires qu’avant? Selon lui, non.
Des parents démissionnaires, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Il faudrait plutôt regarder du côté du style de vie si on veut s’expliquer cette impression que c’est «pire qu’avant». «Le rythme comme tel a changé. À l’époque, il y avait toujours un adulte à la maison. Maintenant, tout le monde travaille et ce n’est plus comme ça, il faut s’adapter à une nouvelle réalité.»
S’adapter, un mot qui nous taraude au quotidien, nous les parents. S’adapter à la vie de famille, aux horaires de travail un peu fous et à tout ce que ça implique de vivre dans un système qui favorise la performance. Tout ça vient mettre du sable dans l’engrenage de notre parentalité. C’est bien évident. Et il y a la charge mentale.
Lourde, pesante, écrasante, souvent. Et ça, c’est juste pour ceux qui l’ont «facile», lire ceux qui n’ont pas de difficulté eux-mêmes et qui sont les parents d’enfants qui ne présentent pas de défis particuliers.
Catherine, professeure d’université et maman d’un garçon atteint d’un trouble du spectre de l’autisme, en a long à dire sur les jugements dont elle a été victime ces 13 dernières années. «Chaque jour ou presque, je me fais engueuler par d’autres parents. J’ai même eu des menaces physiques. Nous prenons le métro tous les jours. C’est notre seul moyen de transport. Un jour, alors que mon fils avait trois ou quatre ans, il s’est mis à tirer sur le sac à main d’une dame. Celle-ci s’est mise à le chicaner et son conjoint s’est mis de la partie pour la “défendre”. Mon fils est entré en crise. Mais quand mon garçon fait une crise, vous devez comprendre que ça peut durer trois heures».
Des crises explosives et longues, Catherine et Isabelle en vivent souvent comme parents d’enfant neuroatypiques. «Le premier 15 minutes, tu as la sympathie des gens. Mais au bout d’une heure, c’est une autre histoire. Quelqu’un a déjà appelé le 911 à cause d’une des crises de mon fils», me confie la professeure. «Il faut se slaquer le jugement.»
Isabelle abonde dans le même sens. «Une fois, mon proprio a pogné les nerfs. Ça ne faisait pas six mois qu’on était [dans son logement]. Il a dit que c’était plus vivable. Ma réponse a juste été: “si c’est difficile pour toi, imagine pour moi”. Est-ce qu’il y a un moment où tu t’imagines que je peux prendre mon pied dans cette situation-là? Les parents d’enfants TDAH et TSA qui se font mettre à la porte de leur logement, il y en a plusieurs.
J’avais lu un témoignage de Patricia Paquin, bien avant que je sois mère. Un cri du cœur. Elle disait: «arrêter de juger le parent qui gère un enfant en crise dans les lieux publics. Je m’étais juré ce jour-là que je ne le ferais plus jamais, sans même imaginer que je deviendrais cette mère dont tous les parents de l’école rêvent qu’elle soit enfin mise à la porte.»
Le sentiment de honte et d’échec, beaucoup de parents le vivent. Catherine me raconte s’être souvent sentie jugée par les professionnels à qui elle s’adressait afin d’obtenir un diagnostic. Pour elle, il n’y avait pas d’intention malveillante derrière certaines paroles ou interventions, mais cela lui a tout de même laissé un goût amer.
«J’ai parfois senti qu’on me disait que mon enfant n’était pas normal, car j’avais des problèmes psychologiques. C’est facile de dire que c’est moi qui fucke mon enfant. Ça nous a empêchés d’avoir un diagnostic d’autisme pendant des années.»
Des parents qui se sentent constamment jugés, surveillés, en examen et des profs et des professionnels qui se montrent très critiques à l’égard des parents. On ne s’en sort pas. Et ça ne mène à rien, selon Égide Royer. Il faut arrêter de chercher des coupables et se mettre en monde solution.
«Il y a 242 000 élèves identifiés en difficulté d’adaptation et d’apprentissages dans nos écoles. Ça fait beaucoup de monde. L’enseignement “ordinaire” ne sera pas suffisant pour ces élèves-là. Et il faut tenir compte du fait que certains parents ont d’énormes difficultés de lecture ou ne parlent pas la langue.»
«Le parent doit collaborer, mais il y a une plus-value réelle à aller chercher à l’école. La participation des parents est nécessaire, mais n’est pas suffisante. Tout jeune québécois qui fréquente une école 180 jours par année pendant 6 ans devrait sortir de là en étant capable de lire et d’écrire sans l’apport des parents.»
Si je comprends bien ce que monsieur Royer essaie de me dire, c’est que ce n’est pas parce que, dans une classe, 30% des élèves ont des plans d’intervention qu’on doit baisser les bras. C’est le monde scolaire qui doit s’adapter à eux. Pas l’inverse. Oui, les parents ont un rôle fondamental à jouer, mais pas que.
Même son de cloche du côté de la Coalition de parents d’enfants à besoins particuliers. «Il y a des perceptions à corriger», m’explique la présidente et porte-parole Bianca Nugent.
Madame Nugent a siégé 2 ans au le Conseil supérieur de l’éducation. «On travaillait sur un avis sur les conditions d’exercice de la profession enseignante, notamment sur le manque de flexibilité dans l’organisation scolaire.» L’avis n’a jamais été publié par le ministère, ce qu’elle déplore.
«Il faut réfléchir sur la formation initiale des enseignants et la formation continue. Sur une formation de 120 crédits, seulement trois sont alloués à l’adaptation scolaire. Ça ne fonctionne pas.» Elle insiste : «Il faut arrêter de se pitcher des tomates, c’est une responsabilité collective. Il faut s’assurer que tous les élèves soient éduqués, aient droit aux mêmes chances.»
L’éducation et la parentalité devraient être en constante évolution, encore plus en ce moment, alors qu’on traverse une époque, disons, pleine d’adversités.
Selon Égide Roger et Bianca Nugent, un peu comme les policiers ont dû s’adapter aux nouvelles réalités psychosociales et effectuer leur travail autrement, ceux qui travaillent avec les enfants devront faire de même. Madame Nugent a la certitude que beaucoup de professeurs-es pensent comme elle.
«Écoute, collaboration famille-communauté, bienveillance et inclusion. Tant que ce ne sera pas nommé explicitement, il va toujours y avoir des gens qui vont dire qu’ils n’ont pas été formés pour ça. Ça prend une profonde refonte de la formation. Il faut faire le deuil de l’enseignement tel qu’on l’a connu.»
De nouveaux leaders pédagogiques, des directions qui vont imposer un nouveau regard et amener l’éducation au 21e siècle, c’est ce dont on aurait besoin. Mais se faire, ça prendra de la volonté politique. On y revient toujours, à cette formule un peu creuse, vous allez me dire.
Je nous rappelle par contre qu’on a un gouvernement qui a fait de l’éducation l’une de ses priorités. On a un ministre de l’Éducation tout neuf, qui se dit prêt à mettre l’épaule à la roue. Si c’est vraiment vrai, si c’est vraiment ça, faudrait peut-être, du côté des décideurs, écouter les parties prenantes, pas justes faire des comités à huis clos de personnes choisies qui pensent comme nous.
«Il faut entendre les voix discordantes», martèle Bianca Nugent. Mais il faut surtout plus de bienveillance, plus d’empathie. Arrêter de se pitcher des tomates, comme elle dit.
Je lui demande quand même si elle a l’impression qu’on en demande trop aux parents.
«Oui, mais on en demande surtout trop aux enfants.»
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