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Le Lavallois de 50 ans devrait être libéré mercredi après avoir purgé une peine d’un an de prison, mais trois autres femmes ayant fréquenté Daniel Curran l’accusent d’agressions similaires.
Ces trois nouvelles victimes présumées ont décidé de porter plainte en décembre dernier après avoir appris dans un article du journal Le Nord que l’homme avait fait d’autres victimes.
«Quand c'est moi qui vivais sa violence, on dirait que c'était comme un peu moins grave», raconte Jacynthe, l’une des trois nouvelles présumées victimes de l’homme. «Mais quand j'ai vu toutes les filles à qui c'est arrivé, je me suis sentie responsable, parce que je n’avais jamais porté plainte.»
Les trois femmes se sont confiées à Noovo Info sur leurs expériences décevantes au sein du système de justice criminel. L’une d’entre elles a vu sa plainte rejetée en raison des délais judiciaires. Une autre est sans nouvelle de son dossier, trois mois après avoir porté plainte. Jacynthe, elle, songe à abandonner sa démarche après une discussion avec le procureur au dossier.
Annie dit avoir rencontré Daniel Curran sur Facebook en novembre 2022. Leur relation de deux mois aurait été marquée par les accès de colère de l’homme.
Elle décide finalement de le quitter le 7 janvier 2023 et se rend ensuite au restaurant de Daniel Curran pour récupérer ses effets personnels. Lors de cette rencontre, elle affirme que l’homme l’aurait poussée et lui aurait lancé une paire de bottes. Annie, en larmes et terrifiée, aurait supplié l’homme de ne pas la frapper à la tête.
Le 8 décembre 2023, Annie porte plainte. Des policiers de Longueuil se présentent chez elle pour prendre sa déposition, et le dossier est envoyé à Laval, puisque les événements seraient survenus sur ce territoire.
Le 13 février dernier, une procureure de Laval a annoncé à Annie que sa plainte n’a pas été retenue, puisque le délai de prescription de 12 mois était dépassé. Annie avait pourtant porté plainte 11 mois après les faits.
«Elle m'a dit: “Moi je viens de lire ta plainte”», se souvient Annie.
Interpellé par Noovo Info, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n'a pas voulu expliquer pourquoi il n'a pas autorisé la poursuite.
Selon Me Nada Boumeftah, avocate criminaliste, la décision pourrait s’expliquer par le fait que l’accusation la plus plausible à porter dans le dossier d’Annie en était une pour voie de fait simple. Une infraction dite «sommaire» pour laquelle la loi stipule que les accusations doivent être déposées dans les 12 mois suivant l’événement.
Pour Me Boumeftah, il est grand temps pour le gouvernement fédéral de réfléchir aux délais de prescriptions pour les dossiers impliquant de la violence conjugale. Pour les agressions sexuelles, par exemple, il n’existe aucun délai de prescription en vertu du Code criminel, la loi a été modifiée dernièrement à cet effet.
«C’est important de circonstancialiser la violence conjugale», estime Me Boumeftah. «Rappelons qu’en matière d’agression sexuelle, on s'est dit: “écoute, ça peut prendre cinq ans, 10 ans, 40 ans. Quand tu seras prête, viens nous parler."»
Outre la déception, Annie est en proie à une grande tristesse, et surtout à de la colère envers le système de justice.
«On ne m’a pas expliqué pourquoi», dénonce la femme. «Je me disais que mon cas est peut-être trop minime pour être retenu, ou qu'on ne me croyait pas.»
Malgré son expérience, Annie tient à dire aux femmes de ne pas abandonner et d’aller porter plainte.
«Même si le système de justice semble avoir des lois qu'on ne connaît pas, faites-le quand même», martèle-t-elle.
Jacynthe, elle, a fréquenté Daniel pendant plusieurs mois après l’avoir rencontré sur Tinder à la fin de 2019. Les mois qui suivent sont parsemés d’événements troublants, selon elle. Il l’aurait étranglée à deux reprises et l’aurait poursuivie plusieurs fois en voiture, affirme-t-elle.
Elle raconte qu’il l’aurait abandonnée sur la voie d’accotement de l’autoroute 15 en plein hiver après l’avoir poussée hors de sa voiture. Des policiers de la Sûreté du Québec ont dû la raccompagner jusqu’à sa voiture. «Terrorisée», elle refuse alors de porter plainte.
Elle change d’idée en décembre dernier, après avoir lu l’article du journal Le Nord. Elle se rend à un poste de police et porte plainte. Elle dit avoir vécu les semaines qui ont suivi dans la peur, craignant la libération imminente de Daniel Curran. Elle a été sans nouvelles de son dossier pendant des semaines. Des délais qui la surprennent, surtout dans un contexte de violence conjugale présumée.
Sa première rencontre avec le procureur en charge de son dossier, le 26 février dernier au palais de justice de Saint-Jérôme, ne l’a pas du tout rassurée. Si l’homme dit croire la présumée victime, il l’avertit que son dossier est «difficile».
«Il m’a expliqué que ça allait être sa parole contre la mienne, que ça allait me demander beaucoup d’énergie, que ce n’était pas certain qu’il allait être déclaré coupable», se remémore Jacynthe. Il semblait dire que ça ne changera pas grand-chose même si je porte plainte, qu'il a déjà beaucoup de conséquences.»
Pour Me Boumeftah, cette situation est déplorable.
«C'est décourageant, alors qu'en ce moment, on essaie d'encourager [les victimes à porter plainte], juge-t-elle. Beau paradoxe.»
Selon Jacynthe, le procureur aurait martelé à plusieurs reprises qu’il était là pour elle et qu’il allait aller de l’avant si elle décidait de le faire. Mais elle est sortie de la rencontre confuse, moins déterminée.
Noovo Info s’est entretenu avec une troisième présumée victime de Daniel Curran, qui aurait été sévèrement battue lors d’un voyage à l’étranger.
Elle a également porté plainte en décembre dernier. Trois mois plus tard, elle est toujours sans nouvelle de son dossier.
La Commission des libérations conditionnelles a refusé d’accorder une libération anticipée à Daniel Curran à plusieurs occasions, jugeant qu’il représentait un risque pour la société, même avec un bracelet antirapprochement.
«Votre besoin d'avoir raison, même en détention, continue de diriger vos comportements, voire de les justifier. Ce qui ne saurait rassurer la Commission quant à votre capacité à mener à bien une libération anticipée», peut-on lire dans une décision rendue le 28 décembre dernier.
Moins de trois mois plus tard, il doit retrouver sa liberté le 20 mars. Daniel Curran sera sous probation pendant trois ans, avec surveillance et devra suivre une thérapie. Il a des interdictions de contacts avec les victimes.
Il n'aura pas de bracelet antirapprochement.
Voyez le reportage de Marie-Michelle Lauzon dans la vidéo.