Début du contenu principal.
Lorsque nous l’avons rencontrée il y a 3 semaines, elle venait de passer la nuit dans un froid glacial et profitait d’une soupe maison chaude cuisinée, par des bons samaritains à la place Émilie-Gamelin.
À lire également:
Un homme lui apportait un sac de couchage de neuf. Une denrée rare ces temps-ci dans la rue. Elle se préparait déjà mentalement à dormir une autre nuit dehors, parce que les refuges pour femmes sont toujours pleins et pas question pour elle d’aller dans un lieu mixte, les risques d’agressions sexuelles sont trop grands.
Crédit photo: Noovo Info
«Des fois, je dors dans des cages d’escaliers, des garages souterrains», explique-t-elle. Elle avoue jouer au chat et à la souris toute la nuit avec les résidents des immeubles voisins, elle change de place régulièrement pour ne pas être vue. «Ils ne savent pas vraiment que je couche là.»
Nous l’avons suivie sur la rue Ste-Catherine, où elle mendie près de la SAQ. «Habituellement, les clients de la SAQ sont généreux, ils ont le cœur à la fête.» La femme tend un verre de carton et sourit aux passants, elle fait quelques blagues à l’occasion et tente de garder le moral.
Pendant qu’elle récolte l’argent, une amie s’arrête. C’est Sonia. La femme qui souffre de problèmes de santé mentale raconte qu’elle n’a pas dormi de la nuit. «Je suis restée réveillée tout le long. Berri, Ste-Catherine, j’ai quêté. J’ai été dans les restaurants, prendre du café, c’était triste, je me sens malheureuse», confie-t-elle une larme aux yeux.
Crédit photo: Noovo Info
«Les femmes doivent marcher toute la nuit, si elles sont statiques, elles ont beaucoup plus de risques de se faire violer, elles marchent et marchent donc sans cesse», décrit Ann-Gaël Whiteman, coordonnatrice de La Rue des femmes. L’organisme dispose de 24 lits d’urgence dans la maison Jacqueline au centre-ville de Montréal. Et ça déborde tout le temps. Lors de notre visite, il y avait des femmes couchées dans le couloir du premier étage et sur le plancher de la cuisine, pas le choix selon Mme Whiteman.
«Quand on est en débordement, dans notre centre de jour aussi, on a des femmes qui viennent dormir quand elles ont marché toute la nuit parce qu’elles n’ont pas eu de place.»
Mme Whiteman, qui œuvre auprès d’elles depuis des années, constate que la situation n’a jamais été aussi grave à Montréal . «Ça a explosé», confirme-t-elle. Elle estime qu’il y a actuellement plus de 1500 femmes à la rue et elle base son évaluation sur le recensement d’il y a 4 ans. «On attend le nouveau dénombrement, on est très inquiètes. Il y a des problématiques de santé mentale, la consommation de drogue qui est épouvantable au niveau de la non-qualité et on le voit, on peut aller dans n’importe quel quartier et on trouve des personnes en état d’itinérance», dit-elle.
Quelques jours auparavant, dans l’espoir de retrouver Mélanie nous sommes partis à sa recherche quelques soirs, mais en vain. Un soir où il neigeait, nous avons croisé Gilberte, une femme de 77 ans qui réside dans un HLM. Elle venait de ramasser un pantalon jogging mauve, laissé devant une pharmacie de la rue Ste-Catherine.
«Je m’achèterais ça, ça me coûterait cher, je les mets dans la machine à laver» admet-elle. Nous l’avons aussi captée en train de fouiller dans les poubelles. «Ça arrive des fois que les gens déménagent et ils jettent des pots ou des cannes, c’est même pas sale, c’est pas ouvert, pis je les prends. Je ne suis pas itinérante, c’est juste que je suis à faibles revenus.»
«Elle est chanceuse d’avoir un HLM, il y a 15 ans d’attente maintenant», ajoute Mme Whiteman. Elle fait remarquer que sur l’aide sociale, une personne seule obtient autour de 800 $ par mois. «Avec la nourriture, les femmes ont aussi besoin d’un cellulaire pour leur sécurité, il ne reste pas grand-chose.»
Alors que nous terminons notre visite du centre, nous tombons finalement par hasard sur Mélanie, trois semaines plus tard. Il est midi, elle est arrivée vers 11h dans l’espoir de manger un spaghetti et de dormir au chaud. Elle nous apparait cette fois épuisée, la peau du visage brûlée par les engelures. Elle a perdu son beau sourire.
«Tu veux que je fasse quoi?, se questionne-t-elle en pleurant. Ce n’est pas grave, je suis habituée. Je suis née dans un monde rock and roll. Je suis un peu fatiguée, j’ai mal à la tête, j’ai mal partout t’sé», laisse-t-elle tomber, les joues mouillées par ses larmes.
Crédit photo: Noovo Info
Mélanie pourra y passer une nuit, mais devra repartir, qu’il fasse -30 ou 5 degrés Celcius, afin de laisser sa place à une autre.
Crédit photo: Noovo Info
La maison Jacqueline a hébergé 682 femmes en janvier et a été forcée d’en refuser 300.
Voyez le reportage de Véronique Dubé dans la vidéo.