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C’était un vendredi soir comme les autres au Théâtre du Rideau Vert à Montréal, où je me rendais pour voir une pièce avec un ami. En nous rendant à notre siège, on remarque plusieurs personnes non voyantes qui gagnent leur siège accompagnées d’un employé ou d’un chien d’assistance. Avant le début de la représentation, une employée du théâtre monte sur scène et nous explique que la pièce de ce soir sera présentée avec théâtrodescription pour une partie des spectateurs qui porteront des écouteurs pour l’occasion.
Le journaliste en moi est intrigué et je me promets de contacter le théâtre pour faire un reportage sur cette initiative.
Un mois plus tard, je franchis à nouveau les portes de la salle du Rideau Vert, cette fois-ci en compagnie de Martin Chouinard, une personne aveugle qui est un habitué de ces soirées adaptées. Il a gentiment accepté de m’accompagner dans ma première expérience de théâtrodescription.
«Je m’intéresse quand même au théâtre depuis que je suis jeune et j'avais quand même la naïveté de penser que vu qu'on était au théâtre et qu'il y avait moins de technique qu'à la télévision et que dans les films, je me disais on manque sûrement moins d'éléments de contenu à cause de ça. Mais je me suis rendu compte quand même assez vite que c'était pas tout à fait vrai», me confie-t-il.
Même si la représentation est prévue à 19h30, nous sommes attendus au Rideau Vert pour 16h, car une «visite tactile» précède la représentation.
Lors de celle-ci, en sous-groupes, on nous présente d’abord les costumes qui seront portés par les comédiens. Des bénévoles et employés les décrivent aux spectateurs sous toutes leurs coutures et leur permettent d’y toucher pour bien saisir l’allure que revêteront les comédiens aux différents moments du récit.
Puis, on nous fait monter sur scène afin de toucher le décor. Des artisans de la pièce sont présents et décrivent le moindre détail du décor. On nous fait même embarquer sur le panneau central qui va tourner au fil de la représentation et on active son mécanisme alors qu’un employé parle aux spectateurs depuis l’autre côté de la scène. Les spectateurs peuvent ainsi saisir la vitesse à laquelle le panneau tourne.
Même moi, qui a tous mes sens, j’ai trouvé cette visite particulièrement instructive. Je sentais qu’en prenant le temps d’aborder les détails de chaque pièce de costume et de décor, on prenait le temps d’aborder des détails symboliques qu’on ne remarque pas nécessairement lorsqu’on va au théâtre et qu’on est absorbés par le feu de l’action.
De plus, la rencontre avec les artisans de la pièce qui expliquent le choix d’un matériel ou d’un vêtement donne naissance à de riches discussions sur le thème de la santé mentale qui est au coeur de la pièce «Jamais, Toujours, Parfois» qui était à l’affiche ce soir-là.
Après une pause-souper, nous voilà de retour sur les bancs de la salle de spectacle pour la représentation. Pour avoir accès à la théâtrodescription, il faut installer une application sur notre téléphone et y brancher des écouteurs. Une ambiance musicale nous fait patienter, puis fait place à une description du décor et des costumes. La foule dans la salle est mélangée entre personnes non voyantes et leurs écouteurs et le reste du public qui assiste à une représentation régulière.
Après quelques ajustements sonores, je décide de ne garder qu’un seul écouteur pour bien saisir les paroles des acteurs de l’autre oreille. La description est subtile mais efficace. Entre les dialogues, la descriptrice, d’une voix douce et apaisante, nous décrit de manière concise l’action sur scène, les entrées et sorties des personnages, leurs déplacements, leurs mouvements.
La description est faite en direct et permet ainsi de s’ajuster aux aléas de la représentation.
Lorsque je ferme les yeux, j’arrive à bien situer l’action mais j’ai parfois un peu de difficulté à rester concentré et à imaginer clairement tout ce qui se passe. Je me fais alors la réflexion que les personnes aveugles assises à mes côtés ont sans doute plus de facilité que moi, leur imaginaire ayant été développé pour pallier leur handicap.
Après 2h15 d’action, la pièce se termine sous un tonnerre d'applaudissements. Je discute avec Martin dans le hall alors qu’il attend son transport adapté. Il me dit avoir beaucoup apprécié la pièce, le jeu des acteurs, mais aussi la qualité de la description.
«La différence entre une pièce adaptée et une pièce qui ne l'est pas, c'est que quand c'est une pièce adaptée comme aujourd'hui, on sort vraiment beaucoup plus avec l'impression d'avoir beaucoup, beaucoup mieux saisi, d'avoir beaucoup mieux compris tous les propos qui ont été exposés dans cette pièce là», me dit Martin juste avant qu’on se quitte à la porte du théâtre
Que le propos des pièces présentées soit accessible à tous, c’est d’ailleurs le souhait de la coordonnatrice du développement artistique au Théâtre du rideau vert, Erika Malot, qui a mis sur pied le programme d’accessibilité du théâtre.
«La culture c'est au centre de la collectivité et c'est ce qui permet de créer des liens entre les gens. Et ça, tout le monde devrait y avoir accès, pas seulement les personnes qui voient et qui entendent.»
En plus de la théâtrodescription, le Théâtre du Rideau Vert offre des soirées avec interprétation en langue des signes, avec surtitrage et avec de l’aide à l’audition.