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En marge de la visite du pape, Noovo Info s'est entretenu avec un homme qui s'est fait agresser par un prêtre lors de son enfance et avec le réalisateur d'une série portant sur les victimes d'abus commis par des membres de l'Église catholique.
Avec la visite du pape François au Canada, il était attendu que le souverain pontife adresse des excuses au nom de l’Église catholique pour les sévices subis par les membres des Premières Nations dans les pensionnats. Alors que des excuses ont été formulées plus tôt cette semaine, des victimes d’agressions sexuelles commises par des membres de l’Église attendent également que justice soit faite.
Dans une lettre ouverte publiée au Québec au début du mois de juillet dans différents médias, des signataires et leurs avocats estimaient que 2500 victimes alléguées d’abus attendaient d’obtenir justice devant les tribunaux.
Parmi les victimes alléguées se trouve Pierre Bolduc, aujourd’hui âgé de 65 ans. Une dizaine d’années après avoir dévoilé les crimes dont il affirme avoir été l’objet et plusieurs décennies après les avoir subis, il attend toujours d’obtenir réparation. Malgré les nombreuses embûches s’étant empilées sur son chemin au fil des ans, il n’entend pas abandonner.
Dans les années 1960, Pierre Bolduc vivait avec sa famille à Robertsonville, un village qui a depuis été annexé à la ville de Thetford Mines. Sa famille était déjà bien vue des prêtres du presbytère, puisqu’elle les fournissait en lièvres, dont ils étaient friands. «Ils nous donnaient 25 sous du lièvre, c’était payant en 1969, nous n’étions pas riches. On avait donc nos entrées au presbytère», raconte M. Bolduc.
Lorsqu’un nouveau curé, Jean-Marie Bégin, s’est établi à la paroisse, un vent de fraîcheur semblait prêt à souffler, car le prêtre était plus jeune et participait à de nombreuses activités avec les enfants du village.
Pour Pierre Bolduc, cette arrivée allait cependant rapidement se transformer en cauchemar. M. Bolduc affirme que le prêtre n’a pas tardé à abuser de lui, alors qu'il n'était âgé que de 12 ans, après une sortie pour aller voir un film à Québec.
«Ça a duré des mois. Il m’emmenait à la crème glacée, après il m’emmenait dans un rang pour faire ses cochonneries, raconte M. Bolduc. Je servais à la messe, il faisait les mêmes affaires à la sacristie. À un moment donné, il m’a dit ‘’Pierre, c’est de ta faute, tu es trop beau, je ne peux pas te résister’’.»
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Le jeune homme a fini par se confier à sa mère, qui, après avoir compris le manège dont son fils affirmait être la victime, lui a aussitôt indiqué de ne plus fréquenter le presbytère.
Des décennies après les évènements alléguées, M. Bolduc est toujours profondément marqué par ces agressions qui ont détruit son enfance et qui l’ont tourmenté tout au long de sa vie adulte. Son agresseur allégué n’aura d’ailleurs jamais été condamné ou reconnu coupable, puisqu’il s’est suicidé en 1986, au chalet. Le même endroit qui, selon M. Bolduc, était un des lieux de ces crimes.
Après s’être confié à sa mère, cela a pris des années avant que M. Bolduc ne raconte son histoire à d’autres personnes. Celui qui est aujourd’hui travailleur autonome dans le secteur de l’ébénisterie s’est finalement confié d’un coup, sans vraiment s’en rendre compte, à l’un de ses amis avec qui il rénovait une maison.
Il a aussitôt tenté de prendre action. L’homme a tenté de rencontrer le diocèse de Québec, sans résultat. En 2020, après plusieurs démarches, il intente une action collective en compagnie d’une autre victime contre le diocèse de Québec. À l’heure actuelle, cette démarche suit toujours son cours.
Photo : Frank Tremblay (gauche), Pierre Bolduc (centre) et Roger Lessard (droite) réagissent, après avoir remporté un recours collectif contre la communauté religieuse des Pères Rédemptoristes, le 11 juillet 2014. Crédit photo : Clément Allard | La Presse canadienne
Avant d’arriver à cette étape, M. Bolduc a entrepris plusieurs actions. Il a rencontré des ministres et a déposé une plainte auprès du Protecteur du citoyen. Malgré l’ampleur de son entreprise, il ne s’est jamais laissé décourager. «Les gens me disaient que je m’attaquais à l’Église, au gouvernement, que c’était comme David contre Goliath. J’ai dit : ‘’Oui, mais à la fin, qui a gagné ?’’», souligne-t-il.
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«Je ne lâcherai jamais, tant que je n’aurai pas réparation des gestes posés par cette organisation. Il faut comprendre, c’est sûr que le curé Bégin était déviant, il n’avait aucune raison de faire ça, insiste-t-il. Mais là où c’est encore plus dégueulasse, c’est que ses patrons le savaient, ils le déplaçaient de paroisse en paroisse.»
Selon lui, le fait de se buter à autant de résistance de la part de l’Église et de devoir ressasser son passé en cour constitue une autre forme d’agression. M. Bolduc veut malgré tout continuer à aller de l’avant afin que le système de justice puisse devenir plus sévère envers les agresseurs. D’après lui, ces derniers reçoivent la plupart du temps des «sentences bonbons».
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En plus de son désir de justice, M. Bolduc veut venir à bout de sa mission. «Je veux que les gens comprennent qu’agresser sexuellement un enfant, un préadolescent ou un adolescent, c’est un acte criminel d’abord, mais que les dommages sont épouvantables, a-t-il confié à Noovo Info. J’ai été obligé d’aller en thérapie et ma thérapeute m’a clairement démontré que tous les problèmes que je traîne dans ma vie, depuis que j’ai 12 ans, viennent directement de ça.»
Parmi les séquelles de son passé, M. Bolduc conserve notamment un problème occasionnel de bégaiement, un manque de confiance en soi, de la culpabilité, et de la difficulté à composer avec l’autorité.
«Ça a été épouvantable. J’ai fait ma vie comme ça, mais maintenant, j’ai décidé de rouvrir cette plaie. Je n’aurais jamais pensé que ça aurait été si long et si éprouvant, mais je suis allé trop loin pour reculer et je vais aller jusqu’au bout.»
L’abolition du délai de prescription, prononcée en juin 2020, a donné l’idée au réalisateur Jean-François Poisson et à son équipe de faire un documentaire sur le sujet des victimes d'agressions sexuelles commises par des membres de l'Église. Cette mesure faisait en sorte qu’il était maintenant possible pour les victimes d’agression sexuelle, de violence conjugale ou de violence subie durant l’enfance de poursuivre leurs agresseurs à tout moment. Auparavant, les victimes avaient 30 ans pour poursuivre leur agresseur au civil.
Dès le 26 août prochain, la série documentaire réalisée par Jean-François Poisson, Priez pour nous, sera diffusée sur les ondes de Canal D. L’émission donnera la parole à des victimes d’agressions sexuelles commises par des membres de l’Église catholique et suivra ces dernières dans leurs démarches judiciaires. Pierre Bolduc participe justement au projet.
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M. Poisson considérait que si l’abolition du délai de prescription était une bonne nouvelle pour les victimes, aucune commission d’enquête d’envergure, comme ce fut le cas en France ou en Irlande, n’avait été mise sur pied au Québec pour mettre en lumière les agressions commises par des membres de l’Église.
«On s’est dit qu’il y avait peut-être une série à faire là-dessus, raconte le réalisateur. On n’a pas du tout la prétention de faire une enquête, mais on s’est dit qu’il pourrait être intéressant de récolter des témoignages de victimes de partout au Québec afin de prendre leur pouls et de raconter leurs histoires, qui durent souvent depuis plusieurs années.»
En plus du point de vue des victimes, le documentaire présente aussi des interventions de politiciens et de membres de l’Église.
Or, quand l'équipe a voulu apporter des nuances dans son documentaire, elle a eu beaucoup difficultés à obtenir des réponses des différents diocèses.
M. Poisson souligne toutefois qu’il a pu comprendre d’une certaine façon les difficultés liées aux démarches des victimes. «L’Église n’est pas du tout dans l’empathie. Elle est surtout en mode ‘’sauver les meubles’’. Je ne veux pas généraliser aussi, cela concerne aussi ses avocats», déplore-t-il.
«Ça a été vraiment compliqué et très peu satisfaisant.»
D’une certaine façon, et pour différentes raisons, le contact avec les victimes n’a pas également toujours été chose facile.
«Ce n’est jamais facile comme processus. De base, avec notre éthique de travail, on ne pousse jamais. C’est un long cheminement, explique M. Poisson. Il y en a qui étaient intervenues dans les médias, donc on savait qu’ils avaient l’habitude des caméras. Mais ces personnes-là ont aussi beaucoup donné et des fois, elles sont tannées. De se mettre de l’avant et de raconter son histoire 50, 100 fois, d’aller témoigner après, c’est difficile.»
Le réalisateur ajoute qu’il était nécessaire de créer un lien de confiance avec les victimes et qu’il a été établi d’avance qu’elles pouvaient se retirer du processus.
Jean-François Poisson l’avoue d’emblée : son regard sur l’Église catholique a complètement changé au cours de la réalisation de Priez pour nous. «J’ai eu un goût tellement amer de tout ça que plusieurs membres de l’équipe et moi avons rempli notre formulaire d’apostasie pour quitter l’Église catholique. C’est fait, je ne suis plus baptisé», indique-t-il.
M. Poisson précise que ce n’est pas strictement un geste d’empathie envers les victimes, mais essentiellement une démarche personnelle.
Pierre Bolduc s’est également fait débaptiser. Et bien qu’il mène son combat depuis de nombreuses années, l’homme de 65 ans est convaincu qu’il obtiendra gain de cause. Ce n’est qu’une question de temps, selon lui.