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Un projet de loi fort attendu du ministre fédéral du Patrimoine, Pablo Rodriguez, forcerait, s'il est adopté, des plateformes numériques telles que Facebook à conclure des ententes d'indemnisations « équitables » avec les salles de nouvelles.
Un projet de loi déposé mardi par le gouvernement fédéral forcera, s'il est adopté, des plateformes numériques telles que Facebook à conclure des ententes d'indemnisation «équitables» avec les salles de nouvelles afin de les compenser pour les revenus publicitaires générés par le partage de leur contenu d'information.
«Grâce à cette loi, les géants du web vont devoir rendre des comptes», a déclaré le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, en présentant sa pièce législative, C-18, qui était fort attendue.
Le partage de contenu journalistique par les réseaux sociaux génère d'imposants profits pour ceux-ci. Pendant ce temps, Patrimoine canadien évalue que 450 médias d'information ont de mettre la clé sous la porte de 2008 à 2021.<
Une presse libre et indépendante est essentielle à la démocratie canadienne. On demande aux géants du web de compenser justement les médias et les journalistes pour leur travail et de contribuer à la pérennité des médias locaux et indépendants au Canada. #polcan #C18 pic.twitter.com/BAIStmSaMW
— Pablo Rodriguez (@pablorodriguez) April 5, 2022
Le projet de loi C-18 a pour objectif de rétablir le rapport de force dans les négociations entre ceux qui sont communément appelés les «géants du web» et les médias d'information.
Dans une séance d'information technique, des hauts fonctionnaires ont précisé que Google et Facebook sont les deux plateformes qui risquent de tomber sous l'égide de la pièce législative.
«Basé sur les revenus de 2020 (...), (ces) plateformes se trouvent en situation de dominance parce qu'elles reçoivent 80% des revenus (publicitaires) en ligne», a dit M. Rodriguez.
Les modalités déterminant quels géants du web seront, au final, assujettis à l'éventuelle loi C-18 doivent être précisées plus tard, par voie réglementaire.
Si l'effet de la législation s'avérait comparable à celle déjà adoptée en Australie, les sommes revenant aux médias d'information canadiens pourraient «aller quelque part entre 150 à 200 millions $», a évoqué le ministre.
Dans une déclaration écrite transmise par courriel, la société qui possède Facebook, Meta, a dit examiner le projet de loi en détail. «Nous espérons collaborer avec les intervenants politiques dès que nous comprendrons mieux ce qu'il implique», a réagi la responsable des politiques publiques, Rachel Curran.
Un conseiller en communications a soutenu que «les liens et les aperçus d'articles de presse» n'équivalent qu'à 4 % du contenu que les utilisateurs de Facebook voient dans leur «fil d'actualité» du réseau social.
«Les fournisseurs de nouvelles qui choisissent d'utiliser Facebook le font parce qu'ils en retirent des bénéfices; les outils et l'accès aux consommateurs potentiels de nouvelles sont gratuits», a-t-il ajouté en rappelant que Meta a investi 18 millions $ sur sept ans dans divers programmes et partenariats au Canada.
Google n'a pas répondu à la demande de commentaire de La Presse canadienne.
Les plateformes soumises à la future loi C-18 auront six mois après l'adoption de celle-ci pour conclure des ententes sur une base volontaire avec des médias et démontrer au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) que ces accords sont satisfaisants en vertu de six critères.
Ces derniers prévoient notamment que les ententes fournissent «une indemnisation équitable» aux entreprises de nouvelles et qu'elles contribuent à «la viabilité des entreprises indépendantes de nouvelles locales».
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Si le CRTC juge que les critères sont respectés, les plateformes seront exemptées de l'éventuelle loi. Dans le cas contraire, des «négociations obligatoires» pourront être lancées par des salles de nouvelles, qui pourront négocier collectivement. Un code de conduite à être établi par Ottawa guidera ce processus.
«Pour avoir un droit de passage ou une exemption, il y a beaucoup de travail à faire de la part des plateformes», a assuré M. Rodriguez.
Dans le cas où le processus de négociation obligatoire ne mènerait toujours pas à une entente, les parties pourront aller en arbitrage. «Chaque partie présente son offre, et l'arbitre en choisit une», a-t-il été indiqué en séance d'information technique.
Les plateformes numériques s'exposeront à des sanctions pécuniaires pouvant atteindre 15 millions $ si elles ne se conforment pas à l'éventuelle loi.
Le principal syndicat d'employés des médias de l'information francophones, la Fédération nationale des communications et de la culture (FNCC-CSN), salue la présence d'un processus d'arbitrage dans le projet de loi.
«Négocier sans rapport de force ou sans obligation de résultat, ça donne rarement des résultats positifs», a réagi par communiqué la présidente de l'organisation, Annick Charette.
De façon plus générale, la FNCC-CSN estime qu'Ottawa se dote des «meilleurs outils législatifs disponibles».
Même son de cloche du côté de la Guilde canadienne des médias, qui représente les employés de La Presse canadienne et de Radio-Canada, entre autres. La présidente du syndicat, Carmel Smyth, a décrit le C-18 comme «une des solutions clés préconisées par la Guilde et d'autres Canadiens préoccupés par la situation afin d'aider à faire face à la crise financière dans les médias d'information».
Facebook et Google ont déjà des ententes avec plusieurs médias d'information, mais le ministre Rodriguez voit son projet de loi comme un incitatif pouvant convaincre des géants du web de retourner à la table de négociations et d'en faire plus pour avoir droit à une exemption. Il a noté que c'est ce qui s'est produit en Australie, où la loi n'a pas eu à être appliquée «parce que les plateformes ont décidé de faire des négociations avant».
Le professeur de journalisme à l'UQAM Jean-Hugues Roy a aussi signalé, en entrevue, cet effet de la législation australienne. «Le projet de loi les pousse à étirer cette bonne volonté», croit-il.
M. Roy avait conclu dans un billet que Meta a généré l'an dernier un chiffre d'affaires de 190 millions $ au Canada en 2021 grâce aux contenus journalistiques.
À son avis, le gouvernement Trudeau a répondu, avec son C-18, à des critiques que s'est attirées la loi australienne. «Ça corrige quelques défauts (...). Ça permet notamment aux médias de faire des négociations collectives, mais aussi la loi canadienne, si elle est adoptée, s'assure que de plus petits joueurs qui ont été oubliés en Australie puissent bénéficier des redevances des géants du web», a-t-il commenté.
Questionné en point de presse sur la question des petites entreprises de presse, M. Rodriguez a reconnu que la totalité de celles-ci ne se retrouveront pas forcément incluses dans les ententes conclues avec des géants du web qui réussiront à être exemptés.
«Par contre, le projet de loi est rédigé de façon telle que les exigences sont extrêmement élevées et vise à inclure le plus grand nombre possible», a fait valoir le ministre.
La députée bloquiste Christine Normandin y est allée d'une proposition qui, selon sa formation politique, avantagera les petits médias risquant d'être laissés pour compte. Le Bloc québécois juge qu'un fonds créé à même des redevances permettrait une redistribution «de façon équitable entre les médias, avec une plus forte prévalence pour les médias francophones qui ont plus de difficultés dans certains cas à percer».
De son côté, le Nouveau Parti démocratique (NPD) s'est attribué les mérites du projet de loi présenté, soutenant que c'est «grâce» aux pressions qu'il a exercées que le gouvernement agit à ce chapitre. Le NPD a dit vouloir pousser le gouvernement à rendre transparents les cadres de négociation entre les géants du web et les médias.
Les conservateurs ont pour leur part dit vouloir examiner C-18, en discuter en caucus et s'entretenir avec des intervenants concernés.