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«On ne se retrouve pas vraiment dans la MRC.»
La municipalité de Saint-Denis-de-Brompton évalue la possibilité de quitter la MRC du Val-Saint-François pour se joindre à celle de Memphrémagog.
Par Sébastien Michon pour Le Val Ouest | Initiative de journalisme local
La municipalité de Saint-Denis-de-Brompton évalue la possibilité de quitter la MRC du Val-Saint-François pour se joindre à celle de Memphrémagog. Lors de la séance du conseil municipal du 7 octobre dernier, les élus ont octroyé un contrat de service professionnel à la firme Raymond Chabot Grant Thornton pour analyser la situation.
«La résolution adoptée au conseil vient d’une réflexion qui dure depuis plusieurs années. Amorcée avant même mon mandat. En fait, la municipalité de Saint-Denis-de-Brompton ne se retrouve pas vraiment dans la MRC du Val-Saint-François», explique d’emblée le maire Daniel Veilleux.
Un fait confirmé par son prédécesseur, aujourd’hui maire de Maricourt, Jean-Luc Beauchemin. «J’avais mentionné cet inconfort au préfet de l’époque, Monsieur Luc Cayer», rappelle-t-il.
Daniel Veilleux affirme qu’à son arrivée en poste, en 2021, il a voulu «prendre le temps de [se] faire une tête sur cette question avec le nouveau conseil municipal en place.» Il a alors rencontré la direction et le préfet de la MRC pour leur expliquer que Saint-Denis-de-Brompton amorçait une réflexion sur sa place au sein du Val-Saint-François.
Pourquoi Saint-Denis-de-Brompton ne se retouve-t-elle pas dans le Val? «Si on regarde la composition de la MRC, ce sont principalement des municipalités axées sur les secteurs agricole, industriel et commercial. Alors que Saint-Denis-de-Brompton est composée à 82 % de résidences. Nous avons très peu d’agricole, de commercial ou d’industriel. Nous avons par contre une vocation touristique, avec la villégiature autour de nos cinq lacs. Ce qui nous fait penser que nous avons davantage d’affinités territoriales avec la MRC de Memphrémagog», croit le maire.
Daniel Veilleux tient à mentionner que l’ensemble de la démarche se fait au grand jour. «Lors d’un atelier de travail, le 9 octobre dernier, j’ai avisé tous les maires que nous débutions ce processus. Dans un esprit de transparence et de collaboration. Nous avons aussi avisé le député de Richmond ainsi que le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH).»
Le préfet de la MRC du Val-Saint-François et maire de Valcourt, Pierre Tétrault, n’est pas étonné de cette action. «C’est loin d’être une surprise. C’est quelque chose qui est dans l’air depuis longtemps.»
À son arrivée en poste comme préfet en novembre 2023, Pierre Tétrault avait mentionné au Val-Ouest sa volonté de convaincre Saint-Denis-de-Brompton de rester dans le giron du Val-Saint-François. Il avait expliqué que, selon lui, la solution passe par le fait de «trouver des points de convergence et de mettre de l’avant des projets rassembleurs».
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Pierre Tétrault croit que les demandes de Saint-Denis-de-Brompton n’ont peut-être pas été répondues en partie à cause de la situation entourant les finances de la MRC. «Nous avions plusieurs années de retard dans la comptabilité de la MRC. L’objectif premier de la nouvelle directrice générale, Geneviève Giasson [arrivée en poste en janvier 2022], était de rétablir les finances. Il y avait un gros ménage à faire.»
Selon lui, cela a fait en sorte que certains projets ont dû être mis sur la glace. «Les énergies n’ont pas pu se mettre sur certains dossiers. Quand on adoptait des budgets, on n’osait pas investir ou agir parce qu’on ne savait pas s’il nous restait de l’argent.»
Pierre Tétrault affirme que bien qu’il était au courant des inconforts de Saint-Denis-de-Brompton, il n’a jamais eu de rencontre formelle avec son vis-à-vis pour en discuter. «Il a dit publiquement qu’il ne semble pas satisfait au sein de notre MRC. Qu’il ne s’y retrouve pas… Les élus de Saint-Denis sont rendus à cette étape-là. On ne peut pas les empêcher. C’est leur droit et c’est correct.»
Il pense par ailleurs qu’un hypothétique départ de Saint-Denis-de-Brompton aurait un impact «majeur» sur la MRC.
Envisager la possibilité de quitter la MRC est, en partie, une question financière pour Saint-Denis-de-Brompton. De par l’importance de sa richesse foncière uniformisée (RFU), elle contribue à environ 21 % du budget de la MRC. En 2024, la municipalité a ainsi versé 579 500 $ à la MRC. Ce qui représente 6,5 % de son budget municipal.
En mode «solution», Daniel Veilleux a proposé à ses collègues, en janvier 2023, de revoir le mode de contribution à la MRC. «La contribution des quotes-parts est basée exclusivement sur la RFU.
«Nous nous sommes demandé si c’était la bonne façon. Parce que nous trouvons que nous payons beaucoup par rapport aux services que nous recevons.»
La proposition comporte trois options, avec différentes «clés de partage», explique le maire. «Par exemple, dans l’une des options, on proposait que la contribution soit basée à 50 % sur la population, 25 % sur la RFU et 25 % sur une contribution égale des 18 municipalités.»
Le Conseil de la MRC donne alors le mandat à la direction générale de travailler avec le MAMH pour analyser ces différentes possibilités.
En juin 2023, la direction présente son travail d’analyse aux élus du Val lors d’un atelier de travail.
À la lumière de ces travaux, une résolution est ensuite présentée à la séance d’août 2023. Celle-ci préconise que le statu quo soit conservé pour la répartition des dépenses budgétaires de la MRC. Tous les élus votent en faveur, sauf Daniel Veilleux.
«À ce moment-là, nous nous sommes dits que nous allions continuer l’exercice. C’est normal de regarder ce qui est le mieux pour une municipalité comme la nôtre. Je ne serais pas un bon gestionnaire si je n’allais pas jusqu’au bout de cette démarche. Cela permettra à la fois à Saint-Denis et à la MRC d’amorcer une réflexion. Et après, d’évaluer ce qu’on fait», expose le maire.
Daniel Veilleux ne remet pas en question les compétences obligatoires assumées par la MRC, mais les compétences facultatives. «Ce qui est obligatoire par la loi, c’est correct. Mais après ça, si on veut un service complémentaire, il faudrait peut-être y aller sur le principe de l’utilisateur-payeur. Une autre municipalité n’aurait pas à payer pour des services dont notre municipalité aurait besoin. Et vice versa. On pourrait aussi se regrouper avec des municipalités avoisinantes pour s’offrir des services entre nous. Par exemple au niveau du tourisme ou de la culture.»
Il précise sa pensée : «Il y a des services que nous n’utilisons pas et pour lesquels on contribue. Ça ne correspond pas à la réalité de notre besoin. Alors on se dit que, peut-être, ce serait mieux pour nous si on s’en occupait nous-même.»
Une réflexion qui fait réagir Rémy Trudel, ancien ministre des Affaires municipales et aujourd’hui professeur spécialisé en administration municipale et régionale à l’École nationale d’administration publique (ENAP). «Au sein d’une MRC, les coûts peuvent être répartis sur un volume, par exemple sur la quantité de matières résiduelles envoyées au dépotoir. Mais non pas sur le principe de l’utilisateur-payeur.»
Rémy Trudel rappelle : «Une MRC est un lieu de gestion des responsabilités. Les municipalités s’y regroupent pour s’offrir des services en commun. Ce n’est donc pas juste une question de quotes-parts ou de calcul économique. Il y a la notion d’appartenir à une communauté, avec des valeurs communes.»
Il en a pour exemple l’électrification rurale ainsi que l’installation des réseaux d’aqueducs et d’égouts municipaux. Qui, à une certaine époque, créaient des divergences de points de vue entre le milieu rural et urbain. «Historiquement, si les municipalités avaient décidé de se concentrer uniquement sur elles-mêmes et de laisser tomber les autres, on n’aurait pas installé d’électricité dans les campagnes et d’aqueducs dans les villes.»
Un principe que prône aussi le préfet Pierre Tétrault. «Une municipalité contribue davantage lorsque sa valeur foncière est plus importante. Parce qu’elle a la possibilité d’aller chercher beaucoup plus de taxes comme revenu. Je trouve que c’est donc normal de payer un peu plus. Pour supporter les autres qui ont moins de moyens. Et que tous puissent s’offrir des services appropriés.»
Pierre Tétrault souligne : «Il ne faut pas non plus que ce soit juste à l’avantage des petites municipalités. Ce doit être à l’avantage de tout le monde.»
Premier volet : comparer le Val et Memphrémagog
Le processus enclenché par Saint-Denis-de-Brompton se déroule en deux temps. Raymond Chabot Grant Thorton fera d’abord une analyse comparative des services offerts par la MRC du Val-Saint-François et ceux offerts par la MRC de Memphrémagog. Elle évaluera aussi comment fonctionne le système de contributions financières au sein de cette MRC. Le rapport devrait être remis d’ici décembre 2024.
Deuxième volet : évaluer les impacts financiers
«Si ce premier volet confirme notre perception, nous allons octroyer un deuxième mandat. Celui-là pour voir quels seraient les impacts financiers, pour Saint-Denis-de-Brompton, de quitter la MRC du Val-Saint-François et d’adhérer à la MRC de Memphrémagog», déclare le maire.
Cette seconde analyse, si elle se fait bel et bien, pourrait prendre de six à neuf mois. Ce qui mènerait son dépôt près des élections municipales de 2025. «Je n’aurais pas fait cet exercice au début de mon mandat parce que je n’avais pas tous les éléments en main. Après trois ans, je pense qu’on a été patient. Ça fait assez longtemps qu’on en parle, on va maintenant aller au bout. Pour avoir l’information et voir si on se rend ou non jusqu’à une demande officielle à la ministre des Affaires municipales», déclare Daniel Veilleux.
Lorsqu’il était ministre, Rémy Trudel a reçu de telles demandes de municipalités qui souhaitaient changer de MRC.
Chacune doit faire l’objet d’une analyse ministérielle approfondie. Dans laquelle on évalue différentes considérations, comme les caractéristiques du territoire, les motifs invoqués ou encore l’encadrement légal applicable.
Au final, certaines sont acceptées. Comme ce fut le cas de Bromont, qui a obtenu, en 2009, le feu vert pour quitter la MRC de La Haute-Yamaska pour se joindre à celle de Brome-Missiquoi.
Mais ces cas sont rares. Le député de Richmond, André Bachand, avait précisé en entrevue à L’Étincelle en 2023 que «le gouvernement n’est pas vraiment dans l’ouverture de changer les limites des MRC.»
«Nous sommes en 2024 et il y a toujours les mêmes façons de faire. C’est normal, dans une organisation composée de plusieurs membres, de voir si ça répond toujours aux besoins. De ceux qui payent pour les services et de ceux qui utilisent ces services sans payer. Ça va être sain, de part et d’autre, de faire une analyse», fait valoir le maire Veilleux.
Pierre Tétrault se dit ouvert à de possibles aménagements, sans plus de précisions. «Pour l’instant, nous n’avons pas de pouvoir quant à cette étude commandée par la municipalité. Mais ça ne veut pas dire que, dans le futur, nous ne pourrons rien faire pour Saint-Denis-de-Brompton.»