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La liberté académique des enseignants universitaires doit être mieux définie et mieux protégée, nécessitant désormais un encadrement législatif pour éviter les dérapages ou l'autocensure.
C'est la conclusion à laquelle en est venue la ministre de l'Enseignement supérieur, Danielle McCann, qui a déposé mercredi le projet de loi 32, stipulant que l'enseignement universitaire devait pouvoir s'exercer sans contrainte «doctrinale, idéologique ou morale».
En clair, tous les mots seront permis dans les salles de cours, sans crainte de s'exposer à une plainte, en autant que le contexte pédagogique s'y prête.
Le vice-recteur aux partenariats, aux affaires internationales et autochtones de l'Université du Québec à Chicoutimi, Alexandre Cloutier, était de passage au bulletin Noovo Le Fil Québec pour discuter du sujet avec Jean-Simon Bui.
Selon l'ex-ministre péquiste et président de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire, l'enjeu de la liberté académique «va plus loin» que l'usage du mot en «n».
«Dans le fond, ça, c’est la pointe de l'iceberg. C’est ce qui a fait qu’éventuellement, on a eu une commission et que ça a fait les manchettes, mais ultimement, c’est s’assurer que les professeurs aient tout le matériel nécessaire pour faire ce qu’ils ont à faire, la recherche», a-t-il soulevé. M. Cloutier a toutefois insisté que l'usage du mot en «n» dans une optique de provocation ou d'insulte était inapproprié et pouvait mener à des sanctions.
D'après lui, les professeurs, dans un cadre raisonnable, ne devraient cependant pas avoir à se censurer : «Ça [peut poser] problème, c’e n'est pas ça que tu veux. Si les professeurs ont l’impression qu’ils marchent sur des œufs quand ils abordent certains sujets, ce n'est pas bon pour le Québec et le milieu universitaire.»
Pas question que les salles de cours des universités québécoises deviennent des «espaces sécuritaires» (ce qu'on appelle en anglais des «safe spaces»), à l'abri de tout propos dérangeant, du moindre mot choquant aux yeux de certains.
Les institutions d'enseignement supérieur sont des lieux de débats, a tranché la ministre McCann, qui refuse de voir les salles de classe universitaires se transformer en espaces sécuritaires.
Dans le même esprit, les universités ne pourront pas obliger un professeur à donner un avertissement à ses étudiants avant d'aborder un contenu susceptible d'en choquer quelques-uns, ce qu'on appelle les «traumas avertissements».
Pas question davantage de tolérer que les enseignants cèdent à la tentation de se censurer pour ne pas s'exposer à d'éventuelles plaintes, une tendance à la hausse depuis quelques années. On estime que 60 % du corps professoral affirme s'être censuré dans les cinq dernières années, en bannissant certains mots controversés de leur vocabulaire.
«La censure, ça n'a pas sa place dans nos salles de classe, elle ne l'aura jamais, et on doit protéger le corps professoral de la censure», a fait valoir la ministre en conférence de presse.
En toutes circonstances, c'est la liberté académique qui devra prévaloir, «mais dans un contexte pédagogique, dans le respect et dans les normes de rigueur scientifique et éthique qui existent dans nos universités».
Pour que la loi devienne une réalité sur le terrain, chaque institution universitaire devra se doter d'une politique de liberté académique et s'assurer de sa mise en œuvre, incluant l'obligation d'examiner le bien-fondé des plaintes reçues à cet égard.
De plus, l'université devra nommer une personne spécifiquement responsable de la liberté académique et chargée d'appliquer la politique de l'établissement en la matière.
Le projet de loi 32 fait suite au dépôt du rapport, en décembre dernier, du comité d'experts chargé de faire un état de situation et de formuler des recommandations au gouvernement en vue d'assurer l'autonomie du milieu universitaire et sa liberté d'expression. Le comité, qui était présidé par Alexandre Cloutier, avait conclu à la nécessité d'un encadrement législatif pour assurer la liberté d'expression en milieu universitaire. La commission Cloutier avait reçu 46 mémoires.
En entrevue téléphonique, M. Cloutier s'est dit très satisfait de la réponse gouvernementale, qui reprend les principales recommandations de son rapport, particulièrement en ce qui a trait au règlement des litiges.
M. Cloutier est d'avis qu'en matière de liberté d'expression en milieu académique, le Québec est en train de se positionner comme un leader à travers le monde, grâce à ce projet de loi.
La commission Cloutier avait été mise sur pied par le gouvernement en août dernier, à la suite de quelques incidents survenus en milieu universitaire et relayés dans l'actualité, dont le fait qu'une enseignante de l'Université d'Ottawa, Verushka Lieutenant-Duval, avait été suspendue, dans la foulée d'une plainte pour avoir utilisé dans sa salle de cours le mot tabou qui commence par la lettre «N», jugé raciste. Sa suspension avait soulevé un tollé.
Actuellement, seules les conventions collectives peuvent servir de rempart à la contestation de la liberté académique.
Les syndicats d'enseignants et de chargés de cours ont bien réagi à l'annonce, parlant d'une «avancée majeure», a commenté la vice-présidente de la FNEEQ-CSN, Christine Gauthier.