Début du contenu principal.
«C'est scandaleux qu’en 2024, les gens qui travaillent à temps plein ne puissent se nourrir convenablement».
Québec Solidaire a donné dimanche matin un coup de semonce au gouvernement québécois en l'appelant à hausser le salaire minimum de 15,75$ à 20$ l'heure.
La nouvelle co-porte-parole du parti, Ruba Ghazal, et le député solidaire Alexandre Leduc mettent en avant dans un communiqué publié en matinée qu'une telle augmentation se justifie par le recours croissant aux banques alimentaires.
Le Bilan-Faim 2024, publié fin octobre, indique que le nombre total de demandes d’aide auprès des banques alimentaires par mois au Québec s'élève à 2,9 millions. C'est 55% de plus par rapport à 2021. Et la part des ménages dont le principal revenu provient d'un emploi représente 19,6% des bénéficiaires de leurs services cette année. Un chiffre en augmentation par rapport aux années précédentes.
Mme Ghazal s’exclame dans le communiqué qu'il est «scandaleux qu’en 2024, les gens qui travaillent à temps plein ne puissent se nourrir convenablement et doivent se rendre dans les banques alimentaires. C’est la preuve que le contrat social est rompu.»
De son côté, M. Leduc fait valoir que l'augmentation des denrées alimentaires est supérieure à l'augmentation du salaire minimum et empêche donc «de se nourrir convenablement».
Le communiqué de QS affirme que le Bilan-Faim 2024 indique que le nombre de travailleurs ayant recours aux services des banques alimentaires a doublé depuis 2019. Un tel chiffre n'apparaît pas dans le bilan de cette année, qui compare les chiffres de 2024, au plus loin, avec ceux de 2021. Cependant, en 2023, le rapport soulignait déjà une hausse de 37% par rapport à 2019.
Rien que pour l'organisme Moisson Montréal, les bilans de 2019 et 2024 montrent que le nombre de ménages dont le principal revenu vient de l'emploi est passé de 2846 à 9774. De quoi exploser tous les compteurs.
«Avec le salaire minimum actuel, les familles n'y arrivent plus, a soutenu Ruba Ghazal en entrevue avec La Presse Canadienne. Je ne parle pas des gens qui n'ont pas de travail, des familles qui ont, des fois, deux emplois, deux salaires, avec des enfants, sont obligés, même en travaillant au salaire minimum à temps plein, d'aller dans les banques alimentaires parce que tout coûte extrêmement cher.»
Son collègue Alexandre Leduc, responsable solidaire en matière de Travail, surenchérit: «Il n'y a pas de méthode scientifique parfaite pour déterminer un salaire minimum. Celle que le gouvernement utilise depuis des décennies, peu importe la couleur, c'est ce qui s'appelle le 50% du salaire moyen, mais ça ne détermine pas un salaire qui nous permet de sortir la tête de l'eau.»
Les deux députés avertissent de l'ombre que la fréquentation des banques alimentaires par les travailleurs jette sur le bilan du premier ministre caquiste François Legault.
Mme Ghazal enfonce le clou en ajoutant : «On parle beaucoup des valeurs québécoises. He bien, une des valeurs québécoises, c'est d'avoir un filet social important pour aider les familles et les enfants à ne pas avoir faim. C'est le strict minimum dans notre société.»
Pour rappel, les familles avec enfants représentent 47% des ménages aidés par les banques alimentaires et, à eux seuls, les enfants constituent 35% des bénéficiaires des banques d'après le Bilan-Faim 2024.
Une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) conforte le montant avancé par Québec solidaire (QS). Selon le 10e Revenu viable publié par l'IRIS, soit le salaire minimum dont a besoin une personne seule en 2024 pour vivre dignement, devrait être de 20$ au Québec.
La chercheuse de l'IRIS Eve-Lyne Couturier expliquait dans un communiqué, lors de la publication de l'étude en avril, que cet écart avec le salaire minimum actuel est dû, entre autres, au fonctionnement de l'économie québécoise, qui «crée une catégorie de travailleuses et de travailleurs pauvres qui, même s’ils travaillent 50 heures par semaine, peinent à répondre à leurs besoins.»
Le salaire viable permet, selon la chercheuse, de pouvoir avoir le choix au moment de faire ses dépenses et d'être en mesure de faire face aux imprévus.
Au Québec, les dernières données disponibles montraient qu'environ 4% de la masse salariale touchait le salaire minimum en 2023, moins que chez nos voisins ontariens (7,6%). Néanmoins, les deux députés solidaires font remarquer que salaire minimum ne veut pas dire bas salaire et que, même avec 10 sous de plus par rapport au salaire horaire permis de 15,75$ de l'heure, la «réalité salariale est assez similaire», mais pas les volumes de personnes concernées.
«La réalité des bas salaires, si on prend juste le salaire minimum nominal, elle est limitée. Parce que des fois, il y a à peu près le double de personnes lorsqu'on rajoute un 10 ou 20 sous», pointe Alexandre Leduc.
Il ajoute que c'est à cette catégorie de la population que les élus doivent penser au moment d'augmenter le salaire minimum «pour sortir de cette méthodologie déficiente de dire 'nous, c'est la moitié du salaire moyen et si le salaire moyen augmente, s'il y a des augmentations de salaire au Québec plus fortes cette année, bravo, ceux qui sont en bas de l'échelle auront plus d'augmentation de salaire juste à cause du 50%'.»
Le député soutient que toutes ces personnes occupent souvent un emploi non syndiqué et que faciliter un accès à la syndication leur permettrait de négocier de meilleurs salaires et permettrait à leurs employeurs d'avoir un meilleur taux de rétention.
Québec solidaire avait déjà évoqué l'idée de faire passer le salaire minimum à 20 $ lors de son congrès annuel de novembre 2023. La proposition avait alors été plutôt mal accueillie par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI), qui arguait que, selon ses calculs, une telle hausse impliquerait des coûts directs supplémentaires de 1,09 milliard $ pour les employeurs québécois et mettrait une forte pression sur l'augmentation des prix à la consommation.
La FCEI préconisait plutôt l'adoption de mesures fiscales pour soutenir directement les travailleurs. La fédération citait notamment une bonification du montant personnel de base, des primes au travail ou encore des crédits d'impôt ciblés.
À cela, Ruba Ghazal et Alexandre Leduc répondent que le surplus gagné par ceux au bas de l'échelle sera réinvesti dans l'économie locale en sorties, au restaurant, ou en achetant simplement quelque chose de plus qualitatif. Ce serait donc, selon eux, une mesure qui permettrait d'aider la santé financière des petites entreprises.
Le ministère du Travail n'a pas immédiatement répondu à nos demandes de commentaires.
- Avec des informations de Jean-Philippe Denoncourt pour La Presse canadienne