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Le directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal doute que le plan du gouvernement Legault pour contrer la pénurie de main-d’œuvre atteigne ses objectifs.
Québec ne tire pas sur les bons leviers pour atténuer la pénurie de main-d’œuvre et combattre l’inflation, croit l’économiste Robert Gagné. Le gouvernement devrait plutôt modifier la fiscalité des entreprises pour qu’elles investissent davantage dans leur productivité, selon lui.
Le directeur du Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal doute que le plan du gouvernement Legault pour contrer la pénurie de main-d’œuvre atteigne ses objectifs. En novembre dernier, Québec a annoncé qu’il consacrera 2,9 milliards $ afin de «former, requalifier et attirer» près de 170 000 travailleurs dans cinq secteurs ciblés: la santé et les services sociaux, l’éducation, les services de garde éducatifs à l’enfance, le génie et les technologies de l’information ainsi que la construction.
«Ça va peut-être avoir un effet, mais ça va avoir un effet marginal, dit M. Gagné en entrevue dans le cadre du dévoilement de la 12e édition du bilan Productivité et prospérité au Québec. Il faudrait que le gouvernement s’enlève du chemin, qu’il soit plus un facilitateur qu’un interventionniste.»
La faible productivité est la grande responsable de l’écart de richesse de 25 %, ou 13 000 $ de produit intérieur brut (PIB) par habitant, entre le Québec et un échantillon comprenant 19 pays développés, selon le rapport dévoilé mercredi.
«La productivité, c'est plus que 100 % de l'écart [puisque le taux d’emploi et le nombre d’heures travaillées sont plus élevés que la moyenne], réagit M. Gagné. La solution pour accroître notre niveau de vie ne passe pas par plus de travail.»
Dans un contexte de rareté de main-d’œuvre et du retour de l’inflation, il devient encore plus urgent de trouver des moyens d’augmenter la productivité du Québec, plaide le coauteur de l’étude. Sans une productivité accrue, les augmentations de salaire amènent de l’inflation, entraînant un cercle vicieux qui n’améliore pas les conditions des travailleurs.
Habituées à disposer d’une main-d’œuvre peu coûteuse, les entreprises québécoises n’ont pas suffisamment investi dans leurs activités, avance l’étude. En 2019, l’investissement par emploi des entreprises privées belges et suisses était au moins 2,3 fois plus élevé qu’au Québec. «En outre, un écart de 3200 $ par emploi, soit environ 25 %, séparait la province du Royaume-Uni, qui était pourtant positionné dans le bas du classement», peut-on lire dans le document.
Or, les gouvernements qui se sont succédé à Québec n’auraient pas utilisé les bonnes politiques pour régler ce problème dans les 15 dernières années, juge M. Gagné. Ils ont conservé les réflexes des années 1980 et 1990 où il fallait combattre le chômage élevé. L’économiste estime que les politiques publiques devraient être orientées vers la productivité plutôt que vers la création d’emplois, dans un contexte de rareté de main-d’œuvre.
«Les gouvernements sont tout excités quand ils annoncent un investissement qui va créer 250 emplois, ironise l’économiste. Pour être précis, il faut dire 250 postes. Est-ce qu'ils vont être comblés? Ça, c’est une autre question.»
Pour favoriser une augmentation de la productivité, le CPP suggère l’abolition des cotisations aux fonds des services de santé (FSS), une taxe payée par les entreprises en fonction de leur masse salariale.
Les taxes sur la masse salariale sont «les pires taxes», avance M. Gagné. «Dans la liste des taxes à éliminer dans le petit catéchisme des économistes, les taxes sur la masse salariale sont en haut de la liste.»
Cette mesure amènerait une économie d’impôt de près de 4 milliards $ qui permettrait aux entreprises d’investir dans leur productivité. Québec pourrait compenser une partie du manque à gagner en abolissant les crédits d’impôts pour les entreprises, suggère le CPP.
Dans un contexte de rareté de main-d’œuvre, remettre plus d’argent dans les poches des entreprises ne risquerait-il pas d’accentuer l’inflation? «On peut augmenter les salaires, mais ça peut aussi être un cas où on utilise cet argent pour investir, devenir plus efficace, améliorer nos processus de production ou notre chaîne d’approvisionnement.»
La proposition de réduire le financement du fonds des services de santé (FSS) est faite au moment où le système de santé est ébranlé par deux ans de pandémie. Il ne faut pas voir de lien entre cette taxe et le financement du système de santé, défend toutefois M. Gagné. «C'est une grande fumisterie. Ça n'a rien à voir avec la santé, cette affaire-là. C'est une taxe, c'est tout. C'est de l'argent, c'est tout. C'est un impôt comme un autre. Ça s'en va dans le fonds consolidé et ça finit-là.»