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Le milieu de l’information demandait des comptes sur la tenue d’un «procès fantôme» dont l’identité du juge, des parties et même la date et le lieu où il s’est déroulé ont été gardés secrets et pour lequel aucune trace documentaire n’existe.
Dans une lettre ouverte publiée mercredi, les dirigeants de 15 grands médias, dont La Presse canadienne, demandaient au ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, ainsi qu’aux juges en chef de la Cour du Québec, de la Cour supérieure et de la Cour d’appel «un examen en profondeur des pratiques des tribunaux québécois et des procureurs aux dossiers criminels en matière de publicité des débats judiciaires».
Dans une déclaration transmise mercredi après-midi, le ministre a indiqué être «fortement préoccupé par les circonstances qui sont rapportées». Il a ajouté s'être entretenu avec les directions de la Cour du Québec et de la Cour supérieure et avoir appris que le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) n'avait pas pris part au dossier.
Le ministre Jolin-Barrette a aussi souligné l'importance du principe de la publicité des débats judiciaires.
«Au regard de ces éléments, je vous informe que j'ai mandaté les procureurs du ministère de la Justice afin qu'ils s'adressent à la Cour d'appel du Québec et présentent une demande visant à ce que certaines informations actuellement caviardées puissent être rendues publiques, dont l'identité du juge concerné, des avocats impliqués ainsi que des ordonnances rendues dans cette affaire», a également déclaré le ministre.
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De son côté, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) demande «que les avocats et les juges puissent avoir une formation de base sur le droit des médias et les assises de celui-ci».
Qualifiant le tout d’inacceptable, les dirigeants de salles de nouvelles font part dans leur lettre de leur `indignation' et de leur «vive préoccupation face à la tenue de ce qu’il est convenu d’appeler un procès fantôme révélé dans un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec».
En effet, n’eût été d’un appel dans le dossier, personne n’aurait jamais su que cette procédure avait eu lieu. C’est en prenant connaissance d’une décision lourdement caviardée de la Cour d’appel (qui condamnait sans réserve cette pratique) que le quotidien La Presse a mis l’affaire au jour.
Ils rappellent que «la transparence est l’un des fondements de notre système judiciaire» et que le principe de publicité des débats judiciaires, affirmé à maintes reprises par la Cour suprême, «est une règle qui ne devrait souffrir que de très rares exceptions, lesquelles seront elles-mêmes circonscrites afin d’offrir le plus de transparence possible dans chaque circonstance».
Ils notent qu’au fil des années, les exceptions se sont multipliées et que «le procès fantôme mis au jour la semaine dernière est l’aboutissement logique de cette lente dérive», qui vient miner la confiance du public envers le système judiciaire.
Interrogée par La Presse canadienne, Me Geneviève Gagnon, avocate spécialisée dans le droit des médias, ne cache pas avoir été très surprise en apprenant la tenue de ce procès secret. «On le sait, la règle, c’est la publicité des audiences qui se tiennent devant les tribunaux», dit-elle.
Sa surprise est d’autant plus grande qu’il ne s’agit pas là d’une règle obscure. «La publicité elle-même, le principe, ça, tout le monde le connaît.»
Elle rappelle que cette règle de la publicité des débats judiciaires «est une, sinon la façon principale de s’assurer de l’intégrité de chacun des acteurs du système judiciaire».
Mais si tout le monde connaît le principe, on aurait tendance à croire qu’il a donc été transgressé délibérément, un pas que refuse toutefois de franchir Me Gagnon. «Je ne peux pas présumer de la mauvaise foi des personnes impliquées», prévient-elle.
De son côté, la FPJQ rappelle également que la Cour suprême a bien établi les principes de la publicité des débats juridiques. Sa vice-présidente, Marie-Ève Martel, souligne qu’il y a là «un enjeu du droit du public à l’information, un principe que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec défend tous azimuts».
Mme Martel souligne qu’il est important «que tous les acteurs du système judiciaire œuvrent de concert à maintenir la transparence des débats judiciaires dans l’optique d’en garantir la connaissance par le public».
De plus, rappelle-t-elle, «le code de procédure judiciaire prévoit plusieurs façons de protéger la confidentialité des procédures, l’identité des parties, tout en maintenant le principe de la publicité des débats et qu’il n’est donc pas nécessaire de tenir des procès dans le secret».
Geneviève Gagnon abonde dans le même sens. «Il y a des raisons qui nous amènent, régulièrement d’ailleurs, à limiter la publicité des débats judiciaire, émettre des ordonnances de non-publication pour protéger la sécurité, dans ce cas-ci la sécurité d’un informateur de police. Mais ça demeure et ça doit demeurer l’exception, sauf qu’ici on est allé beaucoup plus loin.»
Me Gagnon précise que «si la sécurité d’un informateur de police est en danger, ça peut être une raison pour demander des ordonnances qui limitent la publicité des débats judiciaires, mais pas qui permettent de faire un procès un peu en parallèle à l’extérieur du système judiciaire. C’est quelque chose qui, on l’espère, est très exceptionnel et qui ne devrait pas se produire.»
Puisque ce procès fantôme a été exposé parce que l’affaire s’est rendue en Cour d’appel, cela invite donc nécessairement à la question: y a-t-il eu d’autres affaires semblables qui n’ont pas fait l’objet d’un appel et qui demeurent inconnues?
«La question se pose, reconnaît la juriste. J’ose espérer que c’est exceptionnel parce que la très grande majorité des acteurs du système de justice savent et connaissent l’importance de la publicité des débats judiciaires.»
«Par contre, ça nous donne aussi une indication que, justement, est-ce que tout ne finit pas par se savoir?» conclut-elle.