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Deux dossiers extrêmement médiatisés ont marqué le début et la fin de l’année 2021, jetant un éclairage peu flatteur sur la profession.
L’image de la police en a pris pour son rhume en 2021, une année que l’on peut qualifier de difficile pour les corps policiers de la province.
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Deux dossiers extrêmement médiatisés ont marqué le début et la fin de l’année 2021, jetant un éclairage peu flatteur sur la profession.
En janvier, Mamadi III Fara Camara avait été faussement accusé de tentative de meurtre sur un policier à la suite d’une enquête bâclée menée dans l’empressement. Après six jours de prison, il avait été relâché avec les excuses du directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, avait ordonné la tenue d’une enquête sur ce cafouillage. Mamadi III Fara Camara a reçu la médaille de l’Assemblée nationale en avril et, en juillet, ses proches et lui-même intentaient une poursuite de 1,2 million $ contre le SPVM et le Directeur des poursuites criminelles et pénales, y voyant un cas de profilage racial.
Puis, à la fin de novembre à Québec, l’arrestation musclée d’un jeune Noir, filmée et diffusée sur les réseaux sociaux, a déclenché une cascade de dénonciations et de diffusions de vidéos en quelques jours montrant les policiers du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) usant d’une force difficile à justifier. Cinq policiers ont été suspendus, dont un qui est visé dans plusieurs de ces cas. Certains de ces incidents ont fait surface plusieurs semaines et même des mois après leur déroulement. Au-delà des enquêtes internes du SPVQ, inévitables dans de tels cas, le commissaire à la déontologie policière et le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) sont entrés en jeu. Tout indique que des accusations criminelles de voies de fait sont à prévoir dans certains cas.
Entre ces deux événements, une série d’autres incidents impliquant des policiers, dont le décès d’un jeune homme en détresse psychologique abattu par les policiers de Repentigny en août, sont venus éclabousser l’image des forces de l’ordre durant toute l’année (voir plus bas).
Massimiliano Mulone, professeur de criminologie à l’Université de Montréal, s’intéresse depuis longtemps aux questions de déontologie policière. Pour lui, les événements de Québec s’inscrivent parmi ceux qui marquent l’imaginaire du public : « Quand une intervention policière se passe mal, comme ils sont armés, comme ils ont un pouvoir d’arrestation, qu’ils occupent une fonction très particulière dans la société avec les pouvoirs exclusifs qui leur sont associés, on parle de dérapages qui peuvent être relativement graves. On se rappelle ces choses graves. »
De tels événements, dit-il, sont une atteinte à nos valeurs. « Il y a quelque chose de très paradoxal de voir un policier commettre une infraction, parce que les policiers sont censés être ceux qui nous protègent des criminels (…) Dans une vision des gentils et des méchants, la police fait partie des gentils, mais quand un de ces policiers se comporte comme un méchant, c’est comme si ça brisait fondamentalement l’image de la police dans l’imaginaire collectif », illustre-t-il.
En contrepartie, et contrairement à ce que croit le public et à ce que croient les policiers eux-mêmes, la couverture médiatique du travail policier est généralement beaucoup plus positive que négative, mais moins spectaculaire : « On se rappelle moins de tous ces articles qui nous disent que la police a saisi ceci, qu’elle a arrêté telle personne, qu’elle mène une opération pour contrer telle sorte de crime, etc. qui sont des couvertures médiatiques positives dans lesquelles on souligne les bons coups du travail policier. »
De là à dire que les gestes répréhensibles entraînent une perte de confiance généralisée du public envers les forces de l’ordre, il y a un pas qu’il n’est pas prêt à franchir : « Je pense que ça n’affecte pas énormément la confiance que les citoyens ont envers la police concrètement. Il y a des gens qui aiment beaucoup la police et il y a des gens qui n’aiment pas du tout la police. C’est un métier ambigu, parce que ce sont des gens qui sont censés nous protéger de la violence et qui sont eux-mêmes porteurs de cette violence : ils ont des armes à feu, ce n’est pas tout le monde qui peut se promener avec des armes à feu, ils usent de la force pour faire leur travail. »
« Ces événements, je ne suis pas sûr que ça fasse changer d’avis des personnes parce qu’on voit autant des personnes qui vont dire que la police est pourrie et puis autant de gens qui vont toujours trouver une excuse pour la police, qui vont dire : oui, mais si ces citoyens n’avaient pas été baveux, s’ils avaient obéi aux demandes des policiers, ce ne serait pas arrivé et ces gens-là ont peut-être quelque chose à se reprocher », a-t-il souligné.
Massimiliano Mulone note qu’un des policiers parmi les cinq qui ont été suspendus à Québec semble démontrer un comportement extrêmement problématique, mais ce qui l’inquiète et dont on parle peu est l’absence de réaction de ses collègues : « C’est un individu qui semble avoir des problèmes de comportement, un peu comme Stéfanie Trudeau (matricule 728) au SPVM. Ce policier va peut-être être mis à pied parce qu’il va peut-être être accusé au criminel. Et on dira, c’était un mauvais policier, on l’a mis à pied, le problème est réglé. »
« Mais on peut aussi se poser la question : comment ça se fait que sur les vidéos, on ne voit pas un seul des collègues qui réagit et empêche cet individu de commettre ce qui est peut-être une infraction criminelle? C’est quand même un individu en train de commettre éventuellement des voies de fait, qui est entouré de policiers qui ne réagissent pas à l’infraction qui est commise devant leurs yeux parce qu’ils ne voient pas une infraction », soulève-t-il.
Pour le chercheur, ces images illustrent des enjeux qui vont au-delà du bon ou du mauvais policier : « Il y a quelque part dans l’organisation, dans la culture professionnelle, le système en lui-même, quelque chose qui fait en sorte que cet individu-là a besoin de quatre vidéos qui sortent dans les médias pour éventuellement être mis sous enquête. Et j’avoue que ce qui me fascine dans les vidéos, ce n’est pas tant la violence de l’intervention de cet individu, que l’absence de réaction des autres, qui est peu questionnée. »
L’usage d’une force excessive par un policier mène parfois, mais rarement, à des accusations criminelles. Cela ne veut pas dire qu’elle était justifiée pour autant, explique Marie-Ève Bilodeau, porte-parole du bureau du Commissaire à la déontologie policière : « L’emploi de la force plus grande que nécessaire, ce n’est pas nécessairement criminel et on s’entend que les policiers, c’est leur travail d’employer la force quand c’est nécessaire, mais à quel point c’était justifié? C’est là la ligne qui est parfois mince entre ce qui est criminel et ce qui ne l’est pas. »
« Est-ce que cet emploi de la force était justifié dans les circonstances? Si la réponse est non, il y a de fortes chances que ça aille du côté criminel. La réponse peut être oui, elle était justifiée, mais si elle était excessive comparativement à la menace, on est davantage dans l’ordre de la déontologie. La ligne est mince et c’est pour ça que c’est important de faire des enquêtes », explique-t-elle.
Elle ajoute que la diffusion d’images de policiers utilisant la force manque souvent de contexte : « Parfois, on voit le geste à la télé et on se dit “ouf” et ensuite on voit tout le contexte et on se dit : “ok, le policier n’avait pas le choix”. Parfois, au contraire, on va regarder un événement et on va se dire : “non, proportionnellement à la menace, c’est inconcevable d’avoir utilisé cette force”. »
C’est à ce moment que le Commissaire à la déontologie policière déclenchera une enquête, précise-t-elle : « Les cas d’enquête, ce sont des allégations plus graves. Ça peut être un emploi excessif de la force, on a aussi des éléments en lien avec le profilage racial. Ce sont des cas où les allégations ou le comportement policier peuvent porter atteinte vraiment à la sécurité de la personne ou à la crédibilité de la fonction policière. » C’est à l’issue de ces enquêtes que des policiers fautifs peuvent recevoir une citation à comparaître devant une autre instance, le Comité de déontologie policière, qui a le pouvoir de les sanctionner.
Pour l’année se terminant le 31 mars 2021, 2407 plaintes avaient été enregistrées par le Commissaire. De ce nombre, les deux tiers ont été rejetées, 655 ont été traitées en conciliation et 220 ont donné lieu à des enquêtes. À la fin du processus, 82 dossiers impliquant 156 policiers ont donné lieu à des citations devant le Comité de déontologie.
Tous les ans, le nombre de plaintes en déontologie augmente. C’est une constante, explique Mme Bilodeau. Une exception à cette règle : le nombre de plaintes avait fait un bond à la suite du printemps érable et des manifestations étudiantes de 2012, mais avait chuté par la suite. D’une année à l’autre, près de deux tiers des plaintes sont rejetées : « À l’analyse préliminaire, on peut rapidement savoir si la plainte est crédible. Les motifs de rejet sont des plaintes frivoles, vexatoires, ou qui ne sont pas dans le bon processus _ par exemple, les gens contestent des contraventions_ ou qui s’adressent à des clientèles comme les agents de services correctionnels qui ne sont pas couverts par le Code de déontologie policière. »
Curieusement, les années 2019-2020 et 2020-2021 ont donné lieu à une hausse importante du nombre de plaintes (les rapports annuels du Commissaire à la déontologie portent sur la période du 1er avril au 31 mars et ces deux années couvrent la période du début de la pandémie en mars 2020 jusqu’à la période du printemps 2021 où un couvre-feu était en vigueur). On note ainsi qu’après des hausses de 2,1 % et de 2,7 % du nombre de plaintes les deux années précédentes, les exercices de 2019-2020 et 2020-2021 ont connu respectivement des hausses de 14,5 % et de 12,6 % du nombre de plaintes.
Or, ce sont des périodes où les gens n’étaient pratiquement plus dans l’espace public, note Massimiliano Mulone : « C’est étonnant parce que les policiers ont probablement eu beaucoup moins d’interactions avec les citoyens, qui étaient pas mal enfermés chez eux. Les bars étaient fermés, ce qui a limité le travail de la police. Il y avait moins de gens dans l’espace public. »
Le bureau du Commissaire à la déontologie fait le même constat, mais n’a pas d’explication puisqu’il ne détient pas d’analyse fine de la nature des plaintes. Le professeur Mulone s’est risqué à une explication, tout en avertissant que ses propos sont hypothétiques : « Il y a eu durant cette période toute une série de décrets, de choses qui sont tout à coup devenues interdites et qui étaient tout à fait permises en temps normal. Je me demande à quel point parmi ces personnes il y a eu des plaintes liées à des règlements sanitaires. C’est possible que ce soit lié à ça et à des gens qui se sont dit, par exemple : moi j’ai le droit d’être avec mes amis à moins de deux mètres. »
Selon le professeur Mulone, l’existence du profilage racial par les corps policiers ne fait aucun doute et il s’agit, selon lui, d’un problème systémique : « Les études montrent que la disparité de traitement n’est pas un problème des individus qui abusent de leur pouvoir. C’est un système, dans la manière dont il fonctionne, de manière totalement non intentionnelle, mais c’est tout de même la manière dont il fonctionne, qui produit ces discriminations. Il vise certains groupes plutôt que d’autres. Ce n’est évidemment pas un racisme systémique explicite, formalisé dans des règlements ou dans des politiques, pas du tout. Mais, clairement, ce n’est pas un problème d’individus, c’est un problème de système, de la même manière que, dans notre société au Québec, les citoyens noirs gagnent moins d’argent que les citoyens blancs ou ont plus de mal à se trouver un logement. »
Revenant à la question de la confiance des citoyens, il fait valoir que « ce n’est pas une confiance homogène à travers la population. Il y a des parties de la population qui ont beaucoup moins confiance envers la police, notamment les populations racisées ». Or, dit-il, cette absence de confiance devient souvent la cause de détérioration d’une intervention : « Des études ont démontré que lorsqu’un individu racisé se fait interpeller par un policier, il a beaucoup moins souvent tendance à considérer l’intervention comme légitime. C’est problématique en soi parce qu’un citoyen qui considère l’intervention comme non légitime va être beaucoup moins obéissant, il va se soumettre beaucoup moins à l’autorité du policier et ça, ne pas se soumettre à l’autorité du policier, c’est un facteur très connu dans les études de conflit avec la police. »
Et c’est à ce moment que se déclenche le cercle vicieux : « La pire chose que vous pouvez faire envers un policier lorsqu’il vous interpelle ou qui vient vous voir, c’est de manquer de respect envers son autorité. On parle d’individus qui, en gros, voient un policier et se disent : “tu n’as pas à venir me voir parce que les raisons pour lesquelles tu viens me voir ne sont pas légitimes, c’est parce que tu es raciste”. À la base, ça va produire une situation qui a plus de chances de dégénérer. Après, ça va justifier la perception qu’avait le citoyen interpellé de se dire qu’il avait bien raison, le policier est violent et pas correct. »
« La plupart des policiers agissent de manière professionnelle, c’est juste que, en agissant de manière professionnelle, rigoureuse, consciencieuse, ça produit quand même des discriminations. Le problème ce n’est pas tant les policiers eux-mêmes. C’est le système qui fonctionne comme ça », conclut-il.
Ce n’est pas un hasard si la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a déposé un projet de loi omnibus sur la réforme de l’appareil policier au Québec à la fin de 2021. Dans ses propres mots, les nombreuses réformes qu’elle propose visent à « reconquérir la confiance du public » envers les corps policiers.
Parmi les éléments cruciaux de sa réforme, on retrouve notamment des pouvoirs élargis d’intervention du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), souvent appelé « la police des polices ». Une fois le projet de loi 18 adopté, tout geste de nature potentiellement criminelle posé par un policier lui sera automatiquement référé. De plus, la Loi obligerait dorénavant le BEI à rendre ses rapports publics, ce qu’il s’est toujours refusé à faire.
La ministre s’est également octroyé le pouvoir d’ordonner aux corps policiers de suivre certaines directives. Jusqu’ici, une directive de la ministre avait la portée d’une recommandation plutôt que d’une obligation. Mme Guilbault a d’ailleurs donné l’exemple des interpellations aléatoires, qui sont souvent montrées du doigt comme donnant lieu à du profilage racial, comme pouvant donner lieu à une directive de sa part.
Enfin, des pouvoirs accrus et un élargissement de son mandat pour y inclure la prévention sont également accordés au Commissaire à la déontologie policière. Une révision complète de la Loi sur la police reste toutefois à venir.
– Le 14 mai, le policier Maxime Lehoux, du SPVQ, a été reconnu coupable d’agression sexuelle sur une collègue lors d’un party de Noël qui s’était déroulé en 2016. En décembre, il a été condamné à 18 mois de prison;
– Le 19 juillet, un policier de Gatineau était arrêté et accusé de voies de fait quelques jours plus tard, à la suite d’une dispute avec son ex-conjointe. L’identité du policier n’a pas été divulguée pour protéger celle de la victime;
– Le 26 juillet, le policier David Ross de Trois-Rivières plaidait coupable à deux accusations de harcèlement criminel contre deux femmes avec qui il a entretenu une relation intime. Il avait aussi reconnu sa culpabilité d’avoir frauduleusement utilisé un ordinateur entre 2013 et 2018 pour fouiller dans le système du Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ) afin, notamment, de savoir où résidait une ex-conjointe depuis la rupture amoureuse;
– Le 1er août, les policiers de Repentigny ont abattu Jean René Junior Olivier, un homme noir de 37 ans père de deux enfants, alors qu’il était en détresse psychologique et qu’il était armé d’un couteau. La mère de la victime avait appelé le 9-1-1 pour avoir de l’aide pour son fils en crise. Le BEI a ouvert une enquête et des plaintes ont été déposées devant d’autres instances, notamment le Commissaire à la déontologie policière;
– Le 26 août, le policier Pierre Boies, de la Sûreté du Québec, est arrêté pour une quatrième fois en moins de deux ans pour non-respect de conditions, en plus de faire face à de nouvelles accusations, soit de supercherie, fraude d’identité, entrave et utilisation frauduleuse d’un ordinateur. En novembre 2020, il avait été accusé d’agression sexuelle, contacts sexuels sur un mineur de moins de 16 ans, possession de porno juvénile et leurre sur plusieurs victimes, entre juin 2019 et octobre 2020;
– Le 9 septembre, l’agent Christian Lachance, du SPVQ, a été arrêté pour avoir présumément agressé sexuellement une collègue lors d’une fête tenue par des policiers deux semaines auparavant. Il a été accusé en novembre dernier d’agression sexuelle et de voyeurisme;
– Le 9 septembre, le policier Yannick Dauphinais, de la Régie intermunicipale de police Roussillon, sur la Rive-Sud de Montréal, a été accusé d’agression sexuelle sur une jeune femme qu’il a croisée cet été, un événement qui serait survenu en juillet alors qu’il patrouillait en uniforme;
– Le 4 novembre, le policier Samuel Ducharme, du Service de police de la Ville de Sherbrooke, était arrêté pour agression sexuelle. Il a été mis en accusation le 3 décembre dernier.