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Le projet pétrolier Bay du Nord, au large de Terre-Neuve, ira de l'avant, a tranché mercredi le gouvernement Trudeau, et ce, malgré l'alarme sonnée lundi par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
Le projet pétrolier Bay du Nord, au large de Terre-Neuve, ira de l'avant, a tranché mercredi le gouvernement Trudeau, et ce, malgré l'alarme sonnée lundi par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) quant aux énergies fossiles.
Le ministre de l'Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, se dit en accord avec le rapport de l'Agence d'évaluation d'impact du Canada qui conclut que le projet «n'est pas susceptible d'entraîner des effets environnementaux négatifs».
Bay du Nord serait le premier projet en eaux profondes du Canada à produire du pétrole, avec des puits à environ 1200 mètres de profondeur qui pompent environ 188 000 barils de pétrole par jour.
Mené par le géant pétrolier norvégien Equinor, le projet devrait injecter des milliards de dollars dans les coffres de Terre-Neuve-et-Labrador, mais aussi cracher au final chaque année des millions de tonnes de gaz à effet de serre dans l'atmosphère de la planète.
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En rendant sa décision, Ottawa annonce qu'il impose 137 conditions environnementales auxquelles le promoteur devra se conformer, dont celle de devoir atteindre la carboneutralité d'ici 2050. Il y a également des mesures de protection du poisson et de son habitat, des oiseaux migrateurs, des espèces en péril, de la qualité de l'air, de la santé humaine et de l'utilisation des ressources par les peuples autochtones.
Les conditions énumérées initialement par l'agence ne sont pas «des voeux pieux» ou un «wish list», avait déclaré quelques minutes avant l'annonce le ministre Guilbeault, lors d'une comparution devant le Comité permanent des ressources naturelles. «Ce sont des conditions auxquelles l'entreprise doit se conformer au risque de ne plus pouvoir exploiter son projet si elle est en contradiction», avait-il insisté.
Pour le Bloc québécois, l'approbation du projet est tout simplement une «catastrophe» pour la planète. C'est la première fois qu'un puits va être creusé à cette profondeur, a soutenu la porte-parole bloquiste en matière d'environnement, Monique Pauzé, qui interrogeait le ministre.
«En cas de déversement, ça va prendre de 18 à 36 jours pour amener le matériel, pour colmater la fuite, a dit Mme Pauzé. On parle de millions de litres dans l'Atlantique.»
Le plan climatique d'Ottawa déposé dans les derniers jours donnait au pays l'objectif de réduire d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005.
Lors de la comparution, le porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de ressources naturelles, Charlie Angus, a reproché à M. Guilbeault, un ancien militant écologiste bien en vue, de renier ses promesses.
«La semaine dernière, vous avez approuvé 300 000 barils par jour pour aider l'Europe, et Bay du Nord c'est un autre 200 000 barils par jour, lui a-t-il envoyé. Je n'ai pas lu ça dans votre plan climatique.»
Bay du Nord devra se tailler une place sous le plafond d'émissions, a répliqué M. Guilbeault. «Mais il n'y a pas de plafond», lui a renvoyé du tac au tac le député Angus.
Equinor affirme que le projet Bay du Nord apportera environ 3,5 milliards $ dans les coffres du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. La production de pétrole pourrait commencer dans la dernière partie de cette décennie.
Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador parle d'un projet de «pétrole plus propre», affirmant qu'il émettra moins de 8 kilos de gaz carbonique pour chaque baril de pétrole produit. La moyenne mondiale pour le pétrole extracôtier est d'un peu plus de 16 kilos.
Mais les climatologues et les écologistes soulignent que ce chiffre ne tient pas compte du gaz carbonique libéré lorsque le pétrole est finalement brûlé comme carburant, chez le client. Au final, ces 188 000 barils par jour émettront chaque année dans l'atmosphère de la planète environ 30 millions de tonnes métriques de gaz carbonique.
Le chef adjoint du Parti conservateur et lieutenant politique pour le Québec, Luc Berthold, avait dit souhaiter en marge d'une réunion de son caucus que le gouvernement Trudeau donne le feu vert au projet alors que «les pays européens sont désespérément à la recherche de nouvelles sources de pétrole».
L'approbation de Bay du Nord est une décision «irresponsable et incohérente», estime Équiterre. Plus encore, le groupe militant croit qu'«à force de dire une chose mais de faire le contraire, on alimente le cynisme et on finit par ne plus croire aux promesses».
«Produire du pétrole qu'on dit «vert» ou «propre», c'est une vue de l'esprit: ça n'existe tout simplement pas. Du pétrole, c'est du pétrole: il aura des impacts peu importe la manière dont il est produit et peu importe où il est brûlé», a déclaré son analyste des politiques climatiques, Émile Boisseau-Bouvier, dans un communiqué.
Pour Nature Québec, le gouvernement Trudeau n'a «rien appris» de l'achat de l'oléoduc Trans Mountain. «Ce gouvernement pourra nous présenter tous les plans possibles et imaginables de réduction des émissions de GES, comment y croire?», a écrit sa porte-parole Anne-Céline Guyon.
Chez Greenpeace, le responsable de la campagne Climat-Énergie, Patrick Bonin, a rappelé que le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, vient d'affirmer qu'investir dans de nouvelles infrastructures de combustibles fossiles est une «folie morale et économique».
«La décision d'aujourd'hui représente un triomphe pour le type de politique qui ne fait qu'aggraver la crise climatique et la dépendance mondiale aux combustibles fossiles qui brûlent la planète», a-t-il écrit.
Lors du dévoilement du rapport du GIEC en début de semaine, M. Guterres a déclaré que «les activistes du climat sont parfois décrits comme de dangereux radicaux, mais que les vrais dangereux radicaux sont les pays qui augmentent la production des combustibles fossiles».
«Les messages sont très clairs: l'expansion de l'extraction de pétrole et de gaz est incompatible avec un monde à 1,5 degré», a déclaré Sarah Burch, professeure agrégée à l'Université de Waterloo, faisant référence à l'engagement de l'Accord de Paris de 2015 de maintenir l'augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 degré Celsius. Mme Burch a rédigé le chapitre sur le développement durable dans le plus récent rapport du GIEC, publié lundi.
«Si nous voulons éviter les pires impacts du changement climatique, nous devons nous sevrer des combustibles fossiles. Et la réalité est que la plupart des réserves existantes doivent rester dans le sol», a déclaré la professeure Burch, en entrevue mardi.
Chris Bataille a coécrit le chapitre sur l'industrie. Le professeur auxiliaire de l'Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique, plaide que les projets pétroliers extracôtiers génèrent moins d'émissions que les sables bitumineux de l'Alberta, par exemple. Ils ont également tendance à produire un pétrole plus léger et de meilleure qualité, qui produit moins d'émissions lorsqu'il est brûlé, ajoute-t-il.
«Si vous regardez le projet (Bay du Nord) en lui-même, il a certains mérites, a déclaré le professeur Bataille en entrevue mardi. Mais si vous regardez dans un contexte plus large, s'ils ont resserré leurs activités, les Saoudiens sont tout aussi propres.»
Selon lui, le Canada devrait viser à arrêter complètement de produire du pétrole et du gaz d'ici 2050 s'il veut atteindre ses objectifs climatiques. Le gouvernement fédéral, idéalement aux côtés des gouvernements des pays producteurs de pétrole, doit élaborer un plan qui décrit clairement les ressources qui seront développées et celles qui resteront dans le sol, dit-il.
Ces discussions doivent inclure des considérations politiques régionales, selon lui, notamment: qui a besoin des revenus pétroliers et qui n'en a pas besoin? M. Bataille ajoute qu'il pourrait y avoir un certain mérite à permettre à Bay du Nord de procéder à la place d'autres projets en Alberta, parce que Terre-Neuve-et-Labrador est plus pauvre et qu'elle a moins de solutions de rechange pour réaliser sa transition économique.
Avec des informations d'Émilie Bergeron à Ottawa et de Sarah Smellie à Saint-Jean-de-Terre-Neuve