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Moribonde depuis l’embargo imposé par l’Union européenne en 2009, l'industrie canadienne du phoque cherche de nouveaux marchés.
L’industrie du phoque mène une offensive publicitaire pour convaincre les Canadiens de consommer la viande, la fourrure et les autres produits dérivés du loup-marin. Créée grâce à des investissements de 1,5 million de dollars des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, la campagne vise à trouver de nouveaux débouchés pour la chasse commerciale du phoque, moribonde depuis l’embargo imposé par l’Union européenne en 2009.
«Le phoque canadien. Bon pour vous. Bon pour l’environnement.» Le message est décliné dans une série de publicités en ligne qui vantent notamment la viande de phoque comme un «superaliment canadien», en plus d’insister sur le caractère «écologique» et «durable» de la chasse au loup-marin.
«Il y a une acceptabilité sociale pour la chasse aux phoques, quand les gens ont de la vraie information», estime Doug Chiasson, directeur exécutif de l’Institut de la fourrure du Canada, qui chapeaute la campagne du Réseau des gestionnaires de la ressource du phoque. À ses yeux, «l’industrie du phoque lutte contre la désinformation depuis 40, 50 ans».
Il fait notamment référence aux frondes des militants pour les droits des animaux, dont les coups d’éclats depuis les années 70 ont contribué à dégrader l’opinion publique sur la chasse aux phoques en braquant les projecteurs sur les techniques d’abattage des blanchons, les petits du phoque. Même si la chasse aux blanchons a été interdite au Canada en 1987, 36 pays imposent aujourd’hui un embargo sur la vente et l’importation des produits du phoque.
Les défenseurs de la chasse aux phoques – dont le chef conservateur Pierre Poilievre, qui a promis d’étendre la chasse commerciale s’il devient premier ministre – avancent qu’elle est nécessaire, pour contrer l’impact de la «surpopulation» des phoques sur les stocks de poissons. Or, les données scientifiques disponibles sur la question donnent un portrait beaucoup plus nuancé.
Les deux espèces de phoques les plus chassées dans l’est du Canada sont le phoque du Groenland et le phoque gris. Chaque phoque adulte mange entre 1,5 tonnes et 2 tonnes de poissons par année.
Estimée à 2 millions dans les années 70, la population de phoques du Groenland atteignait 7,4 millions en 2022, selon Pêches et Océans Canada. Pourtant, les nombreuses études menées depuis 2007 par le ministère fédéral n’ont pas permis de conclure que la prédation des phoques avait une incidence négative sur les stocks de poissons.
«La prédation exercée par le phoque du Groenland n’a pas été un facteur important dans l’absence de rétablissement de la morue» et «rien n’indique que le phoque du Groenland ait eu une incidence négative sur la population de capelan», écrit le ministère sur son site web.
Le phoque gris, quant a lui, a «des répercussions importantes sur le rétablissement des stocks de morue et d’autres poissons de fond dans le sud du golfe du Saint-Laurent», selon une étude de 2010. Mais les données ne permettent pas d’extrapoler ces résultats à d’autres écosystèmes, dont le nord du golfe. Le phoque gris est toutefois peu chassé au Canada, comptant pour moins de 3% des débarquements de phoques en 2016.
Mais pour l’activiste Sheryl Fink, qui milite depuis 25 ans contre la chasse aux phoques au sein du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), il y a longtemps que le débat est clos. «Ce n’est pas humain, surtout à grande échelle», martèle-t-elle. «Plusieurs équipes de vétérinaires ont examiné la chasse commerciale et ont conclu que ce n’est pas possible de tuer les phoques de façon humaine à cause des conditions environnementales sur la banquise.»
Elle appelle aussi à la prudence dans l’établissement des quotas de chasse, particulièrement pour les phoques du Groenland.
«Ils ont absolument besoin de la glace pour se reproduire, et on s’attend à ce que les changements climatiques aient un gros impact sur cette espèce dans le futur», note-t-elle.
Malgré tout, de son propre aveu, la campagne publicitaire actuelle «ne [l]’empêche pas de dormir», vu le peu d’impact des investissements fédéraux passés pour promouvoir la viande de phoque.
«Si la viande de phoque goûtait bon, on en mangerait», juge celle qui assure y avoir déjà goûté malgré son opposition à la chasse. «Si on n’en mange pas, ce n’est pas à cause d’un manque de marketing.»
Une question à laquelle s’attaque d’ailleurs le cinéaste Guillaume Lévesque dans son nouveau documentaire Du phoque au menu. «Lorsque j’ai goûté un tataki de phoque pour la première fois, j’ai trouvé ça absolument délicieux, affirme le réalisateur dans le matériel promotionnel du film.
«Pourquoi ne mangeons-nous pas davantage de phoque, sachant que la ressource est disponible, qu’elle est biologique, qu’elle est l’une des rares viandes sauvages autorisées à être commercialisée, qu’elle a des propriétés nutritives exceptionnelles et un goût savoureux?» se questionne-t-il.
Bien qu’un gestionnaire de programme du Réseau des gestionnaires de la ressource du phoque ait été interviewé dans le cadre du documentaire, l’industrie n’a pas participé au financement ou à l’idéation du film, assure-t-on.