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«''Faites-nous confiance'' ne suffit pas si vous voulez la confiance du public en fin de compte».
À la fin des années 1980, alors que le ministre de la Défense de l'époque, Perrin Beatty, rédigeait une nouvelle législation pour remplacer la controversée Loi sur les mesures de guerre, les paroles d'un homme lui passaient par la tête.
La citation était de Robert Stanfield, l'ancien chef du parti progressiste-conservateur et chef de l'opposition officielle pendant la crise d'Octobre 1970. Les libéraux de Pierre Elliott Trudeau ont invoqué la Loi sur les mesures de guerre pour la première et unique fois sans qu'il y ait une guerre pour mettre fin à une série d'enlèvements perpétrés par le Front de libération du Québec (FLQ), un groupe militant pour l'indépendance du Québec.
Bien que M. Stanfield ait commis de nombreux faux pas au cours de ses 27 années en politique, il a déclaré plus tard que le seul regret de sa carrière était d'avoir donné au gouvernement le bénéfice du doute quant au recours à la Loi sur les mesures de guerre. Il aurait aimé être dissident.
«C'était l'un des problèmes à l'époque de la Loi sur les mesures de guerre, où le gouvernement disait en substance, ''si seulement vous saviez ce que nous savions, vous soutiendriez l'invocation de la loi''», se souvient M. Beatty dans une récente entrevue.
«C'était très présent dans mon esprit au moment où nous avons introduit la nouvelle loi. Pour assurer la confiance du public, il fallait avoir le plus haut niveau de transparence possible.»
Les efforts de M. Beatty sont maintenant mis à l'épreuve, alors que le gouvernement lance une enquête sur l'utilisation inaugurale de la Loi sur les mesures d'urgence - sans s'engager à divulguer les détails des discussions à huis clos qui ont conduit à l'invocation de la loi.
Le 14 février, le premier ministre Justin Trudeau a invoqué la Loi sur les mesures d'urgence, jamais utilisée auparavant, dans le but d'annuler l'effet des blocages des camionneurs qui avaient pris le contrôle des rues de la capitale et des principaux passages frontaliers pour protester contre les restrictions liées à la COVID-19 et le gouvernement libéral.
En créant la Loi sur les mesures d'urgence, l'ancien ministre progressiste-conservateur a déclaré que le gouvernement voulait créer une nouvelle loi avec davantage de freins et contrepoids pour empêcher les abus de pouvoir potentiels.
L'un de ces contrôles était une enquête obligatoire, qui doit être lancée dans les 60 jours suivant la levée de l'état d'urgence.
Le 25 avril, le gouvernement a nommé le juge de la Cour d'appel de l'Ontario, Paul Rouleau, pour diriger l'enquête et rendre compte des leçons apprises, dans l'espoir d'éviter de recourir à la loi à l'avenir.
L'annonce dans le foyer de l'édifice de l'Ouest du Parlement a donné le coup d'envoi à une série d'échanges entre les ministres du gouvernement, les membres de l'opposition et les médias sur le but de l'enquête et la quantité d'informations auxquelles M. Rouleau aurait accès.
Si le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, n'a pas dit si l'enquête jugerait si le gouvernement était justifié d'invoquer la loi en premier lieu, M. Beatty estime que c'était exactement le but d'inclure une enquête obligatoire dans la loi.
«Invoquer la loi était-il la bonne chose à faire en premier lieu? Les critères qui ont soutenu la décision ont-ils atteint le seuil élevé qui était prévu et requis en vertu de la loi?», dit M. Beatty.
Mardi, des journalistes ont demandé à M. Mendicino si le gouvernement avait l'intention de renoncer à la confidentialité du Cabinet - les discussions secrètes destinées uniquement aux ministres - au nom de l'enquête sur la Loi sur les mesures d'urgence.
«Nous avons accordé au juge Rouleau le pouvoir d'obliger des témoins, des informations et des documents et, en toute justice, nous avons envisagé qu'il aurait accès à des informations classifiées», a déclaré Mendicino.
Il a ajouté que le gouvernement avait hâte de collaborer avec le juge «afin que nous puissions être transparents», mais comme M. Rouleau n'a pas encore demandé d'informations classifiées, rien n'a été décidé sur ce qu'il faut divulguer.
M. Beatty, qui a renoncé aux commentaires partisans depuis qu'il a quitté la politique, n'offrirait aucun conseil précis au gouvernement sur la façon de s'assurer que le pays obtienne un regard honnête et ouvert sur les actions du cabinet.
Il a dit qu'il ne pouvait parler que de ce qui était prévu lorsque la loi a été adoptée. «La seule chose que je puisse dire, en tant qu'auteur de la loi, c'est que partout où vous avez des pouvoirs extraordinaires, il doit y avoir une responsabilité extraordinaire», a-t-il déclaré.
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Avant que la nouvelle législation ne la remplace, la Loi sur les mesures de guerre a été utilisée trois fois dans l'histoire: pendant la crise d'Octobre et les Première et Seconde Guerres mondiales.
L'ancienne législation autorisait les violations des droits de l'homme, comme l'incarcération des Canadiens d'origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, souligne M. Beatty. L'objectif de la Loi sur les mesures d'urgence était de déterminer comment protéger les droits civils des Canadiens, même dans les circonstances les plus difficiles.
Il comprenait donc des protections comme une date d'expiration des pouvoirs du gouvernement, une exigence d'approbation parlementaire, des options de recours devant les tribunaux et l'enquête obligatoire.
Il est tout à fait possible que l'enquête puisse tirer des conclusions sans porter atteinte à la confidentialité du cabinet, mais en fin de compte, il appartient au gouvernement d'être suffisamment transparent pour convaincre les Canadiens qu'il a fait le bon choix, répond M. Beatty.
«Si vous n'avez pas de transparence, les gens soupçonneront toujours que quelque chose a été retenue», a-t-il déclaré.
«''Faites-nous confiance'' ne suffit pas si vous voulez la confiance du public en fin de compte», a-t-il déclaré.