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Le manque d’infirmières vient sérieusement affecter l’efficacité de ces services essentiels en matière de réduction des méfaits.
Six ans après l’ouverture des sites de consommation supervisée dans la métropole, et alors qu’une grave crise des surdoses continue de faire des milliers de victimes au pays, le manque d’infirmières vient sérieusement affecter l’efficacité de ces services essentiels en matière de réduction des méfaits.
D'après les données de la vigie des surdoses de la direction régionale de santé publique de Montréal, on a recensé en moyenne 14,3 décès par mois en 2022-2023. Il s’agit d’une hausse de près de trois morts par mois comparativement à l’année précédente.
Disant vouloir dénoncer la situation, des dizaines de professionnelles en soins ont récemment pris la rue le temps d’une action symbolique en simulant leur mort en pleine rue. Elles voulaient ainsi attirer l’attention sur «les risques de décès si rien ne change», avait fait valoir le Syndicat des professionnelles en soins du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal (FIQ-SPSS Centre-Sud).
«Les services ne sont pas offerts à 100 % à la population», déplore le président de la FIQ-SPSS Centre-Sud, Denis Joubert. Selon lui, le problème ne serait pas lié à une pénurie de personnel, mais à un manque de volonté de la direction régionale de santé publique (DRSP) et du CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal.
Le syndicat estime qu’en appliquant la convention collective actuelle, qui prévoit déjà certaines mesures incitatives, on pourrait facilement réunir assez de professionnelles volontaires pour travailler dans les services de consommation supervisée (SCS).
«On ne parle pas d’une vingtaine d’infirmières-là, on parle d’une dizaine, précise M. Joubert. Moi, je suis persuadé qu’avec une réelle volonté politique, on va y arriver.»
Au CIUSSS, la directrice des ressources humaines, Martyne Charland, mentionne qu'on est justement en campagne de recrutement et qu'on cherche actuellement à pourvoir deux postes à temps partiel dans les SCS.
La Dre Carole Morissette, médecin-conseil en Prévention des ITSS et réduction des méfaits liés aux drogues à la DRSP, prévoit que l'on misera sous peu sur une équipe complète.
«On est engagé à s'assurer qu'on met en œuvre tout ce qui est nécessaire pour réduire les décès et les surdoses. On pense que les infirmières sont une offre complémentaire aux services communautaires», a-t-elle ajouté.
Dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne, le directeur général de CACTUS Montréal, Jean-François Mary, dit soulever les mêmes enjeux que le syndicat des professionnelles en soins lors de ses représentations auprès du CIUSSS et du ministère de la Santé et des Services sociaux.
«(Le manque de personnel) fait en sorte que nos services sont découverts, ce qui complique énormément le fonctionnement, rend les horaires instables, limite l’accessibilité au service alors que nous faisons face à deux surdoses par jour en moyenne» au SCS de CACTUS Montréal, explique-t-il.
Du côté de Spectre de rue, la directrice générale Annie Aubertin admet être un peu moins affectée par les absences d'infirmières parce que son organisme accueille la clientèle de jour.
Elle souligne tout de même que lorsque cela se produit, elle doit compenser par l'ajout de personnel aux frais de l'organisme, ce qui met de la pression sur des finances déjà fragiles.
Annie Aubertin rêve d'une meilleure collaboration du milieu de la santé. «On est en soutien à la personne, mais aussi au réseau. On fait partie de ce grand système-là», plaide-t-elle en constatant parfois un certain mépris.
Chez Dopamine, dans l’arrondissement Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, on reconnaît sans détour que les effectifs infirmiers promis dans le projet de départ n’ont jamais été au rendez-vous. Dès l’ouverture de SCS, on a compris qu’on ne pourrait pas compter sur la présence d’une infirmière sept soirs par semaine comme convenu.
Avec le temps, les absences ponctuelles sont devenues permanentes. Le directeur général de l’organisme, Martin Pagé, dit pouvoir compter sur ses doigts le nombre de fois où une infirmière s’est présentée chez Dopamine depuis le début de la pandémie au printemps 2020.
Il estime qu’en ouvrant simultanément quatre sites à l’été 2017 à Montréal, on a rapidement épuisé la petite banque de personnel infirmier qualifié pour y travailler. En plus de Spectre de rue, de CACTUS Montréal et de Dopamine, l’autobus de l’Anonyme sillonne les rues de la ville pour rejoindre les usagers.
«C'est un job qui est exigeant, qui demande beaucoup d'encadrement, insiste Martin Pagé. On ne peut pas se faire parachuter dans une salle de consommation comme ça, autant au niveau social, communautaire, qu’infirmier.»
Dans la gestion quotidienne d’un site de consommation supervisée, il faut de la prévisibilité, insiste Martin Pagé. Il doit pouvoir compter sur son monde pour accueillir une clientèle marginalisée ayant besoin de services. Pour que le système fonctionne, il faut que l’usager sache que la porte sera ouverte lorsqu’il se présentera sur place.
Ainsi, Dopamine a tôt fait de modifier son modèle de fonctionnement pour opérer sans la présence d’infirmières. Or, M. Pagé ne ferme pas la porte à un retour des professionnelles en soins parce que leurs compétences peuvent être profitables aux usagers.
La population marginalisée qui fréquente les SCS est souvent réticente à aller chercher des services de santé par crainte d’être jugée ou ostracisée. C’est pourquoi la présence de personnel médical dans les locaux des organismes peut devenir une opportunité d’offrir d’autres services. On parle notamment de soins de plaies, de dépistage d’ITSS ou tout autre type de soins préventifs reliés à la réalité de vivre en situation d’itinérance.