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Airbnb semble avoir modifié en bloc des centaines d'annonces au Québec sans numéro d'enregistrement pour empêcher la réservation de séjours de moins de 31 jours, vendredi matin. La modification est survenue quelques heures après que Noovo Info a recensé plus de 102 annonces illégales toujours actives au premier jour de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la Loi sur l’hébergement touristique.
«À partir du 1er septembre, date d'entrée en vigueur de la loi, les hôtes qui n'auront pas ajouté le numéro et la date d'expiration de leur certificat d'enregistrement à leurs annonces, et dont les détails ne correspondent pas aux renseignements figurant sur celui-ci, ne pourront plus offrir des séjours de courte durée», a affirmé à Noovo Info Nathan Rotmas, responsable des politiques pour Airbnb au Canada, par courriel.
L'entreprise explique que la plateforme avait donné le choix à tous les hôtes sans numéro d'enregistrement valide de supprimer leurs annonces ou de les transformer en offres de location de 32 jours ou plus. Cette fonction a été activée le 1er septembre. L'entreprise n'a toutefois pas expliqué pourquoi elle n'avait pas agi dès mars dernier, alors qu'elle s'était engagée à supprimer toutes les annonces non conformes dans la foulée de l'incendie mortel d'un Airbnb dans le Vieux-Montréal.
Voyez le récapitulatif d'Émilie Clavel au bulletin Noovo Info 17 dans la vidéo accompagnant ce texte.
«Nous continuons à exprimer nos inquiétudes quant aux lacunes majeures de ce système. Le cadre réglementaire proposé par les nouvelles règles nous apparaît compliqué et inefficace. Il sera plus difficile pour les hôtes d'accueillir des voyageurs et presque impossible pour les plateformes de répondre adéquatement aux nouvelles exigences», ajoute le représentant de l'entreprise.
Depuis vendredi, les plateformes numériques d’hébergement comme Airbnb s’exposent à des amendes de 10 000$ à 100 000$ chaque fois qu’elles diffusent une offre d’hébergement touristique qui ne contient pas le numéro d’enregistrement de l’établissement, ainsi que sa date d’expiration. D’autres pénalités peuvent s’ajouter s’il est démontré que la plateforme n’a pas obtenu le certificat ou vérifié la validité du numéro fourni.
Ces certificats d’enregistrement sont émis par la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ), la Fédération des pourvoiries du Québec ou Camping Québec, en fonction du type d’établissement. Ils sont obligatoires depuis l’entrée en vigueur depuis l’entrée en vigueur de la loi 100, en 2022. Mais de nombreux hôtes continuent malgré tout d’afficher des propriétés non enregistrées en toute impunité.
En mars dernier, la plateforme Airbnb avait pourtant annoncé qu’elle supprimerait toutes les annonces de locations à court terme qui ne respectent pas la réglementation en vigueur au Québec. Or, l’entreprise semble plutôt avoir masqué les annonces non conformes dans ses résultats de recherche, sans les supprimer.
Vendredi, l'entreprise a déploré que «les plateformes de location à court terme n'ont toujours pas accès aux données du gouvernement pour valider les informations soumises par les hôtes», qualifiant le système mis en place par le ministère du Tourisme d'«obsolète et totalement déficient».
En utilisant le site d’archives WayBack Machine, qui permet de visionner des versions archivées de pages web à des dates spécifiques, Noovo Info a pu trouver vendredi matin les numéros de centaines d’annonces mises en valeur dans les résultats de recherche d’Airbnb pour Montréal et Québec entre janvier 2021 et janvier 2023.
À partir de ces numéros de propriété, nous avons pu reconstituer le lien URL menant à ces annonces, et constaté que bon nombre d'entre elles sont toujours actives. Et nous ne sommes visiblement pas les seuls à avoir réussi à y accéder, même si elles ne se retrouvent plus aussi facilement en faisant une recherche sur la plateforme. En effet, la majorité des annonces affichent des commentaires de touristes y ayant séjourné au cours des trois derniers mois. Toutes les annonces que nous avions répertoriées ont été supprimées ou modifiées pour permettre uniquement des réservations de longue durée dans les heures qui ont suivi la publication de notre reportage.
Ceux qui n'affichent aucune disponibilité ou ne permettent pas les réservations de moins de 32 jours peuvent toutefois toujours être contactés par messagerie privée, laissant la porte ouverte à des échanges qui pourront difficilement être monitorés par Revenu Québec.
C’est aux agents de Revenu Québec que revient depuis 2018 la tâche de faire respecter la Loi sur l’hébergement touristique et d’imposer des amendes aux contrevenants.
En entrevue à Noovo Info à la mi-août, la ministre du Tourisme Caroline Proulx avait assuré que Québec n’hésiterait pas à imposer des amendes de 100 000$ pour chaque annonce non conforme, dès le premier jour de l’entrée en vigueur de la loi.
Dans un courriel acheminé à Noovo Info vendredi, l'équipe de Mme Proulx confime qu'il s'agit toujours de la volonté du ministère du Tourisme.
«À partir de maintenant, l'ensemble des dispositions de la Loi 25 s'appliquent. Revenu Québec a doublé sa force de frappe en hébergement touristique. Il est de la responsabilité de tous les acteurs concernés de veiller à ce qu'ils opèrent en conformité sous peine d'amendes», indique-t-on dans le courriel.
Questionné par Noovo Info cette semaine, Revenu Québec a refusé de dévoiler combien d’inspecteurs auront pour mission de fouiller les différentes plateformes à la recherche d’annonces illégales. Il a toutefois indiqué par le passé qu'à terme, une vingtaine de ressources supplémentaires auront été embauchées et certaines ressources réallouées à ses activités en hébergment touristique.
«Pour ne pas nuire à ses stratégies d’intervention, Revenu Québec ne dévoile pas ses techniques d’inspection et d’enquête, ni le nombre d’agents attitrés à ces activités», a expliqué le porte-parole Claude-Olivier Fagnant.
Entre le 1er avril 2022 et le 28 février 2023, Revenu Québec a imposé 4,9 millions de dollars en amendes à des particuliers et à des entreprises qui louaient illégalement des logements à court terme. Cela représente 1205 condamnations, pour une amende moyenne d’environ 4000$.
Les partis d'opposition à l'Assemblée nationale ont accueilli sans trop de surprise la nouvelle qu'Airbnb ne s'était pas conformé à temps à la nouvelle loi.
Le député péquiste Joël Arseneau, porte-parole du troisième groupe d'opposition en matière d'Habitation, a accusé le gouvernement Legault de manquer de volonté politique dans le dossier.
«Ce ne sont pas les bonnes dispositions qui manquent, c'est une volonté politique ferme et les moyens d'agir», a-t-il déploré, dans une déclaration écrite à Noovo Info. «À quoi bon légiférer si [le fouvernement] ne se donne pas les ressources pour faire appliquer les lois?»
Même son de cloche du côté du Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). «Pour que les nouvelles dispositions à la loi donnent des résultats, il faut que des ressources suffisantes soient mises maintenant pour que la loi soit appliquée», rappelle sa porte-parole Véronique Laflamme.
«En attendant on peut craindre que la loi ne suffise toujours pas pour éviter qu’on continue à perdre des logements dont les locataires auraient urgemment besoin.»