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La colère et la méfiance généralisée envers les médias, les gouvernements et les autorités sanitaires qui ont alimenté les récentes manifestations du «convoi de la liberté» à Ottawa sont là pour rester et auront un impact à long terme sur la politique.
La colère et la méfiance généralisée envers les médias, les gouvernements et les autorités sanitaires qui ont alimenté les récentes manifestations du «convoi de la liberté» à Ottawa sont là pour rester et auront un impact à long terme sur la politique canadienne, estiment des experts qui étudient l’extrême droite et la radicalisation.
Il en sera de même pour les organisateurs de ces manifestations, dont certains épousent des opinions radicales d’extrême droite, croient les experts interrogés.
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«C’est quelque chose que nous ne pouvons pas ignorer», déclarait récemment en entrevue Kurt Phillips, membre du conseil d’administration du Réseau canadien contre la haine. «On pourrait le reconnaître comme un problème ici et y faire face (…) ou bien faire ce que nous avons fait auparavant et se mettre la tête dans le sable et prétendre que ça n’existe pas, jusqu’à ce que ça ressurgisse.»
Le soi-disant «convoi de la liberté 2022» a commencé le 28 janvier, alors que des camions de transport et des milliers de personnes convergeaient vers la colline du Parlement pour s’installer dans le centre-ville d’Ottawa pendant environ trois semaines.
Le premier ministre Justin Trudeau a finalement invoqué la Loi fédérale sur les mesures d’urgence et les arrestations ont commencé le 17 février. Le lendemain soir, la police avait accusé plus de 100 personnes de diverses infractions. Les participants ont déclaré que leur manifestation visait les restrictions sanitaires contre la COVID-19 et la vaccination obligatoire.
Amarnath Amarasingam, professeur adjoint à l’école des religions de l’Université Queen’s et chercheur principal au Centre international d’étude sur la radicalisation, ne croit pas que la grande majorité des participants au convoi était des extrémistes et qu’il faille catégoriser l’ensemble de la manifestation comme un «rassemblement d’extrême droite».
«Je pense que les organisateurs sont définitivement d’extrême droite et définitivement extrémistes, mais le mouvement, lui, est un peu plus éclectique et plus large», a-t-il déclaré dans une récente entrevue.
Parmi les organisateurs et les leaders, on retrouve Pat King, qui est sur le radar du Réseau canadien contre la haine depuis un certain temps. Dans une vidéo publiée sur Twitter en 2019, il évoquait la théorie du grand remplacement, un complot pour «dépeupler la race anglo-saxonne», disait-il.
Pat King a été arrêté le 18 février et accusé de plusieurs infractions, notamment d’avoir conseillé de commettre des méfaits. Vendredi dernier, un juge a refusé de le libérer sous caution, estimant qu’il y avait un risque réel de récidive. Ni M. King ni son avocat, Cal Rosemond, n’ont répondu à une demande de commentaire.
Selon le quotidien «Toronto Star», un autre organisateur du convoi, Benjamin Dichter, aurait déclaré en 2019, lors d’un congrès du Parti populaire de Maxime Bernier, que «l’infiltration islamiste et l’adaptation de l’islam politique pourrissent notre société comme la syphilis». Il a fait une apparition lors de la populaire émission de Tucker Carlson sur Fox News, le 27 janvier. Lorsqu’on lui a demandé un commentaire, il s’est opposé sur Twitter à être qualifié d’extrémiste et il n’a pas répondu à une demande d’entrevue.
M. King, quant à lui, est devenu une sorte de célébrité lors du convoi: les manifestants s’arrêtaient pour lui taper dans les mains et prendre des photos avec lui, a déclaré M. Amarasingam. Il a lui aussi été invité chez Fox, sur la chaîne «Fox Business», en tant que «cofondateur» du convoi canadien.
«Je pense que ce convoi a vraiment rehaussé l’image de beaucoup de ces personnes et en a fait des célébrités à travers tout le Canada, a déclaré M. Amarasingam. Nous pourrions commencer à les voir s’organiser un peu plus formellement ou simplement continuer en tant que mouvement populiste de droite qui aura une voix dans la politique canadienne, sous une forme ou une autre.»
Dans l’ensemble, selon le professeur Amarasingam, les manifestations ont entraîné une «maturation et une intégration» d’un mouvement populiste canadien de droite similaire au Tea Party aux États-Unis, qui a émergé en 2009 en opposant «le peuple contre les élites».
Kurt Phillips, du Réseau contre la haine, est aussi le fondateur du site «Anti-Racist Canada», où il suit les mouvements d’extrême droite canadiens depuis une dizaine d’années. Il espère maintenant que l’implication des influenceurs d’extrême droite dans les manifestations du convoi servira de signal d’alarme pour que les Canadiens commencent à prendre au sérieux ces discours radicaux.
Le Canada a toujours produit son propre lot d’influenceurs d’extrême droite, rappelle M. Phillips, citant par exemple les «Proud Boys», qui ont été classés par le gouvernement canadien comme une organisation terroriste, à la suite de l’assaut de janvier 2021 contre le Capitole, à Washington. «Mais maintenant que ça a ralenti (…), je crains que nous revenions en arrière en prétendant que ça n’existe pas. Et si on fait ça, tout ça va continuer à s’aggraver et à croître.»
David Hofmann, professeur agrégé de sociologie à l’Université du Nouveau-Brunswick, étudie lui aussi la radicalisation. Il est convaincu que les groupes d’extrême droite canadiens ont vu le convoi comme un succès.
«Il y a de l’énergie, actuellement, et cette énergie est soutenue par une tolérance croissante du public envers les symboles et les attitudes de haine et d’extrémisme, a-t-il estimé en entrevue. Nous devons (...) faire savoir clairement que ce type de rhétorique haineuse, ces types de points de vue ne sont pas acceptables ici au Canada ou ailleurs.»
«Et ce qu’il faut, c’est que les Canadiens, individuellement, interviennent.»