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Si le passé est garant de l’avenir, les chances sont minces de voir affluer des milliers de professionnelles pour venir à la rescousse du réseau de la santé.
Après avoir échoué à recruter des centaines de préposés aux bénéficiaires à l’international, le gouvernement de François Legault fait maintenant miroiter la même solution pour répondre à la pénurie d’infirmières.
Si le passé est garant de l’avenir, les chances sont minces de voir affluer des milliers de professionnelles pour venir à la rescousse du réseau de la santé.
Le porte-parole libéral en matière de santé, André Fortin, invite le gouvernement à agir rapidement pour analyser l'échec du programme de recrutement de préposés aux bénéficiaires à l'étranger et d'en corriger les lacunes.
«On ne peut pas refaire les mêmes erreurs une deuxième fois», met-il en garde.
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En date du 17 décembre dernier, il manquait 3871 infirmières techniciennes et cliniciennes dans le réseau québécois, selon les données du tableau de bord du ministère de la Santé. À cela on peut ajouter 1708 infirmières auxiliaires recherchées pour un total de 5500 postes à combler.
Parmi les solutions proposées par le ministre de la Santé, Christian Dubé, on parle notamment de recruter à l’international. Or, d’après les chiffres obtenus par La Presse Canadienne grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics, le Québec parvient à attirer entre 359 et 399 infirmières par année depuis cinq ans.
Au cours de la période du 1er septembre au 20 janvier derniers, ce sont 145 infirmières qui ont été convaincues par le service Recrutement Santé Québec dont la mission est de faciliter «le recrutement, l'accueil et l'intégration des professionnels de la santé et des services sociaux diplômés hors Canada qui maîtrisent le français».
Ces quelques centaines de professionnelles de soins proviennent principalement de France, mais aussi de Belgique, du Maroc, du Cameroun, de Tunisie, du Liban ou du Bénin notamment.
Une fois ces infirmières recrutées, il faut maintenant savoir comment les garder. De l’avis de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), c’est loin d’être garanti.
«On ne peut pas aller chercher des infirmières à l'international et les emmener ici dans les conditions actuelles», estime la présidente de la FIQ, Julie Bouchard, en énumérant les enjeux de charge de travail, de temps supplémentaire obligatoire et de ratios de patients «qui n'ont aucun bon sens».
Selon elle, le gouvernement doit franchir les étapes «correctement». «On améliore les conditions de travail, on va stabiliser les équipes de soins, on va instaurer une loi sur les ratios, on va faire une planification de la main-d’œuvre et par la suite on va savoir exactement combien il manque d’infirmières et combien on peut aller chercher à l’étranger et leur permettre d’être bien au Québec», élabore celle qui porte la voix d’environ 80 000 infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques.
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Le président de l'Association des infirmières et infirmiers du Canada (AIIC), Sylvain Brousseau, est du même avis. «Aller chercher des gens à l'international, ce n'est pas la solution parce qu'elles ou ils ne restent pas non plus», martèle-t-il en s'appuyant sur ses propres observations.
«On devrait se poser la question pourquoi? C'est l'environnement de travail qui demande un changement radical pour le rendre plus humain», renchérit celui qui est également chercheur associé au Centre intégré de santé et des services sociaux de l’Outaouais et chercheur régulier à l’Institut du savoir de l’Hôpital Montfort à Ottawa.
Qu'elles soient immigrantes ou d'origine québécoise, les infirmières cherchent toutes à améliorer leur sort.
Au cabinet du ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, on maintient que «le recrutement à l’international, c’est une des solutions pour trouver plus de personnel dans notre réseau de la santé» et on promet de poursuivre les efforts en ce sens. Le ministre affirme aussi avoir l’intention de faire du réseau de la santé «un employeur de choix».
Pour Julie Bouchard, la recette est assez simple. Il faut revaloriser le travail des professionnels en soins. «Si on améliore leurs conditions de travail de manière importante avec de meilleurs salaires, là on va créer un effet de balancier et c'est là que le gouvernement va pouvoir dire qu'il est devenu un employeur de choix», plaide la présidente de la FIQ.
Le porte-parole de Québec solidaire en matière de santé, Vincent Marissal, croit aussi que les conditions de travail actuelles risquent de faire fuir les candidates potentielles.
«Si vous êtes une infirmière sénégalaise ou française et que vous faites une petite recherche sur Google (avec les mots) santé, Québec et hôpitaux, il y a de quoi vous inquiéter ou même vous effrayer avec les nouvelles qui vont sortir», prévient-il.
En février 2022, le ministre de l’Immigration de l’époque, Jean Boulet, annonçait aux côtés de son collègue de la Santé, Christian Dubé, un investissement de 65 millions $ sur deux ans pour dénicher 1000 infirmières ailleurs dans le monde.
L’initiative semble prometteuse jusqu’ici, selon les données transmises par le ministère de la Santé. On aurait réussi à attirer 1533 candidates à la profession. Celles-ci doivent toutefois d’abord «suivre la formation d'appoint prescrite par l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ)» et réussir l’examen d’admission à la profession pour obtenir leur droit de pratique.
Du côté de l’OIIQ, le président Luc Mathieu affirme que le processus de reconnaissance des compétences a été grandement amélioré à la suite du partenariat développé avec le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.
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Selon M. Mathieu, certains pays moins nantis qui manquent eux aussi de personnel infirmier tenteraient de freiner l’exode de leurs professionnelles en refusant de fournir certains documents ou en faisant traîner le dossier.
Sylvain Brousseau soulève d’ailleurs un problème éthique à aller dépouiller des États déjà affaiblis. «Que les gens viennent de leur propre gré, je n'ai aucun problème, mais qu'on aille chercher des ressources dans les pays où eux-mêmes sont en manque, là, j'ai un problème», dénonce-t-il.
D’un point de vue bien terre-à-terre, Julie Bouchard fait également remarquer que le Québec n’est peut-être pas prêt à accueillir un grand nombre de nouvelles arrivantes, car le mot «pénurie» ne s’accorde pas uniquement avec main-d’œuvre, mais aussi avec logement et garderie.