Début du contenu principal.
Les parents demandent que leur fils soit rapatrié et jugé au Canada.
Ceci est la première partie d'une série d'enquête dans laquelle Avery Haines de CTV W5 raconte l'histoire de Jack Letts, un Canadien converti à l'islam qui est présentement détenu dans une prison syrienne après avoir été accusé d'être un membre du groupe armé État islamique (ISIS). La première partie se concentre sur le combat de sa famille pour ramener leur fils à la maison.
Jack Letts a passé sept ans et demi dans un trou noir juridique. Détenu sans inculpation dans une prison secrète du nord-est de la Syrie, il est accusé d'être membre du groupe armé État islamique, mais n'a jamais été jugé ni condamné. Ses parents, John Letts et Sally Lane, se sont battus sans relâche pour le ramener à la maison.
Ce texte est une traduction d'un article de CTV News.
Né au Royaume-Uni, John Letts possède la citoyenneté canadienne grâce à son père. Chaque jour, John Letts se sent coupable du sort de son fils.
«J'ai passé une bonne nuit de sommeil dans un lit raisonnablement chaud. Jack est allongé sur un sol en ciment, il souffre. Je prends mon petit-déjeuner, mais pas lui. Je prends une douche chaude. Je me sens coupable», a-t-il confié à W5. «Comment faire pour vivre avec cela en permanence tout au long de la journée? On ne peut pas vivre avec ça.»
Jack Letts est né à Oxford, en Angleterre. Ses parents disent qu'il était un enfant populaire qui aimait le théâtre, la musique et le sport. Sa personnalité a radicalement changé lorsqu'il a eu 14 ans et que l'on a diagnostiqué chez lui de graves troubles obsessionnels compulsifs. Jack a fait une fixation sur l'islam et s'est converti à 16 ans. Deux ans plus tard, en 2014, il s'est rendu en Syrie, attiré, selon ses parents, par les manifestations en faveur de la démocratie contre le dictateur syrien Bachar el-Assad.
«Je pense vraiment qu'il avait l'impression que s'il n'y allait pas et n'aidait pas - ses TOC l'obligeaient à y aller pour être un bon musulman - alors il irait en enfer», a raconté John Letts.
Capturé par les forces kurdes en 2017, il fuyait ISIS après avoir été ciblé pour s'être exprimé contre le groupe.
«Si vous êtes pris en train d'essayer de vous échapper, ils vous tuent», a mentionné le père de famille. «Que vous y soyez allé en pensant que c'était une utopie et que vous ayez été trompé, comme beaucoup l'ont été, une fois que vous êtes à l'intérieur et que vous voulez vous échapper, comment sortir?»
«ISIS a fait des choses absolument horribles», a ajouté la mère Sally Lane. «Mais tous ceux qui sont allés en Syrie n'en étaient pas membres et n'ont pas fait des choses horribles.»
Lorsque l'on a appris qu'un adolescent britanno-canadien d'Oxford s'était rendu en Syrie en 2016, les tabloïds britanniques l'ont surnommé Jihadi Jack, avec une photo de lui en territoire ISIS où il semble faire le soi-disant salut ISIS. Ses parents soulignent qu'il a fait un geste similaire bien avant de se rendre en Syrie.
Dans une entrevue de la BBC réalisée en prison en 2019, John Letts avait dit qu'il avait envisagé de commettre un attentat-suicide, mais qu'il avait ensuite dénoncé l'idéologie du groupe comme étant anti-musulmane.
«Je veux juste que les gens aient l'esprit ouvert», a lâché Sally Lane. «Ils peuvent poser autant de questions qu'ils le souhaitent. Qu'a-t-il fait? Qu'est-ce qu'il n'a pas fait? Ce sont les mêmes questions que je me pose. Je veux savoir.»
Le Royaume-Uni a déchu Jack Letts de sa citoyenneté britannique en 2019, laissant le Canada comme seul recours potentiel. Cependant, l'opinion publique et les politiques n'ont guère manifesté d'appétit pour intervenir.
Sa mère, Sally Lane a organisé des manifestations, des grèves de la faim et des pétitions, dans l'espoir de persuader le Canada de rapatrier son fils, même si cela implique de le juger.
«Où sont les preuves? Apportez-les. Faites-lui un procès», a exprimé aussi le père . «Comment peut-on condamner quelqu'un sans même qu'il y ait eu un procès?»
Jack Letts est l'un des neuf Canadiens au moins parmi les 10 000 membres présumés d'ISIS détenus dans 29 prisons de fortune dans le nord-est de la Syrie. La plupart des détenus sont des étrangers qui ne peuvent pas se défendre contre les allégations en raison de l'absence de système juridique.
Les prisons sont contrôlées par les forces kurdes soutenues par les États-Unis, qui ont repris le nord-est de la Syrie à l'ISIS en 2019. Amnesty International et les Nations unies ont dénoncé les conditions de détention comme étant arbitraires avec des preuves de torture.
Ilham Ahmed, une haut responsable kurde, a appelé à plusieurs reprises les nations à rapatrier leurs citoyens.
«Il est impératif que ces personnes soient rapatriées. Leur présence ici est illégale et ils n'ont aucun droit en vertu de nos lois», a-t-elle avoué à W5.
Malgré ces appels, le Canada n'a pas réagi. La ministre canadienne des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a refusé des demandes répétées d'interview. «Lorsque vous décidez de rejoindre ISIS et que vous quittez le pays [...], vous portez la responsabilité de votre décision», a-t-elle répondu lors d'un événement à Toronto.
Me Tayab Ali, l'avocat de Jack Letts, n'a jamais eu accès à son client. Il affirme que la politique du Canada va à l'encontre du concept d'innocence jusqu'à preuve du contraire. «Quand nos valeurs nous permettent-elles de dire [...] je vais [...] les garder en détention indéfiniment sans preuve parce que je pense que cette personne a commis un crime. N'est-ce pas là le système que nous avons créé?» a-t-il dit.
Les États-Unis ont rapatrié les 27 détenus américains de sexe masculin, dont 10 ont été inculpés à leur retour. Des responsables américains, dont le secrétaire d'État Antony Blinken, ont exhorté d'autres pays à faire de même, en mettant en garde contre les risques posés par le fait de laisser des détenus dans une région politiquement instable.
«Dix mille combattants d'ISIS sont toujours détenus, ce qui représente la plus grande concentration de terroristes dans le monde», a indiqué Ian Moss, du Bureau américain de lutte contre le terrorisme. «S'ils s'échappent, ils constitueront une menace non seulement pour le nord-est de la Syrie, mais aussi pour nos pays.»
Les cellules dormantes d'ISIS sont de plus en plus actives en Syrie et tentent continuellement de faire sortir les détenus pour former ce qui serait une armée ISIS prête à l'emploi. Lors d'un siège de neuf jours en 2022, 400 détenus se sont échappés lors d'une évasion de prison sophistiquée de l'ISIS.
En 2023, le Canada semble contraint d'agir. Un juge de la Cour fédérale a statué que les hommes canadiens détenus en Syrie avaient le droit d'y retourner. «Notamment [le gouvernement] n'allègue pas que l'un ou l'autre des demandeurs a participé ou aidé à des activités terroristes», a écrit le juge Henry Brown dans sa décision.
Pour Sally et John, il s'agissait d'un rare moment d'espoir.
«Nous étions fous de joie. J'ai reçu des messages du monde entier me disant que c'était fantastique», s'est souvenu Sally. «Nous étions ravis. Jack rentre à la maison.»
Mais le gouvernement a fait appel et a gagné. Le juge de la Cour d'appel a estimé que le Canada n'était pas légalement tenu de rapatrier ses citoyens, mais il a ajouté que cette décision n'empêchait pas le gouvernement de faire des efforts de son côté. La Cour suprême a refusé d'entendre l'affaire.
Le Canada a rapatrié six femmes et 25 enfants des camps de détention syriens, dont certains ont été accusés ou placés sous condition de ne pas troubler l'ordre public à leur retour. Sally Lane se demande pourquoi les hommes sont traités différemment.
«Pourquoi le gouvernement canadien refuse-t-il aux hommes un procès équitable? Les femmes sont revenues. Certaines d'entre elles ont été inculpées. D'autres ne l'ont pas été», a-t-elle lancé.
Le rapatriement des femmes a également fait l'objet d'une controverse, avec des demandes d'enquête fédérale après qu'une mère canadienne, qui s'était vu refuser le rapatriement pour des raisons de sécurité, est morte mystérieusement en Turquie. Ses six enfants se trouvent aujourd'hui au Canada.
Sally Lane vit à Ottawa et continue de plaider pour le rapatriement de son fils. Elle n'a pas eu de contact avec Jack depuis des années et n'a aucune preuve qu'il soit encore en vie.
«Je connais trois familles européennes qui ont appris plus d'un an plus tard que leur proche était mort [en prison]», a-t-elle précisé. «Cela me fait peur, que vous puissiez penser qu'il est en vie et qu'il ne le soit pas.»
John Letts a soutenu que le combat a consumé leur vie.
«Jusqu'à ma mort, j'essaierai de faire sortir mon fils. Que peut-on faire d'autre? Nous ne pouvons pas nous arrêter parce que c'est ce qu'un parent doit faire», a-t-il conclu.
-Un texte d'Avery Haines pour W5 CTV News-