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Société

«Le décès de Mathis doit sonner l'alarme»: la prévention des surdoses d'opioïdes est un devoir de société, selon une coroner

«[...] Il ne faut pas attendre l’accumulation de décès chez les jeunes pour faire ce constat», a affirmé la coroner Me Stéphanie Gamache.

Reportage vidéo :
/ Noovo Info
Texte :
/ Noovo Info

Si le rapport de la coroner Me Stéphanie Gamache sur le décès du jeune Mathis Boivin, survenu le 22 décembre 2023 à Montréal, confirme que l’ado de 15 ans est mort à la suite d’une intoxication au N-déséthyl isotonitazène - un opiacé plus puissant que le fentanyl -, il soulève aussi plusieurs questions sur les circonstances de son décès.

«Des drapeaux rouges» ayant été levés concernant les problèmes de consommation de Mathis quelques mois avant son décès – les parents de Mathis savent qu’il consomme du cannabis et savent aussi son intérêt pour les drogues dures même si l’ado nie un problème de consommation et qu’aucun signe physique ne laisse croire à une consommation de drogue -, la coroner Gamache estime que «la détection et le repérage de la problématique de Mathis et la sensibilisation auprès de ses parents auraient peut-être permis une référence vers des intervenants de première ligne spécialisés».

Voyez le reportage de Véronique Dubé dans la vidéo liée à l'article.

«Mathis aurait peut-être aussi pu reconnaitre des signes d’une surdose en installation le soir du 21 décembre 2023 et son décès aurait possiblement pu être évité si lui et son entourage avaient su comment réagir pour lui assurer une chaine de survie», souligne-t-elle dans son rapport rendu public jeudi.

D’ailleurs, le soir même où Mathis a consommé ce qu’il croit être de l’oxycodone, il aurait décrit ses symptômes à un ami alors qu’ils jouaient ensemble en ligne, mentionnant avoir des démangeaisons sur le corps.

«Après ça tu te rends compte en lisant les symptômes d’une surdose que oui, c’était ça. Je n’en avais jamais parlé à Mathis, je n’y ai pas pensé. Ça confirme qu’on aurait pu être mieux outillé en tant que parents», a déclaré Christian Boivin, père de Mathis en entretien avec Noovo Info.

«Je n’étais pas assez outillé pour gérer pour éviter le drame qu’on a vécu avec Mathis et c’est un réflex qu’il faut générer», a-t-il ajouté. 

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La coroner s’interroge aussi sur le fait que le déploiement d’activités en milieu scolaire, en lien avec la sensibilisation et la prévention des risques de surdoses de substances psychoactives (et pour faire le repérage des jeunes à risques), «est à géométrie variable», alors que certaines écoles déploient un maximum d’activités et d’outils – en collaboration avec la Direction régionale de la santé publique de Montréal – et que d’autres n’offrent rien.

«Est-ce qu’elles ne se sentent pas concernées par la problématique?»
- Me Stéphanie Gamache, coroner

Si la coroner Gamache explique clairement qu’il n’est pas de son mandat, dans le cadre de cette investigation du moins, de contester les décisions prises par les différents milieux scolaires concernant leur approche en lien avec la prévention des intoxications par opioïdes, elle souligne que c’est tout de même «une responsabilité sociétale de reconnaitre que la prévention des intoxications par opioïdes et d’autres substances psychoactives nous concernent tous».

La coroner note que les décès par intoxication sont en hausse partout en Amérique Nord et que «le Québec n’échappe pas à cette problématique de santé publique».

«Le décès de Mathis doit sonner l’alarme, car il ne faut pas attendre l’accumulation de décès chez les jeunes pour faire ce constat.»
- Me Stéphanie Gamache, coroner

La coroner Stéphanie Gamache estime que la Direction générale de la santé publique doit continuer ses efforts de prévention des dépendances en milieu scolaire et que tous les milieux scolaires doivent reconnaitre la problématique et sa complexité «pour participer pleinement aux efforts de prévention».

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Le rapport de la coroner sur le décès de Mathis Boivin sera d'ailleurs transmis «pour fins d’information, de réflexion et de prévention» à la Direction générale de la santé publique, à la Direction régionale de la santé publique de Montréal, au ministère de l’Éducation, à la Fédération des centres de services scolaires du Québec, au Réseau des écoles publiques alternatives du Québec, à la Fédération des établissements d’enseignement privés du Québec, à l’Association des collèges privés du Québec, à la Fédération des cégeps, à l’Association des écoles privées du Québec et à l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec.

Il croyait consommer de l’oxycodone

Mathis Boivin a été découvert par son père alors qu’il gisait inanimé dans son lit le matin du 22 décembre 2023, vers 8h27.

Malgré des manœuvres de réanimation entamées par les parents et poursuivies «intensivement» par le personnel soignant, et malgré l’administration d’une dose de naloxone, le décès de Mathis a été constaté à 9h29 par un médecin du Département d’urgence.

Les résultats de l’autopsie menée sur le corps de Mathis au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale à Montréal révèlent la présence dans le sang de naloxone, du métabolite du THC et «une nouvelle substance psychoactive», le N-déséthyl isotonitazène.

Selon l’enquête policière, l’adolescent aurait bel et bien manqué des cours à son école durant l’après-midi du 21 décembre 2023 pour aller se procurer auprès d’un revendeur de rue entre cinq et sept comprimés de ce qu’il croit être de l’oxycodone, soit «un opioïde analgésique utilisé pour contrer les douleurs moyennes à sévère».

«En raison des nombreux modes de distributions clandestins, il est difficile pour une personne de connaître véritablement la composition d’une drogue achetée de façon illicite.»
- Me Stéphanie Gamache, coroner

Mathis rentre chez lui en fin de journée et soupe avec ses parents. Il monte ensuite à sa chambre en début de soirée pour jouer en ligne avec un ami. Selon le rapport de la coroner, Mathis a confié à son ami avoir consommé un ou des comprimés «et qu’il se sent bien et détendu».

Il a aussi mentionné à son ami qu’il ressentait des démangeaisons sur son corps, «comme des piqûres de moustiques».

Les amis jouent encore un peu puis se laissent en se disant «à demain». Mathis indique qu’il va s’étendre puisqu’il se sent fatigué.

Mathis ne réveillera pas.

Le N-déséthyl isotonitazène

Le N-déséthyl isotonitazène est un opioïde de synthèse «utilisé uniquement comme drogue d’abus au Canada», explique-t-on dans le rapport de la coroner.

Il existe à ce jour peu de littérature à son sujet.

La coroner précise tout de même que les opioïdes de synthèse sont des puissants dépresseurs du système nerveux central. «Il s’en suit une dépression respiratoire profonde qui a pour effet d’induire une baisse de l’oxygénation du sang et une hausse du gaz carbonique entraînant des lésions neurologiques qui peuvent prendre quelques heures à  causer le décès».

 

La coroner note par ailleurs dans son rapport que les conclusions du pathologiste indiquent que Mathis souffrait d’une bronchopneumonie bilatérale au moment de son décès et qu’elle a «certainement été un facteur de risque additionnel». «Elle a fait de l’adolescent un consommateur encore plus vulnérable». 

Des arrestations

Après une enquête de plusieurs mois, menée à la suite du décès de Mathis Boivin, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) annonçait en septembre dernier avoir procédé à l'arrestation de plusieurs présumés trafiquants de drogues de synthèses dont certains pourraient être liés à la surdose de l'adolescent de 15 ans.

Les autorités policières avaient alors effectué des perquisitions dans trois logements situés dans les arrondissements d’Ahuntsic–Cartierville et de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension, «de même qu’à l’intérieur d’un véhicule appartenant à l’un des suspects».

Plusieurs centaines de comprimés contrefaits d’apparence pharmaceutique avaient été saisis. 

Le député de Québec solidaire (QS). Guillaume Cliche-Rivard a demandé au gouvernement de François Legault de «répondre aux constats de la coroner et de se mettre en action». «Personne n’est à l’abri de ces tragédies», a-t-il ajouté. 

Avec des informations de Marie-Michelle Lauzon et Audrey Bonaque, Noovo Info

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/ Noovo Info
Texte :
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