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«L'idée derrière la création du BAPE était que la population qui habite un territoire, qui connaît son environnement, puisse participer au débat.»
Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, compte se pencher, au cours des prochains mois, sur la façon de tenir des BAPE. Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, qui fait régulièrement l’objet de critiques, est également une source d’inspiration ailleurs dans le monde.
Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a été mis en place en 1978, par le gouvernement de René Lévesque. L’utilité de cet espace de démocratie participative, qui vient de célébrer ses 45 ans, a mainte fois été remise en question.
Par exemple, l'ex-président d'Hydro-Québec André Caillé soutenait que l'organisme paralysait toute tentative de développement au Québec.
«Je n'ai jamais compris pourquoi nous avons mis en place un système de consultation aussi contraignant!», peut-on lire dans une entrevue publiée dans La Presse en 2006.
«Il y a des critiques cycliques qui reviennent à peu près tous les dix ans, que ce soit de la part du gouvernement, de promoteurs, de chambres de commerce», rappelle Louis Simard, professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.
«Il y a eu aussi des tentatives de réformes, mais elles ont avorté. Parce qu'à chaque fois qu'on souhaite réduire la portée du BAPE de différentes manières, il y a une levée de boucliers importante de la part de la population, de la société civile en général, mais des groupes écologistes en particulier, parce que le BAPE, il a 45 ans et il a fait ses preuves» et «c’est un modèle auquel la population tient».
Les travaux de recherche de Louis Simard portent sur la participation publique dans les secteurs de l’environnement et de l’énergie, plus particulièrement sur l’acceptabilité sociale des grands projets.
Le BAPE, rappelle-t-il, est né dans un contexte de prise de conscience des enjeux environnementaux dans les années 1970, une décennie qui a vu naître l'Agence de protection de l’environnement aux États-Unis et les ministères de l’Environnement du Canada et du Québec.
«L'idée derrière la création du BAPE était que la population qui habite un territoire, qui connaît son environnement, puisse participer au débat, pour bonifier des projets ou faire connaître des dimensions qui peuvent être oubliées», explique le professeur Simard.
Le premier projet sur lequel le BAPE s’est penché fut l’autoroute Dufferin-Montmorency, à Québec, en 1979. Depuis, le BAPE s’est vu confier plus de 1100 dossiers, a tenu plus de 3000 séances publiques de consultation, a produit 372 rapports et a pris part à 709 périodes d’information publique, en plus d’entendre les préoccupations de centaines de milliers de Québécois, selon les informations sur le site du BAPE.
Selon Louis Simard, le BAPE incarne un «idéal participatif» et il est une source d’inspiration ailleurs dans le monde.
Par exemple, selon le professeur, le BAPE a servi de modèle à la Commission nationale du débat public en France et «il n'est pas rare que le Bureau des audiences publiques reçoive des délégations de différents pays qui pensent mettre en place des dispositifs comme le BAPE».
À la différence de la Commission nationale du débat public en France, le BAPE est un organisme qui donne son avis.
«Au début, le BAPE se voulait une grande oreille» qui servait «à entendre ce que le public avait à dire sur les projets, mais c’est devenu plus que ça, car rapidement les commissaires ont jugé bon de donner leur avis», explique Louis Simard.
À la lumière des consultations, les commissaires indiquent si «un projet est souhaitable, s’il est nécessaire, s’il doit se réaliser», mais la loi prévoit que la décision d’accepter ou non un projet revient, dans tous les cas, au gouvernement.
Selon les travaux de Louis Simard et de Mario Gauthier, professeur au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais, entre 1979 et 2015, le BAPE a émis 24 % d’avis favorables à des projets et 21 % d’avis défavorables. La plus grande proportion des avis se trouvent dans la catégorie «mitigés» avec plus de la moitié (52 %).
Ce qui fait dire à Louis Simard qu’il est faux de prétendre que le BAPE bloque les projets en rendant la plupart du temps des avis défavorables.
Le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a affirmé mardi à «La Presse» que l’usine de batteries de Northvolt n'aurait pas vu le jour si l’entreprise avait dû se soumettre à un examen du BAPE.
Le ministre a expliqué qu’un BAPE aurait trop retardé le projet d’usine de batteries, ce qui aurait compromis sa réalisation.
«Mais c’est faux», selon Louis Simard qui soutient que la tenue d’une commission d’enquête du BAPE «dure quatre mois, trois mois ou deux mois, selon le type de BAPE».
Le professeur Simard est d’avis que «si on cherche des délais à couper, ce n’est pas dans l'étape du BAPE qu'il faut qu'il faut regarder», mais plutôt dans la Procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement, car c’est cette partie qui peut occasionner de longs délais.
Dans le «Règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets», qui relève de la Loi sur la qualité de l'environnement (LQE), il existe une quarantaine d’articles qui déterminent si un projet doit être assujetti à la procédure d’évaluation des impacts et à un BAPE.
Ces articles établissent les seuils à respecter. L’article 20, par exemple, indiquait jusqu’à tout récemment que «la construction d’une usine de fabrication de produits chimiques dont la capacité maximale annuelle de production serait égale ou supérieure à 50 000 tonnes métriques» devait être assujettie à la procédure.
C’est cet article qui a été modifié par le gouvernement Legault. Depuis juillet 2023, le seuil de production annuelle «de produits chimiques» pour échapper à un BAPE est passé à 60 000 tonnes. Northvolt prévoit une production annuelle de 56 000 tonnes.
Cette modification au règlement permet à la première phase du projet de Northvolt d’échapper au BAPE, mais aussi à une «évaluation environnementale plus importante», a indiqué Louis Simard.
Le ministre Charette a plusieurs fois répété que Northvolt devra tout de même respecter les règles environnementales. Par exemple, dans cette déclaration sur X mercredi matin: «Je continuerai de le répéter, le Québec possède l’un des cadres d’évaluation environnementale des plus rigoureux en Amérique du Nord. L'absence d'un BAPE à la première phase du projet Northvolt n'exclut absolument pas le respect des normes par l'entreprise», a-t-il écrit.
Selon le ministre Charette, il était impératif d’agir rapidement pour que le gouvernement atteigne ses cibles de réduction en matière de GES.
Mais est-ce que l'urgence climatique peut justifier de diminuer les délais d’autorisation pour une entreprise ou encore changer les règles relatives au BAPE?
«C'est une question qu'on peut débattre, mais à l'échelle de la société», croit Louis Simard.
«Un gouvernement légitimement élu pourrait considérer que l'urgence climatique nous oblige à faire les choses autrement», mais «il faut le dire et il faut faire un exercice avec la population pour expliquer ça, il faut aller chercher une certaine légitimité, une certaine crédibilité. On ne peut pas passer à côté des lois ou passer à côté des règlements.»
Selon lui, le gouvernement aurait gagné à «prendre le temps de discuter, d'exposer, d'expliquer les choses».
Il soutient que le projet de Northvolt est «accepté par une grande partie de la population», mais «maintenant, parce qu’on a bafouillé, on risque de torpiller le projet».
«Parfois, pour aller plus vite, il faut prendre son temps», a souligné le professeur.
La course à l’électrification des transports est loin d'être terminée et partout dans le monde, les États jouent du coude pour attirer les joueurs qui participeront au développement de cette nouvelle filière.
En marge d’un événement à Montréal jeudi, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, a expliqué qu’Ottawa aussi se sent parfois «coincé entre l’arbre et l’écorce».
«D'une part, il y a plein de gens qui nous demandent d'aller plus vite dans la lutte au changement climatique et d'autre part, si on va trop vite, les gens vont dire qu’il ne sont pas consultés adéquatement.»
Le ministre Guilbeault a tenu à spécifier que ce n’est pas à lui «de dire comment le gouvernement du Québec doit se comporter face au BAPE».
Il a souligné que récemment, dans le contexte de la transition énergétique, des pays comme l'Australie, les États-Unis et l'Allemagne avaient diminué le temps nécessaire au processus de consultations publiques et de livraisons de permis pour les projets d’envergure.
C’est à chacun d’essayer de «trouver le bon équilibre», a indiqué le ministre Guilbeault.