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Le troisième lien autoroutier dans la région de Québec est incompatible avec les impératifs de la transition écologique et il obtient une note de 24 sur 75 selon le «test climat», un rapport publié mercredi matin par Équiterre et le PIRESS.
Le troisième lien autoroutier dans la région de Québec est incompatible avec les impératifs de la transition écologique et il obtient une note de 24 sur 75 selon le «test climat», un rapport publié mercredi matin par Équiterre et le Pôle intégré de recherche – Environnement, Santé et Société (PIRESS) de l’Université de Sherbrooke.
Le projet de la Coalition avenir Québec (CAQ), qui prévoit la construction de deux tunnels entre Québec et Lévis, a été évalué selon sa compatibilité avec quatre critères de la transition écologique selon Équiterre : «l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et l’empreinte environnementale, l’adaptation et la résilience, la justice sociale et autres cobénéfices, ainsi que la saine gouvernance».
Le rapport, écrit par l’analyste en mobilité Andréanne Brazeau, sous la direction d’Annie Chaloux, professeure en science politique à l’Université de Sherbrooke, donne une note de 17% pour ce critère, puisqu’il entraînerait l’intensification de l’étalement urbain, particulièrement à Lévis.
L’auteure souligne que les zones envisagées pour la sortie du tunnel à Lévis se trouvent aux alentours de la rue Saint-Omer ou de la rue Monseigneur-Bourget. Or, ces deux secteurs sont actuellement des milieux naturels ou agricoles. Ils constituent des puits de carbone naturels et sont utiles au renouvellement des nappes phréatiques ainsi qu'aux contrôles des inondations.
Conséquemment, la construction d’infrastructures routières dans ces secteurs détruirait cet environnement de façon permanente en plus de favoriser l’étalement urbain.
L’étalement urbain augmente la nécessité de conduire un véhicule puisqu’elle augmente les distances à parcourir pour effectuer ses activités quotidiennes contrairement à la concentration urbaine qui a les effets inverses.
Ce modèle de développement est observé depuis des décennies au Québec et selon le rapport, les instigateurs du projet de troisième lien n’ont pas manifesté l’intention de revoir cette façon d’aménager le territoire et n’ont jamais fait part d’un intérêt pour un modèle qui permettrait la densification du secteur, alors que pour Équiterre, «la révision de l’aménagement du territoire doit être au cœur de toute politique climatique crédible et ambitieuse».
Considérant que «la sortie du troisième lien serait aménagée dans une zone peu urbanisée de Lévis, il est difficile de croire que le projet pourrait freiner l’étalement urbain, un phénomène aux conséquences environnementales majeures», peut-on lire dans le rapport.
«En l’absence de nouvelles règles de gouvernance et d’aménagement du territoire, le projet favoriserait immanquablement le développement de l’est de Lévis selon le modèle observé dans les dernières décennies», souligne l’étude.
En outre, l’auteure fait valoir que si l’est de Lévis est développé de la même façon que l’ouest l’a été aux alentours des deux ponts de Québec, la construction des deux tunnels mènerait nécessairement à une hausse du nombre de véhicules sur les routes, qui favoriserait ce que l’on appelle la demande induite, qui fait référence à un cercle vicieux où il faut accorder toujours plus d’espace aux véhicules.
À ce sujet, Andréanne Brazeau cite notamment Marie-Hélène Vandersmissen, directrice du département de géographie de l'Université Laval, qui a indiqué que la construction du pont Pierre-Laporte qui relie les deux rives avait engendré un trafic induit, ce qui a généré de l’étalement urbain à travers de nouveaux ensembles résidentiels, dont à Saint-Jean-Chrysostome, à Saint-Nicolas et à Charny.
Selon l’Enquête origine-destination pour la région Québec-Lévis, publiée en 2019 par le ministère des Transports du Québec et citée dans le rapport d’Équiterre, aux heures de pointe du matin et du soir, les trois quarts des véhicules qui partent de la Rive-Sud proviennent de l’ouest de ce territoire pour se rendre à l’ouest de Québec et inversement pour le retour.
Considérant que la majorité des automobilistes qui traversent la rive n’ont pas, actuellement, comme origine ou comme destination l'est de Lévis et «considérant que la sortie du troisième lien serait aménagée dans une zone peu urbanisée de Lévis», l’auteure est d'avis qu’il est difficile de croire que le projet pourrait freiner l’étalement urbain, au contraire.
On verrait également «une perte d’habitats naturels et de territoires agricoles accrue, menaçant la résilience du Québec dans le contexte de crise climatique».
Le rapport souligne que la dernière version du projet augmente la capacité routière au détriment du transport en commun et qu’aucune information relative à la mobilité active n’a été fournie par le gouvernement du Québec, et qu’en somme, «les solutions de rechange à l’auto solo sont peu convaincantes».
Le «test climat» souligne également que le retrait des voies dédiées au transport en commun dans la dernière version du troisième lien affaiblit le critère d’adaptation et de résilience aux dangers climatiques, «car peu importe leur mode de propulsion, les voitures et camions personnels, dont les dimensions moyennes ne font qu’augmenter, sont inefficaces d’un point de vue énergétique comparativement aux autres modes de transport».
À ce propos, l’auteure fait notamment référence à l’étude «Driving Down Emissions: Transportation, land use, and climate change» de l’organisation politique américaine Transportation for America.
Cette étude américaine, souvent citée dans le rapport d’Équiterre, soutient également, exemple à l’appui, que l’agrandissement des réseaux routiers a tendance à augmenter le trafic plutôt que le diminuer, que l’électrification des véhicules ne peut réduire suffisamment les émissions de GES du secteur des transports, et que les nouveaux projets doivent laisser une place importante au transport actif et au transport en commun afin de répondre aux impératifs de la transition écologique.
L’étude donne un résultat de 6 sur 18 en ce qui concerne l’atténuation des émissions de GES et l’empreinte environnementale.
Dans cette partie de l’étude, la chercheuse principale a tenté de déterminer si le projet permettait de «prendre une voie compatible avec l’atteinte de la cible climatique du Québec de 2030 et de la carboneutralité d’ici 2050».
Elle a déterminé que le projet «permettrait difficilement de placer le Québec sur la voie de la carboneutralité, non seulement en raison des émissions liées à la construction, mais également parce que les véhicules qui y circuleraient ne seraient pas exclusivement zéro émission avant plusieurs décennies».
Le rapport indique que le troisième lien augmenterait l’utilisation de la voiture et de son empreinte environnementale, mais cette augmentation hypothétique n’est pas chiffrée, notamment en raison de «l’absence de données fournies par le promoteur du projet».
En ce qui concerne les GES directement émis par la construction du projet, l’étude fait une comparaison avec la réfection du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, entre Montréal et Boucherville. Les travaux de ce tunnel ont émis 2051 tonnes d’équivalent CO2 sur sept mois, selon le consortium Renouveau La Fontaine, qui est chargé de la réfection.
«Comme le tunnel entre Québec et Lévis doit être entièrement construit et qu’il s’agirait, selon les informations publiques en date du printemps 2022, du plus long tunnel routier en Amérique du Nord, il n’y a aucun doute que les émissions de GES issues de la réalisation du projet seraient substantielles», a écrit Andréanne Brazeau.
Le «test climat» donne une note de 39 % pour ce critère. L’auteure souligne que rien ne permet de croire que ce projet entraînerait des retombées économiques importantes, «compte tenu de son coût estimé à 6,5 milliards de dollars, d’autant plus que les tunnels voient généralement leur coût augmenter de 35 % en moyenne».
Selon l’étude, la place prépondérante accordée à l’automobile dans le projet présenté par la CAQ va également «ralentir l’amélioration de l’offre multimodale et accroître la congestion dans la région de la Capitale-Nationale à long terme».
Un résultat de 22 % a été accordé au critère de saine gouvernance. Ce résultat s’explique par «l’absence d’études d’opportunité et de faisabilité» sur les besoins et les projections de circulation. Le rapport indique que cette situation «est décriée par des centaines de spécialistes et scientifiques» et qu’il «en ressort un manque de rigueur et de transparence dans la gestion de ce dossier».
L’organisation environnementale présente son rapport d’une centaine de pages comme «la toute première analyse environnementale du projet», mais indique que cette étude a été basée sur «les quelques données» disponibles.
«En l’absence de données fournies par le promoteur du projet, cette analyse qualitative du troisième lien a été menée à l’aide de grands principes faisant consensus en matière de transition écologique et tenant compte d’un éventail d’impacts possibles du projet. Pour le milieu scientifique, les études et les analyses chiffrées du gouvernement doivent être rendues publiques le plus rapidement possible», a indiqué Annie Chaloux, professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke et directrice du PIRESS.
François Legault s’est souvent fait reprocher de ne pas avoir présenté d’études pour appuyer ce projet estimé à 6,5 G$.
Lors de son passage à l’émission «Cinq chefs, une élection» sur les ondes de Radio-Canada le 4 septembre dernier, l’animatrice de Radio-Canada avait demandé au premier ministre sortant s’il pouvait dévoiler des études sérieuses qui appuient ce projet, François Legault avait fait savoir qu’il en avait, mais que le télétravail provoqué par la pandémie rendait ses études désuètes.
«Il faut mettre à jour ses études», avait expliqué le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ).
Au printemps dernier, la Coalition avenir Québec avait avancé que d’ici 2036, 36 800 déplacements interrives additionnels viendraient empirer le trafic, qui a augmenté de plus de 20 % en près de 20 ans sur les deux ponts vieillissants actuels.
La CAQ estime que dans une dizaine d’années, 143 000 véhicules par jour traverseront le pont Pierre-Laporte, alors qu’il a été conçu pour un débit quotidien de 90 000 véhicules et qu’on en enregistre 126 000 par jour.
Le temps d’attente actuel sur le pont Pierre-Laporte est de 20 minutes en moyenne, selon le ministère des Transports, qui calcule qu’il grimpera à 28,2 minutes en 2040.