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C'est que la loi 21 s'appuie sur l'article 33 de la Charte, la fameuse disposition de dérogation aussi connue sous le nom de «clause nonobstant», pour suspendre la liberté de religion dans le cas du port de signes religieux.
La Cour d'appel aura à trancher sur une intrigante contradiction contenue dans la Charte canadienne des droits en marge de son travail sur la validité de la loi 21 sur la laïcité qui interdit le port de signes religieux chez les employés de l'État en position d'autorité, notamment les juges, les policiers et les enseignants.
C'est que la loi 21 s'appuie sur l'article 33 de la Charte, la fameuse disposition de dérogation aussi connue sous le nom de «clause nonobstant», pour suspendre la liberté de religion dans le cas du port de signes religieux.
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Or, l'article 33 spécifie qu'une législature peut ainsi déroger à certains articles de la Charte, notamment l'article 15, qui interdit toute discrimination fondée, entre autres, sur le sexe. Toutefois, la disposition de dérogation ne permet pas de se soustraire à l'article 28 de la Charte qui, lui, stipule que les droits et libertés de la Charte «sont garantis également aux personnes des deux sexes».
Ce débat, qui a occupé une grande part de la matinée de mardi, a été lancé par Me Perri Ravon, qui représente la commission scolaire English Montreal. Celle-ci a soutenu que la loi 21 «désavantage de manière disproportionnée les femmes musulmanes dans l'exercice de leur liberté de religion». En soutien à cette prétention, elle a fait valoir que des demandes d'accès à l'information auprès de quelque 300 institutions publiques avaient démontré que les contraintes imposées par la législation n'avaient touché que des femmes musulmanes. Selon elle, «le législateur a délibérément choisi de soustraire l'article 28 de l'application de (l'article) 33» afin, justement de s'assurer que les droits des femmes soient protégés.
Dans la même mouvance, Me Julius Grey, représentant la Commission canadienne des droits et libertés, a reconnu que la loi 21 «n'a pas limité de droit de pratiquer la religion, d'aller à l'église». Cependant, a-t-il précisé, si ce droit existe, «il a été limité et il a été limité de façon inégale entre hommes et femmes, donc précisément le cas (prévu par l'article) 28».
Après lui, Me Véronique Roy, représentant entre autres la Fédération des femmes du Québec, a renchéri en rappelant que la Cour d'appel de Nouvelle-Écosse a statué que l'article 28 est là pour rendre inconstitutionnelle toute discrimination sexuelle protégée par l'article 15. «Je vois (l'article) 28 comme rempart contre toute atteinte à l'article 15 en ce qui a trait à l'égalité entre les sexes», a-t-elle dit.
À l'opposé, Me Amélie Amélie Pelletier-Desrosiers, qui représente le Procureur général du Québec (et, de ce fait, le gouvernement Legault), a insisté à plusieurs reprises que l'article 28 n'a pas d'effet autonome. «La position du Procureur général est qu'il n'est pas possible de contourner la disposition de dérogation en utilisant l'article 28 pour redonner effet à des droits et libertés auxquels on déroge», a-t-elle fait valoir.
«L'article 33 permet expressément de déroger à l'article 15», a-t-elle rappelé, nonobstant l'article 28. En plus, a-t-elle avancé, les opposants n'ont pas réussi à amener une preuve statistique pour soutenir leur argumentaire de discrimination spécifique à l'endroit des femmes. Celles-ci représentent 88 % des enseignants au primaire et 65 % de ceux au secondaire et il n'y a donc aucune surprise dans le fait qu'elles soient davantage affectées.
En appui à cette position, Me Christiane Pelchat est venue livrer, au nom de Pour les droits des femmes du Québec, un argumentaire qui risque de susciter d'intéressantes discussions parallèles: `L'égalité des sexes est renforcée avec la loi 21 parce que (...) la loi n'est pas discriminatoire, ce sont les religions qui sont discriminatoires', a-t-elle lancé devant les trois juges du banc d'appel.
«Les religions, dont la religion musulmane et même la religion catholique et la religion juive, sont des religions qui sont basées sur le patriarcat, donc qui sont elles-mêmes sexistes.»
Cependant, a-t-elle tenu à ajouter, à sa face même, la loi 21 n'est pas discriminatoire. «Est-ce que les hommes et les femmes ont les mêmes droits qui sont protégés à (l'article) 15? Oui, puisque les deux sont interdits de porter des signes religieux», a-t-elle conclu.
À l'issue de ce débat sur une potentielle atteinte à l'égalité des sexes, le tribunal a vu les parties changer de siège à toutes fins pratiques, alors que la discussion s'est portée sur les droits des minorités linguistiques. Dans ce cas-ci, c'est le gouvernement du Québec qui est en appel d'une portion du jugement de la Cour supérieure, soit celui qui permet aux commissions scolaires anglophones d'échapper à la loi 21.
Le juge Marc-André Blanchard a en effet surpris dans sa décision fleuve lorsqu'il s'est appuyé sur l'article 23 (qui échappe lui aussi à la disposition de dérogation) pour élargir le droit de la minorité anglophone d'obtenir l'éducation dans sa langue. «Les commissions scolaires anglophones et leurs enseignants ou directeurs accordent une importance particulière à la reconnaissance et célébration de la diversité ethnique et religieuse», écrivait le magistrat.
S'exprimant à son tour pour le Procureur général du Québec, Me Manuel Klein s'est inscrit en faux contre une telle interprétation de l'article 23. «La loi 21 n'a absolument aucun effet sur l'érosion culturelle de la minorité linguistique», a-t-il fait valoir.
«Si vous concluez que l'article 23 protégerait de façon indépendante de la langue des manifestations dites culturelles, des valeurs, des opinions politiques, a-t-il avancé aux juges, on vous soumet que la loi 21 n'empêche pas de faire la promotion ou de valoriser et promouvoir la diversité culturelle et religieuse comme le juge de première instance le conclut.»
«L'expérience éducative doit être équivalente à celle de la majorité», a martelé Me Klein et, avec ce genre d'interprétation, «on demande un traitement différent pour les élèves de la minorité sur l'expérience éducative».
Plus tôt en journée, les parties avaient finalisé les discussions sur le thème des droits fondamentaux, débat lancé par Me Luc Alarie, représentant le Mouvement laïque du Québec. Celui-ci a rappelé que depuis 2008, «il existe un régime pédagogique qui impose aux enseignants un devoir de réserve en matière religieuse dont celui de ne pas dévoiler leurs croyances ou convictions».
Il a rappelé que les tribunaux ont déjà statué que l'État «peut porter atteinte à la liberté de conscience et de religion notamment lorsque ses représentants, dans l'exercice de leurs fonctions, se livrent à une pratique qui contrevient à leur obligation de neutralité».
En contrepoids, Me Molly Krishtalka, représentant notamment trois enseignantes, deux musulmanes et une catholique qui contestent la loi 21, a toutefois répliqué que «la neutralité est requise de l'État et de ses institutions, pas des individus à son emploi».
Selon elle, le Mouvement laïque commet une erreur lorsqu'il présume «qu'un enseignant qui porte une croix ou un hijab signifie que l'institution ou l'État endosse la religion en question».
«Ce ne sont pas les gestes de chaque individu qui vont engager l'État dans une position religieuse», a-t-elle argué.
«Il y aurait un problème si une commission scolaire exigeait de ses enseignants de porter une croix ou si un enseignant demandait à ses élèves de se lever en début de cours et de réciter le ''Je vous salue Marie''», a-t-elle fait valoir.
La Cour devait amorcer en après-midi l'audition du quatrième des dix thèmes établis par la Cour, soit celui des droits des minorités linguistiques. Les auditions doivent durer dix jours.