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Les intentions exprimées la semaine dernière par le nouveau ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, pour atteindre une plus grande sobriété énergétique s’apprêtent à heurter le mur de la réalité.
Les intentions exprimées la semaine dernière par le nouveau ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, pour atteindre une plus grande sobriété énergétique s’apprêtent à heurter le mur de la réalité.
Certaines des hypothèses avancées par M. Fitzgibbon sont carrément contradictoires alors que d’autres ne sont que partiellement réalisables et ne permettraient que peu ou pas d’économies d’énergie parce qu’elles reposent sur des prémisses qui ne sont pas fondées, selon des experts consultés par La Presse Canadienne.
Les deux plus importantes mesures avancées par M. Fitzgibbon, qui a aussi été reconduit dans ses fonctions de ministre de l’Économie, sont la tarification dynamique ou modulée et la réduction du chauffage la nuit ou le jour quand les habitants d’un domicile ne sont pas à la maison.
La tarification dynamique consiste principalement à augmenter sensiblement le prix de l’électricité aux heures de pointe la semaine, soit entre 6h00 et 9h00 et entre 16h00 et 20h00, surtout dans les périodes de grand froid où Hydro-Québec peine à fournir à la demande et doit importer de l’électricité à fort prix.
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«La contrepartie principale, c'est que tout le monde a la même heure de pointe. Tout le monde prend sa douche entre 6h00 et 8h00 le matin. Tout le monde fait le souper entre 17h00 et 19h00», souligne Charles Côté, directeur du service technique à la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec, qui sont les experts en systèmes de chauffage dans le secteur de la construction.
L’expression «tout le monde» n’est pas exagérée. Selon Statistique Canada, seulement 1,7 % de la population active travaille de nuit et 6,4 % de soir, 69,3 % travaillent de jour avec des horaires réguliers et les 22,6 % qui restent ont des horaires irréguliers, mais la plupart sont de jour.
C’est donc l’écrasante majorité de la population qui n’aura d’autre choix que de payer plus cher pour son électricité parce qu’elle est prisonnière des heures de pointe, une mesure qui toucherait durement les moins nantis.
«Les tarifs modulés, c'est particulièrement pénalisant pour les ménages à faible revenu qui ont encore moins de contrôle sur leur consommation d'énergie», souligne Sylvie De Bellefeuille, conseillère budgétaire et juridique chez Option consommateurs.
«Malheureusement, les ménages à faible revenu ou à revenu modeste n'ont pas le contrôle sur leur facture et ce n'est pas comme si on avait le choix de consommer de l'électricité ou pas», ajoute-t-elle, qualifiant la mesure de «régressive».
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Pire, souligne le professeur Michaël Kummert, expert en efficacité énergétique des bâtiments à l’Institut de l’énergie Trottier de l’École Polytechnique, cette tarification dynamique pourrait avoir un effet pervers.
«Si Hydro-Québec, par exemple, vous fait payer 5 cents durant la journée, mais qu'à partir de 16h00 ça devient 10 cents, il vaut mieux, pendant une heure ou deux avant que ça devienne cher, que vous chauffiez plus que la normale, disons 24 degrés, même si vous n'êtes pas là. Comme ça, dès que le tarif passe au plus cher, vous fermez le chauffage, laissez redescendre et consommez alors moins dans cette période», fait-il valoir.
Ainsi, plutôt que d’avoir utilisé moins d’électricité, vous en aurez utilisé sinon plus que d’habitude, au moins autant.
L’idée de baisser le chauffage a beau être séduisante, elle présente deux problèmes majeurs, le premier étant l’impact, justement, sur les fameuses heures de pointe.
«C'est certain que ça va empirer le problème parce que si tout le monde qui laissaient le chauffage normal durant toute la nuit le mettent à 18 degrés Celsius et le remontent à 6h00 du matin, pile dans la pointe d'Hydro-Québec, ça va faire plus mal qu'autre chose», souligne M. Kummert.
«Et la deuxième pointe, de 16h00 à 20h00, c'est la même chose. Si les gens rentrent du travail à 18h00 et qu'ils ont laissé la maison à 15 degrés et qu'ils remontent tout d'un coup à 21, ça va être pire qu'avant», poursuit-il.
L’hypothèse de baisser le chauffage en dehors des heures de pointe, aussi bien intentionnée soit-elle, implique en effet une très forte augmentation de la demande d’électricité exactement à l’heure de pointe, soit au moment où l’objectif est de la réduire. Il n’y a là aucun gain pour la société d’État. Au contraire; cela viendrait aggraver son manque à gagner lors de grands froids.
Dans un contexte de tarifs modulés, la pratique de réduire le chauffage hors de la période de pointe entraînerait nécessairement un choc tarifaire pour les consommateurs puisque non seulement l’électricité serait plus chère à l’heure de pointe, mais il faudrait aussi plus d’électricité pour ramener le domicile au niveau voulu que si l’on avait maintenu la température au niveau normal.
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Aussi, note Charles Côté, il sera nécessaire de tenir compte du télétravail. «Avec le télétravail, les gens sollicitent davantage les systèmes. Avant, les gens baissaient la température jusqu'à 15h30 ou 16h00, mais en demeurant à la maison deux ou trois jours ou plus par semaine, ils ne veulent pas travailler à la maison à 17 degrés.»
Cette réalité n’est pas insignifiante: selon les données de Statistique Canada, 26 % des travailleurs canadiens sont en télétravail à temps plein (14,7 %) ou partiel (11,3 %).
Le deuxième problème relève des économies anticipées qui seraient obtenues en baissant le chauffage. Même en l’absence d’une tarification dynamique, peut-on vraiment aller chercher des économies en baissant le chauffage la nuit et le jour quand il n’y a personne?
«Il y a une économie réelle à faire, dans un système à air chaud avec une source de chaleur unique ou dans un système à plinthe, explique Charles Côté. Sauf que les nuits où ils annoncent très froid, c’est préférable de ne pas le faire. Parce que vous ne serez pas confortable en vous levant le matin à moins de le repartir à 3h00 du matin.»
«Avec un système à air chaud à source unique, vous allez pouvoir faire des économies. Mais évitez de faire des trop grands retours. Cinq degrés, c'est quand même beaucoup. Je suggérerais plutôt trois degrés pour éviter que l'appareil soit trop sollicité le matin.
«Est-ce que les économies seront aussi mirobolantes que ce que certains disent? J'ai beaucoup de difficulté à m’avancer. Trop souvent, promettre des économies génère plus une promesse de déception. Les économies, c'est quelque chose qui demeure délicat à chiffrer», fait valoir M. Côté.
Mais ces économies disparaissent dans plusieurs cas, à commencer par les systèmes de chauffage biénergie avec thermopompe, explique le professeur Kummert.
«La plupart de systèmes de pompes à chaleur - et encore plus les plus anciens - interprètent un changement brutal des consignes, comme de remonter de 18 à 21, comme le fait qu'elles n'y arrivent pas. Comme elles croient qu'elles n'y arrivent pas, elles déclenchent le système auxiliaire qui peut être le mazout, la fournaise électrique ou autre», précise-t-il.
Si le système auxiliaire est une fournaise électrique, celle-ci demandera plus d’électricité que la thermopompe pour ramener la chaleur à la normale, donc aucune économie, ni pour Hydro, ni pour le consommateur. S’il s’agit d’une fournaise au mazout - qui sont destinées à disparaître - il n’y aura aucune demande d’électricité, ce qui représente une économie pour Hydro, mais à 2,04 $ le litre, le consommateur sera perdant.
Quant aux systèmes à l’eau chaude, Charles Côté est sans équivoque: c’est non, surtout en raison du temps qu’il faut pour réchauffer des calorifères en fonte. «Dans ce cas-là, faire du recul nocturne, ça ne vaut pas la peine. L'équipement va travailler beaucoup trop.»
«Il y a des limites aux mesures qu'on peut prendre pour que ce soit efficace, avance Sylvie De Bellefeuille. Je ne dis pas qu'il ne faut pas économiser de l'énergie, personne n'est contre la vertu, mais en même temps, il faut être réaliste. Jusqu'où ça va vraiment avoir un impact?
«Il faudrait des mesures pour que les plus gros consommateurs d'énergie contribuent à la diminution de la consommation d'énergie. On se trompe de cible», dit-elle.
Pierre Fitzgibbon a aussi vaguement fait allusion aux clients d'affaires, affirmant que «les entreprises qui veulent du courant, peut-être qu’on va leur dire: à la pointe, vous n’en aurez pas. Ou on va le baisser».
Car le secteur résidentiel, en bout de ligne, ne consomme que 32 % de la production d’Hydro-Québec. Les secteurs commercial, institutionnel et industriel (grande et petite industrie) en consomment tout près de 50 % et 17 % est destinée à l’exportation.
«On peut faire un effort collectif jusqu'à un certain point, mais cet effort ne doit pas se limiter seulement aux consommateurs. Le consommateur a le dos large», laisse tomber Sylvie De Bellefeuille avec dépit.